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Le Rieur & les Poiffons.

ON cherche les Rieurs, & moi je les évite.

Cet art veut fur tout autre un fuprême mérite.
Dieu ne créa que pour les fots

Les (1) méchans difeurs de bons mots.
J'en vais, peut-être, en une Fable
Introduire un : peut-être aussi

Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi.

Un Rieur étoit à la table

D'un Financier ; & n'avoit en fon coin
Que de petits poiffons: tous les gros étoient loin.
Il prend donc les menus, puis leur parle à l'oreille ;
Et puis il feint à la pareille

D'écouter leur réponse. On demeura furpris:
Cela fufpendit les efprits.

Le Rieur alors, d'un ton fage,
Dit, qu'il craignoit qu'un fien ami
Pour les grandes Indes parti,
N'eût depuis un an fait naufrage.

Il s'en informoit donc à ce menu fretin:

Mais tous lui répondoient qu'ils n'étoient point d'un

âge

(1) Gens d'un efprit fade, pefant & fuperficiel, qui croyant l'avoir agréable, vif, profond & délicat, nous débitent hardiment des penfées vulgaires &

très-infipides comme quelque chofe d'exquis & de véritablement plaifant, dont ils rient tout les premiers.

A favoir au vrai fon destin:
Les gros en fauroient davantage.

N'en puis-je donc, Meffieurs, un gros interroger? De dire fi la compagnie

Prit goût à fa plaifanterie,

J'en doute: mais enfin il les fut engager

A lui fervir d'un monftre affez vieux pour lui dire
Tous les noms des chercheurs de Mondes inconnus,
Qui n'en étoient pas revenus;

Et que depuis cent ans, sous l'abysme avoient vûs
Les anciens du vaste Empire.

FABLE IX.

Le Rat & l'Huître.

UNRat, hôte d'un champ, Rat de peu de cervelle,
Des Lares paternels un jour se trouva fou.
Il laiffe-là le champ, le grain & la javelle,
Va courir le pays, abandonne fon trou.
Si-tôt qu'il fut hors de la cafe,

Que le Monde, dit-il, eft grand & spacieux !
Voilà les (1) Apennins, & voici le Caucafe:
La moindre Taupinée étoit mont à fes yeux.
Au bout de quelques jours le voyageur arrive
En un certain canton, où Thétis fur la rive
Avoit laiffé mainte Huître; & notre Rat d'abord
Crut voir, en les voyant, des vaiffeaux de haut bord..
Certes, dit-il, mon pere étoit un pauvre Sire:
(4) Hautes montagnes qui regnent le long de l'Italie,

Il n'ofoit voyager, craintif au dernier point.
Pour moi, j'ai déjà vû le maritime Empire,
J'ai paffé les déferts, mais nous n'y bûmes point.
D'un certain Magifter le Rat tenoit ces choses;
Et les difoit à travers champs,

N'étant pas de ces Rats, qui les livres rongeans,
Se font favans jufques aux dents.
Parmi tant d'Huîtres toutes closes,
Une s'étoit ouverte, & bâillant au Soleil,
Par un doux Zéphir réjouie,

Humoit l'air, refpiroit, étoit épanouie,
Blanche, graffe, & d'un goût à la voir nompareil.
D'auffi loin que le Rat, voit cette Huître qui bâille,
Qu'aperçois-je ? dit-il, c'eft quelque victuaille;
Et fi je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chere, ou jamais.
Là-deffus maître Rat, plein de belle espérance,
Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,
(2) Se fent pris comme aux lacs, car l'Huître tout
d'un coup

Se referme; & voilà ce que fait l'ignorance.

Cette Fable contient plus d'un enfeignement.
Nous y voyons premiérement,

Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience,
Sont aux moindres objets frappés d'étonnement;
Et puis, nous y pouvons apprendre,
Que tel eft pris qui croyoit prendre.

(2) On m'a affuré qu'il eft affez ordinaire de voir des Rats qui ont actuellement donné dans se piége. Mais la Fable n'eft pas

moins ingénieufe, ni moins inf tructive, pour être fondée fur la vérité.

FABLE X.

L'Ours & l'Amateur des Jardins.

Certain Ours montagnard, Ours à demi lêché,

Confiné par le Sort dans un bois folitaire,
Nouveau (1) Bellerophon, vivoit feul & caché :
Il fût devenu fou: la raifon d'ordinaire
N'habite pas long-temps chez les gens fequeftrés:
Il eft bon de parler, & meilleur de fe taire,
Mais tous deux font mauvais alors qu'ils font outrés.
Nul animal n'avoit affaire

Dans les lieux que l'Ours habitoit ;
Si bien, que tout Ours qu'il étoit,

Il vint à s'ennuyer de cette trifte vie.
Pendant qu'il fe livroit à la mélancolie,
Non loin de là certain vieillard
S'ennuyoit auffi de fa part.

Il aimoit les Jardins, étoit Prêtre de Flore,
Il l'étoit de Pomone encore:

Ces deux emplois font beaux: mais je voudrois parmi,
Quelque doux & difcret ami.

Les Jardins parlent peu, fi ce n'eft dans mon Livre; De façon que laffé de vivre

Avec des gens muets, notre homme un beau matin

(1) Prince valeureux, qui après avoir mis à fin les plus terribles aventures, accablé d'une noire mélancolie, fe retira dans un défert, dit Homere pour rompre tout commerce avec les hommes. Je n'ai garde

de mettre ici les paroles du Poëte. Du Grec! Eh qui s'attendroit à voir du Grec dans des Notes fur les Fables de La Fon taine Cette bigarrure choqueroit infailliblement la fleur des plus beaux efprits de ce fiécle..

Va chercher compagnie, & fe met en campagne.
L'Ours porté d'un même dessein,
Venoit de quitter fa montagne :
Tous deux, par un cas furprenant,
Se rencontrent en un tournant.

L'homme eut peur : mais comment efquiver, & que faire ?

Se tirer en Gafcon d'une femblable affaire
Eft le mieux: il fut donc diffimuler fa peur.

L'Ours, très-mauvais complimenteur,
Lui dit : Vien-t'en me voir. L'autre reprit, Seigneur,
Vous voyez mon logis; fi vous vouliez me faire
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait. Ce n'eft peut-être pas
De Noffeigneurs les Ours le manger ordinaire,
Mais j'offre ce que j'ai. L'Ours l'accepte ; & d'aller.
Les voilà bons amis avant que d'arriver.

Arrivés, les voilà, fe trouvant bien ensemble;
Et bien qu'on foit, à ce qu'il femble,
Beaucoup mieux feul qu'avec des fots,
Comme l'Ours en un jour ne difoit pas deux mots,
L'homme pouvoit fans bruit vaquer à fon ouvrage.
L'Ours alloit à la chaffe, apportoit du gibier,
Faifoit fon principal mêtier

D'être bon émoucheur, écartoit du visage
De fon ami dormant ce parafite aîlé

Que nous avons Mouche appellé.

Un jour que le vieillard dormoit d'un profond fomme,

Sur le bout de fon nez une allant fe placer,

Mit l'Ours au défefpoir, il eut beau la chaffer.

Je

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