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Cérès, commença-t-il, faifoit voyage un jour
Avec l'Anguille & l'Hirondelle :

Un fleuve les arrête ; & l'Anguille en nageant,
Comme l'Hirondelle en volant,

Le traverfa bien-tôt. L'affemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle?
Ce qu'elle fit? Un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.

Quoi, de contes d'enfans fon peuple s'embarraffe! Et du péril qui le menace

"

Lui feul, entre les Grecs, il néglige l'effet!
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?
A ce reproche l'affemblée

Par l'Apologue réveillée

Se donne entiere à l'Orateur :

Un trait de Fable en eut l'honneur.

Nous fommes tous d'Athene en ce point; & moimême

Au moment que je fais cette moralité,

Si (4) Peau-d'Ane m'étoit conté,

J'y prendrois un plaifir extrême.

Le monde eft vieux, dit-on, je le crois : cependant Il le faut amufer encor comme un enfant.

(4) Vieux Conte, dont on amufe les petits enfans.

FABLE V.

L'Homme & la Puce.

PAr des vœux importuns nous fatiguons les

Dieux,

Souvent pour des fujets, même indignes des hommes.
Il femble que le Ciel, fur tous tant que nous fommes
Soit obligé d'avoir inceffamment les yeux;
Et que le plus petit de la race mortelle,

A chaque pas qu'il fait, à chaque bagatelle,
Doive intriguer l'Olympe & tous fes citoyens,
Comme s'il s'agiffoit des Grecs & des Troyens.

Un fot par une Puce eut l'épaule mordue,
Dans les plis de fes draps elle alla fe loger.
Hercule, fe dit-il, tu devois bien purger
La terre de cette Hydre au Printemps revenue.
Que fais-tu, Jupiter, que du haut de la nue
Tu n'en perdes la race afin de me venger?
Pour tuer une Puce il vouloit obliger
Ces Dieux à lui prêter leur foudre & leur maffue.

FABLE VI.

Les Femmes & le Secret.

Rien ne pefe tant qu'un fecret:

Le porter loin eft difficile aux Dames;

Et

Et je fai même fur ce fait

Bon nombre d'hommes qui font femmes.

Pour éprouver la fienne un mari s'écria

La nuit étant près d'elle: O Dieux ! Qu'est-ce cela?
Je n'en puis plus, on me déchire:

Quoi j'accouche d'un œuf! D'un œuf? Oui, le voilà
Frais & nouveau pondu : gardez bien de le dire,
On m'appelleroit Poule. Enfin n'en parlez pas.
La femme neuve fur ce cas,

Ainfi

que fur mainte autre affaire,

Crut la chofe, & promit fes grands Dieux de fe taire.
Mais ce ferment s'évanouit

Avec les ombres de la nuit.
L'époufe indifcrette & peu fine,

Sort du lit quand le jour fut à peine levé;
Et de courir chez fa voisine.

Ma commere, dit-elle, un cas eft arrivé:

N'en dites rien fur tout, car vous me feriez battre. Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.

Au nom de Dieu, gardez-vous bien
D'aller publier ce mystére.

Vous moquez-vous? dit l'autre : Ah, vous ne favez guére

Quelle je fuis. Allez, ne craignez rien.
La femme du Pondeur s'en retourne chez elle,
L'autre grille déjà de conter la nouvelle :
Elle va la répandre en plus de dix endroits.
Au lieu d'un œuf elle en dit trois.
Ce n'eft pas encor tout, car une autre commere
En dit quatre; & raconte à l'oreille le fait :..

II. Partie.

E

Précaution peu nécessaire,

Car ce n'étoit plus un fecret.

Comme le nombre d'œufs, grace à la Renommée,

De bouche en bouche alloit croiffant,

Avant la fin de la journée,

Ils fe montoient à plus d'un cent.

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Le Chien qui porte à fon cou le dîné de fon Maître. Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles,

Ni les mains à celle de l'or:
Peu de gens gardent un tréfor
Avec des foins affez fidéles.

Certain Chien qui portoit la pitance au fogis,
S'étoit fait un colier du dîner de fon maître.
Il étoit tempérant plus qu'il n'eût voulu l'être,
Quand il voyoit un mets exquis :

Mais enfin il l'étoit ; & tous tant que nous fommes,
Nous nous laiffons tenter à l'approche des biens.
Chofe étrange! On apprend la tempérance aux
Chiens,

Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes.
Ce Chien-ci donc étant de la forte atourné,
Un Mâtin paffe, & veut lui prendre le dîné..
Il n'en eut pas toute la joie

Qu'il efpéroit d'abord : le Chien mit bas la proie,
Pour la défendre mieux, n'en étant plus chargé.

Grand combat: D'autres Chiens arrivent.
Ils étoient de ceux-là qui vivent

Sur le public, & craignent peu les coups.
Notre Chien fe voyant trop foible contre eux tous;
Et que la chair couroit un danger manifeste,
Voulut avoir fa part; Et lui fage, il leur dit :
Point de courroux, Meffieurs, mon lopin me fuffit:
Faites votre profit du refte.

A ces mots, le premier il vous hape un morceau,
Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille;

A qui mieux mieux : ils firent tous (1) ripaille:
Chacun d'eux eut part au gâteau.

Je crois voir en ceci l'image d'une Ville,
Où l'on met les deniers à la merci des gens..
Echevins, Prévôt des Marchands,
Tout fait fa main : le plus habile

Donne aux autres l'exemple; & c'eft un paffe-temps
De leur voir nétoyer un monceau de piltoles.
Si quelque fcrupuleux, par des raisons frivoles,
Veut défendre l'argent, & dit le moindre mot,
On lui fait voir qu'il eft un fot.

Il n'a pas de peine à fe rendre :
C'est bien-tôt le premier à prendre..

(1) Firent grand'chére. Qui voudra favoir l'origine du mot ripaille, doit confulter le Dictionnaire étymologique de Ménage.

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