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L'Eléphant repartit : Quoi, vous ne savez pas
Que le Rinocéros me difpute le pas ?

Qu'Eléphantide a guerre avecque Rinocére?
Vous connoiffez ces lieux, ils ont quelque renom.
Vraiment je fuis ravi d'en apprendre le nom,
Repartit Maître Gille, on ne s'entretient guére
De femblables fujets dans nos vastes lambris.
L'Eléphant, honteux & furpris,

Lui dit : Et parmi nous, que venez-vous donc faire?
Partager un brin d'herbe entre quelques Fourmis. ·
Nous avons foin de tout : Et quant à votre affaire,
On n'en dit rien encore dans le Confeil des Dieux.
Les petits & les grands font égaux à leurs yeux.

FABLE XXII.

Un Fou & un Sage.

Certain
Ertain Fou pourfuivoit à coups de pierre un
Sage.

Le Sage fe retourne, & lui dit : Mon ami,
C'est fort bien fait à toi, reçoi cet écu-ci :
Tu fatigues affez pour gagner davantage.
Toute peine, dit-on, eft digne de loyer.
Voi cet homme qui paffe, il a de quoi payer :
Adreffe-lui tes dons, ils auront leur falaire.
Amorcé par le gain, notre Fou s'en va faire
Même infulte à l'autre Bourgeois.

On ne le paya pas en argent cette fois.

Maint Eftafier accourt: on vous happe notre homme,

On vous l'échine, on vous l'affomme.

Auprès des Rois il eft de pareils Fous.
A vos dépens ils font rire le Maître.
Pour réprimer leur babil, irez-vous
Les maltraiter? Vous n'étes pas peut-être
Affez puiffant. Il faut les engager
A s'adreffer à qui peut fe venger.

FABLE XXII I.

Le Renard Anglois.

A MADAME HARVAY.

LE bon cœur eft chez vous compagnon du bor

fens,

Avec cent qualités trop longues à déduire,
Une nobleffe d'ame, un talent pour conduire
Et les affaires & les gens,

Une humeur franche & libre, & le don d'être amie,
Malgré Jupiter même, & les temps orageux:
Tout cela méritoit un éloge pompeux :

Il en eut été moins, felon votre génie.
La pompe vous déplaît, l'éloge vous ennuie:
J'ai donc fait celui-ci court & fimple. Je veux
Y coudre encore un mot ou deux

En faveur de votre patrie :

Vous l'aimez. Les Anglois penfent profondément,
Leur efprit en cela fuit leur tempérament.
Creufant dans les fujets, & forts d'expériences

Ils étendent partout l'empire des Sciences.

Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour.
Vos gens, à pénétrer, l'emportent fur les autres :
Même les Chiens de leur féjour

Ont meilleur nez que n'ont les nôtres. Vos Renards font plus fins, je m'en vais le prouver Par un d'eux, qui, pour se fauver,

Mit en ufage un ftratagême

Non encor pratiqué, des mieux imaginés.
Le fcélérat réduit en un péril extrême,

Et prefque mis à bout par ces Chiens au bon nez,
Paflà près d'un patibulaire.

Là, des animaux raviffans,

Bléreaux, Renards, Hiboux, race encline à mal faire,
Pour l'exemple pendus inftruifoient les paffans.
Leur confrere, aux abois, entre ces morts s'arrange.
Je crois voir Annibal, qui preffé des Romains,
Met leurs Chefs en défaut, ou leur donne le change;
Et fait en vieux Renard s'échapper de leurs mains.
Les (1) Clefs de meutes parvenues

A l'endroit où pour mort le traître se pendit,
Remplirent l'air de cris : leur Maître les rompit
Bien que de leurs abois ils perçaffent les nues.
Il ne put foupçonner ce tour affez plaifant.

(1) Clefs de meute, terme de Venerie, pour défigner les meilleurs Chiens qui fervent à conduire, & à redreffer les autres Chiens de la meute. Quelquefais c'eft un feul Chien qui eft la Clef de la meute: ce que je mets ici pour avertir les Correcteurs de ne plus laiffer paffer,

comme ils ont fait plufieurs fois, le mot de Chefs, conftruit avec parvenues: faute des plus groffiéres, qui corrigée dans l'Errata de l'Edition où elle fut introduite la premiere fois, n'auroit jamais paru dans aucune autre Edition.

Quelque terrier, dit-il, a fauvé mon galant.
Mes Chiens n'appellent point au-delà des colonnes
Où font tant d'honnêtes perfonnes.

Il y viendra, le drôle. Il y vint, à son dam.
Voilà maint Baffet clabaudant;

Voilà notre Renard au charnier se guindant.
Maître pendu croyoit qu'il en iroit de même
Que le jour qu'il tendit de femblables panneaux:
Mait le pauvret, ce coup, y laiffa ces (2) houseaux,
Tant il eft vrai qu'il faut changer de stratagême.
Le Chaffeur, pour trouver fa propre fûreté,
N'auroit pas cependant un tel tour inventé,
Non point par peu d'efprit: Eft-il quelqu'un qui n
Que tout Anglois n'en ait bonne provision?
Mais le peu d'amour pour la vie

Leur nuit en mainte occafion.

dire

Je reviens à vous, non pour
D'autres traits fur votre fujet;
Tout long éloge est un projet
Peu favorable pour ma Lyre:
Peu de nos chants, peu de nos vers

Par un encens flatteur amufent l'Univers;
Et fe font écouter des Nations étranges.
Votre Prince vous dit un jour

Qu'il aimoit mieux un trait d'amour
Que quatre pages de louanges.

Agréez feulement le don que je vous fais
Des derniers efforts de ma Mufe:

(2) Pour dire, perdit la vie. Voyez fur cette expreffion le Diction naire de l'Académie Françoise, au mot Housean.

C'est peu de chofe : elle eft confufe
De ces ouvrages imparfaits.

Cependant ne pourriez-vous faire
Que le même hommage pût plaire
A celle qui remplit vos climats d'habitans
Tirés de l'Ile de Cythere?

Vous voyez par là que j'entens

(3) Mazarin, des Amours Déeffe tutélaire.

(3) La belle Hortenfe, Ducheffe de Mazarin, niéce du Cardinal Mazarin, laquelle pour

vivre éloignée de son mari, se retira en Angleterre, où elle finit fes jours en 1699.

FABLE XXIV.

Daphnis & Alcimadure.

IMITATION DE THEOCRITE.

A MADAME DE LA MESANGERE,

A Imable fille d'une mere

A qui feule aujourd'hui mille cœurs font la cour,
Sans ceux que l'amitié rend foigneux de vous plaire,
Et quelques-uns encor que vous garde l'amour,
Je ne puis qu'en cette Préface
Je ne partage entre elle & vous

Un peu de cet encens qu'on recueille au Parnasse,
Et que j'ai le fecret de rendre exquis & doux.

Je vous dirai donc.... Mais tout dire,

Ce feroit trop, il faut choifir,

Ménageant ma voix & ma Lyre,

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