Page images
PDF
EPUB

256

LES FILLES DE MINE'E.

JE chante dans mes Vers les Filles (a) de Minée,

Troupe, aux (b) arts de Pallas, dès l'enfance adonnée,
Et de qui le travail fit entrer en courroux
Bacchus, à jufte droit de ses honneurs jaloux.
Tout Dieu veut aux humains fe faire reconnoître.
On ne voit point les champs répondre aux foins du
Maître,

Si dans les jours facrés, autour de ses guérets,
Il ne marche en triomphe en l'honneur de Cérès.

La Gréce étoit en jeux pour le fils de Sémele.
Seules on vit trois fœurs condamner ce faint zéle.
Alcithoé l'aînée ayant pris fes fuseaux,

Dit aux autres: Quoi donc, toujours des Dieux

nouveaux ?

L'Olympe ne peut plus contenir tant de têtes,
Ni l'an fournir de jours affez pour tant de fêtes.
Je ne dis rien des vœux dûs aux travaux divers
De ce Dieu qui purgea de monftres l'Univers:
Mais à quoi fert Bacchus, qu'à caufer des querelles,
Affoiblir les plus fains, enlaidir les plus belles,
Souvent mener au Styx par de triftes chemins?
Et nous irons chommer la pefte des humains?
Pour moi, j'ai réfolu de pourfuivre ma tâche.

(a) Habitant de Thebes, dont les filles furent changées en Chauve-Souris,

(b) Ouvrage de laine ou de foie,

Se donne ce jour-ci qui voudra du relâche :

Ces mains n'en prendront point. Je fuis encor d'avis Que nous rendions le temps moins long par des récits.

Toutes trois, tour à tour, racontons quelque histoire.
Je pourrois retrouver fans peine en ma mémoire
Du Monarque des Dieux les divers changemens;
Mais comme chacun fait tous ces événemens,
Difons ce que l'Amour inspire à nos pareilles:
Non toutefois qu'il faille en contant fes merveilles,
Accoutumer nos cœurs à goûter fon poison,
Car, ainfi que Bacchus, il trouble la raison.
Récitons-nous les maux que fes biens nous attirent?
Alcithoé fe tut, & fes foeurs applaudirent.

Après quelques momens, hauffant un peu la voix, Dans Thebes, reprit-elle, (1) on conte qu'autrefois Deux jeunes cœurs s'aimoient d'une égale tendresse : Pyrame, c'est l'amant, eut Thisbé pour maîtresse. Jamais couple ne fut fi bien afforti qu'eux :

L'un bien fait, l'autre belle, agréables tous deux, Tous deux dignes de plaire, ils s'aimerent fans peine,

D'autant plûtôt épris, qu'une invincible haine
Divifant leurs parens, ces deux Amans unit,
Et concourut aux traits dont l'Amour fe fervit.
Le hazard, non le choix, avoit rendu voifines
Leurs maisons où régnoient ces guerres intestines:
Ce fut un avantage à leurs defirs naissans.
Le cours en commença par des jeux innocens;
(1) Sujet tiré des Métamorphofes d'OVIDE, Liv. IV.

La premiere étincelle eut embrasé leur ame,
Qu'ils ignoroient encor ce que c'étoit que flamme:
Chacun favorifoit leurs tranfports mutuels,
Mais c'étoit à l'infu de leurs parens cruels.

La défenfe eft un charme : on dit qu'elle affaifonne
Les plaisirs, & fur tout ceux que l'amour nous donne,
D'un des logis à l'autre, elle inftruifit du moins
Nos Amans à fe dire avec figne leurs foins.
Ce léger réconfort ne les put fatisfaire;
Il fallut recourir à quelque autre mystére.
Un vieux mur entr'ouvert féparoit leurs maisons,
Le temps avoit miné fes antiques cloisons:
Là, fouvent de leurs maux ils déploroient la caufe;
Les paroles paffoient, mais c'étoit peu de chofe.
Se plaignant d'un tel fort, Pyrame dit un jour :
Chere Thisbé, le Ciel veut qu'on s'aide en amour.
Nous avons à nous voir une peine infinie:
Fuyons de nos parens l'injuste tyrannie :

J'en ai d'autres en Grèce, ils fe tiendront heureux
Que vous daigniez chercher un afyle chez eux :
Leur amitié, leurs biens, leur pouvoir, tout m'invité
A prendre le parti dont je vous follicite.
C'est votre feul repos qui me le fait choisir,
Car je n'ofe parler, hélas! de mon defir;
Faut-il à votre gloire en faire un facrifice?
De crainte des vains bruits faut-il que je languiffe?
Ordonnez, j'y confens; tout me femblera doux;
Je vous aime, Thisbé, moins pour moi que pour

vous.

J'en pourrois dire autant, lui repartit l'Amante;
Votre amour étant

pure encor que

véhémente,

Je vous fuivrai partout: notre commun repos
Me doit mettre au-deffus de tous les vains propos.
Tant que de ma vertu je ferai fatisfaite,

Je rirai des difcours d'une langue indiscrette,
Et m'abandonnerai fans crainte à votre ardeur,
Contente que je fuis des foins de ma pudeur.
Jugez ce que fentit Pyrame à ces paroles;
Je n'en fais point ici de peintures frivoles.
Suppléez au peu d'art que le Ciel mit en moi:
Vous-même peignez-vous cet Amant hors de foi.
Demain, dit-il, il faut fortir avant l'Aurore;
N'attendez point les traits que fon char fait éclore:
Trouvez-vous aux degrez du terme de Cérès :
Là, nous nous attendrons : le rivage est tout près:
Une barque eft au bord, les Rameurs, le vent même,
Tout, pour notre départ, montre une hâte extrême ;
L'augure en eft heureux, notre fort va changer;
Et les Dieux font pour nous, fi je fai bien juger.
Thisbé confent à tout: elle en donne pour gage
Deux baifers, par le mur, arrêtés au paffage.
Heureux mur! tu devois fervir mieux leur defir ;
Ils n'obtinrent de toi qu'une ombre de plaisir.
Le lendemain Thisbé fort & prévient Pyrame:
L'impatience, hélas ! maîtreffe de fon ame,
La fait arriver feule & fans guide aux degrez;
L'ombre & le jour luttoient dans les champs azurez.
Une Lionne vint, monftre imprimant la crainte,
D'un carnage récent fa gueule est toute teinte.
Thisbé fuit; & fon voile emporté par les airs,
Source d'un fort cruel, tombe dans ces déferts.
La Lionne le voit, le fouille, le déchire;

Z üüj

Et l'ayant teint de fang, aux forêts fe retire.
Thisbé s'étoit cachée en un buiffon épais.

Pyrame arrive, & voit ces vestiges tous frais.

O Dieux! Que devient-il? Un froid court dans fes veines,

Il apperçoit le voile étendu dans ces plaines:
Il le léve; & le fang joint aux traces des pas :
L'empêche de douter d'un funefte trépas.
Thisbé, s'écria-t-il, Thisbé, je t'ai perdue!
Te voilà, par ma faute, aux Enfers defcendue!
Je l'ai voulu : c'est moi qui fuis le monftre affreux
Par qui tu t'en vas voir le féjour ténébreux:
Atten-moi, je te vais rejoindre aux rives fombres;
Mais m'oferai-je à toi présenter chez les Ombres?
Jouis au moins du fang que je te vais offrir,
Malheureux de n'avoir qu'une mort à fouffrir.
Il dit, & d'un poignard coupe auffi-tôt sa trame.
Thisbé vient; Thisbé voit tomber fon cher Pyrame:
Que devient-elle auffi? Tout lui manque à la fois,
Les fens & les efprits auffi-bien que la voix.
Elle revient enfin; Cloton, pour l'amour d'elle,
Laiffe à Pyrame ouvrir fa mourante prunelle.
Il ne regarde point la lumière des Cieux :
Sur Thisbé feulement il tourne encor les yeux.
Il voudroit lui parler, fa langue est retenue:
Il témoigne mourir content de l'avoir vûe.
Thisbé prend le poignard; & découvrant son sein,
Je n'accuferai point, dit-elle, ton deffein,
Bien moins encor l'erreur de ton ame alarmée:
Ce feroit t'accufer de m'avoir trop aimée.

Je ne t'aime pas moins: tu vas voir que mon cœur

« PreviousContinue »