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Que les foins de la Providence

N'euffent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger & le boire.

En fon hôtel il fait venir

Le chanteur, & lui dit : Or ça, Sire Gregoire,
Que gagnez-vous par an? Paran? Ma foi, Monfieur,
Dit avec un ton de rieur

Le gaillard Savetier, ce n'eft point ma maniére
De compter de la forte ; & je n'entaffe guére
Un jour fur l'autre : il fuffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année:
Chaque jour améne fon pain.

Et bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
Tantôt plus, tantôt moins : le mal eft que toujours,
(Et fans cela nos gains feroient affez honnêtes)
Le mal eft que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chommer: on nous ruine en Fêtes.
L'une fait tort à l'autre : & Monfieur le Curé
De quelque nouveau Saint charge toujours fo
Prône.

Le Financier riant de fa naïveté,

Luidit: Je vous veux mettre aujourd'hui fur le trône.
Prenez ces cent écus: gardez-les avec foin,
Pour vous en fervir au befoin.

Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avoit, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'ufage des gens.

Il retourne chez lui: dans fa cave il enferre
L'argent & fa joie à la fois.

Plus de chant: il perdit la voix

Du moment qu'il gagna ce qui caufe nos peines.

Le fommeil quitta fon logis,

Il eut pour hôtes les foucis,

Les foupçons, les alarmes vaines. Tout le jour il avoit l'œil au guet; & la nuit, Si quelque Chat faifoit du bruit,

Le Chat prenoit l'argent. A la fin le pauvre homme S'en courut chez celui qu'il ne réveilloit plus. Rendez-moi, lui dit-il, mes chanfons & monfomme; Et reprenez vos cent écus.

FABLE III.

Le Lion, le Loup & le Renard.

UN Lion décrépit, gouteux, n'en pouvant plus,

Vouloit que l'on trouvât reméde à la vieilleffe:
Alléguer l'impoffible aux Rois, c'est un abus.
Celui-ci, parmi chaque efpece,

Manda des Médecins : il en eft de tous arts:
Médecins au Lion viennent de toutes parts:
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les vifites qui font faites,

Le Renard fe difpenfe, & fe tient clos & coi.
Le Loup en fait fa cour, daube au coucher du Roi
Son camarade abfent : le Prince tout à l'heure
Veut qu'on aille enfumer Renard dans fa demeure,
Qu'on le faffe venir. Il vient, est présenté;
Et fachant que le Loup lui faifoit cette affaire:
Je crains, Sire, dit-il, qu'un rapport peu fincére
Ne m'ait à mépris imputé

D'avoir différé cet hommage :
Mais j'étois en pélerinage;

Et m'acquittois d'un vœu fait pour votre fantě.
Même j'ai vû dans mon voyage

Gens experts & favans, leur ai dit la langueur
Dont votre Majefté craint à bon droit la fuite:
Vous ne manquez que de chaleur :
Le long âge en vous l'a détruite :
D'un Loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude & toute fumante :
Le fecret fans doute en eft beau
Pour la nature défaillante.
Meffire Loup vous fervira,

S'il vous plaît, de robe de chambre.
Le Roi goûte cet avis-là :

On écorche, on taille, on démembre
Meffire Loup. Le Monarque en foupa,
Et de fa peau s'enveloppa.

Meffieurs les Courtifans, ceffez de vous détruire? Faites, fi vous pouvez, votre cour fans vous nuire, Le mal fe rend chez vous au quadruple du bien. Les (1) daubeurs ont leur tour, d'une ou d'autre maniére :

Vous êtes dans une carriére

Où l'on ne fe pardonne rien.

(1) Ceux qui, par de mauvais discours, tâchent de nuire aux

autres.

FABLE IV.

Le Pouvoir des Fables.

A (a) MONSIEUR DE BARILLON.

LA qualité d'Ambassadeur

Peut-elle s'abaiffer à des contes vulgaires?
Vous puis-je offrir mes vers & leurs graces légeres?
S'ils ofent quelquefois prendre un air de grandeur,
Seront-ils point traités par vous de téméraires ?
Vous avez bien d'autres affaires

A démêler que les débats

Du Lapin & de la Belette.
Lifez-les, ne les lifez pas :

Mais empêchez qu'on ne nous mette

Toute l'Europe fur les bras.

Que de mille endroits de la terre

Il nous vienne des ennemis,
J'y confens: mais que l'Angleterre

Veuille que (1) nos deux Rois fe laffent d'être amis,
J'ai peine à digérer la chose.

N'eft-il pas encor temps que Louis fe repofe?
Quel autre Hercule enfin ne fe trouveroit las

De combattre cette (2) Hydre? Et faut-il qu'elle oppofe

Une nouvelle tête aux efforts de fon bras?

(a) Qui pour lors étoit Ambaffader en Angleterre.

(1) Louis XIV. Roi de France, & Charles II. Roi d'An

gleterre.

(2) Serpent à plufieurs têtes, auquel une tête étant coupée il en renaiffoit nombre d'autres,

Si votre efprit plein de foupleffe,
Par éloquence & par adresse,

Peut adoucir les cœurs, & détourner ce coup,
Je vous facrifierai cent Moutons : c'eft beaucoup
Pour un habitant du Parnaffe.
Cependant faites-moi la grace

De prendre en don ce peu d'encens.
Prenez en gré mes vœux ardens,

Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.
Son fujet vous convient: je n'en dirai pas plus.
Sur les Eloges que l'Envie

Doit avouer qui vous font dûs,

Vous ne voulez pas qu'on appuie.

Dans Athene autrefois, peuple vain & léger,
Un Orateur voyant fa Patrie en danger,
Courut à la Tribune ; & d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une République,
Il parla fortement fur le commun falut.
On ne l'écoutoit pas : l'Orateur recourut
A ces (3) figures violentes

Qui favent exciter les ames les plus lentes.
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout: perfonne ne s'émut.
L'animal aux têtes frivoles

Etant fait à ces traits, ne daignoit l'écouter.
Tous regardoient ailleurs : il en vit s'arrêter
A des combats d'enfans, & point à fes paroles.
Que fit le Harangueur? Il prit un autre tour.

(3) De Rhétorique, façons de parler, qui présentent à l'Esprit des images vives, touchantes, &c.

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