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Monfieur le Mort, laiffez-nous faire,

On vous en donnera de toutes les façons:
Il ne s'agit que du falaire.

Meffire Jean Chouart couvoit des yeux fon Mort,
Comme fi l'on eût dû lui ravir ce tréfor;

Et, des regards, sembloit lui dire :
Monfieur le Mort, j'aurai de vous,
Tant en argent, & tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.

Il fondoit là-deffus l'achat d'une feuillette
Du meilleur vin des environs :
Certaine niéce affez proprette,
Et fa chambriére Pâquette
Devoient avoir des cotillons.
Sur cette agréable pensée

Un heurt furvient: adieu le char.
Voilà Meffire Jean Chouart

Qui du choc de fon mort a la tête caffée :
Le Paroiffien en plomb entraîne fon Pasteur,
Notre Curé fuit fon Seigneur :
Tous deux s'en vont de compagnie.

Proprement toute notre vie

Eft le Curé Chouart, qui fur fon mort comptoit, Et la Fable du Pot au lait.

FABLE XII.

L'Homme qui court après la Fortune, & l'Homme qui l'attend dans fon lit.

QUi ne court après la Fortune?

Je voudrois être en lieu d'où je pûfse aisément
Contempler la foule importune

De ceux qui cherchent vainement

Cette fille du Sort de Royaume en Royaume,
Fidéles courtisans d'un volage fantôme.

Quand ils font près du bon moment,

L'inconftante auffi-tôt à leurs defirs échappe :
Pauvres gens! Je les plains, car on a pour les fous
Plus de pitié que de courroux.

Cet homme, difent-ils, étoit planteur de choux;
Et le voilà devenu Pape :

Ne le valons-nous pas ? Vous valez cent fois mieux:
Mais que vous fert votre mérite?

La Fortune a-t-elle des yeux ?

Et puis, la Papauté vaut-elle ce qu'on quitte,
Le repos, le repos, tréfor fi précieux,
Qu'on en faifoit jadis (1) le partage des Dieux?
Rarement la Fortune à fes hôtes le laiffe.

Ne cherchez point cette Déeffe,
Elle vous cherchera : son sexe en use ainfi.

Certain couple d'ami en un Bourg établi,

(1) Selon Epicure & fes Sectateurs, les Dieux vivoient dans un doux repos, fans fe mêler des affaires du Monde.

Poffédoit quelque bien. L'un foupiroit fans ceffe
Pour la Fortune : il dit à l'autre un jour,
Si nous quittions notre féjour ?

En fon

Vous favez que nul n'eft prophéte
pays: Cherchons notre aventure ailleurs.
Cherchez, dit l'autre ami: pour moi je ne fouhaite
Ni climats, ni deftins meilleurs.

Contentez-vous, fuivez votre humeur inquiette :
Vous reviendrez bien-tôt. Je fais vœu cependant
De dormir en vous attendant.
L'ambitieux, ou fi l'on veut, l'avare,
'S'en va par voie & par chemin.

Il arriva le lendemain

En un lieu que devoit la Déeffe bizarre
Fréquenter fur tout autre ; & ce lieu, c'est la Cour:
Là donc, pour quelque temps, il fixe son séjour
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures
Que l'on fait être les meilleures,

Bref fe trouvant à tout, & n'arrivant à rien.
Qu'est-ceci? fe dit-il : Chercho.s ailleurs du bien :
La Fortune pourtant habite ces demeures.
Je la vois tous les jours entrer chez celui-ci,
Chez celui-là. D'où vient qu'aufsi

Je ne puis héberger cette capricieuse?

On me l'avoit bien dit, que des gens de ce lieu
L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse.
Adieu, Meffieurs de Cour, Meffieurs de Cour adieu.
Suivez jufques au bout une ombre qui vous flatte.
La Fortune a, dit-on, des Temples à (2) Surate :

(2) Groffe ville de commerce dans les Etats du Mogol, fur le Golfe de Cambaye..

Allons

'Allons là. Ce fut un de dire, & s'embarquer.

(3) Ames de bronze, humains, celui-là fut fans doute Armé de diamans, qui tenta cette route, Et le premier ofa l'abyfme défier.

Celui-ci, pendant fon voyage,

Tourna les yeux vers fon village

Plus d'une fois : effuyant les dangers
Des Pirates, des vents, du calme & des rochers,
Miniftres de la mort. Avec beaucoup de peines
On s'en va la chercher en des rives lointaines,
La trouvant assez tôt fans quitter la maison.
L'homme arrive au Mogol: on lui dit qu'au(4)Japon
La Fortune pour lors diftribuoit fes graces.
Il y court: les mers étoient laffes

De le porter; & tout le fruit
Qu'il tira de fes longs voyages,

Ce fut cette leçon que donnent les Sauvages:
Demeure en ton Pays, par la nature instruit.
Le Japon ne fut pas plus heureux à cet homme
Que le Mogol l'avoit été :

Ce qui lui fit conclure en fomme,

Qu'il avoit à grand tort fon village quitté.
Il renonce aux courfes ingrates,

Revient en fon Pays, voit de loin ses Pénates,

(3) La Fontaine imite aflez heureusement ici ce paffage d'Horace,

Illi robur & as triplex circa pectus erat. Ode 3. Liv. 1. On ne peut pas dire la même chofe de ce qui fuit,

Qui fragilem truci.commifit pelago ratem Primus.. c'est-à-dire,

II. Partie.

Qui le premier s'exposa fur l'A byfme

Dans un frêle Vaisseau.

Car l'expreffion du Poëte Latin eft fans doute beaucoup plus jufte & plus naturelle que celle-ci, Et le premier ofa l'abysme défier. (4) Puiffant Royaume a Nord-eft de la Chine.

C

Pleure de joie, & dit: Heureux qui vit chez foi, De régler fes defirs faifant tout fon emploi.

Ce

Il ne fait que par oui-dire

Ce que c'eft que la Cour, la Mer; & ton Empire,
Fortune, qui nous fais paffer devant les yeux

Des dignités, des biens, que jufqu'au bout du monde
On fuit, fans que l'effet aux promeffes réponde.
Déformais je ne bouge, & ferai cent fois mieux.
En raifonnant de cette forte,

Et contre la Fortune ayant pris ce confeil,
Il la trouve affife à la porte
De fon ami plongé dans un profond fommeil.

FABLE XIII.

Les deux Coqs.

DEux Coqs vivoient en paix, une Poule furvint;

Et voilà la guerre allumée.

Amour, tu perdis Troye ; & c'eft de toi que vint
Cette querelle envenimée,

Où du fang des Dieux-même on vit le (a) Xanthe

teint.

Long-temps, entre nos Coqs, le combat fe maintint.
Le bruit s'en répandit par tout le voifinage.
La gent qui porte crête au fpectacle accourut.
Plus d'une Hélene au beau plumage
Fut le prix du vainqueur : le vaincu difparut :
Il alla fe cacher au fond de fa retraite,

(4) Riviere qui couloit à Troye.

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