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Vont aux humains en donner des leçons.

La Gazelle, le Rat, le Corbeau, la Tortue
Vivoient ensemble unis: douce fociété.

Le choix d'une demeure aux humains inconnue
Affuroit leur félicité.

Mais quoi, l'homme découvre enfin toutes retraites.
Soyez au milieu des déferts,

Au fond des eaux, au haut des airs,
Vous n'éviterez point fes embûches fecrettes.
La Gazelle s'alloit ébattre innocemment;
Quand un Chien, maudit inftrument
Du plaifir barbare des hommes,
Vint fur l'herbe éventer les traces de fes pas.
Elle fuit ; & le Rat, à l'heure du repas,
Dit aux amis reftans : D'où vient que nous ne fommes
Aujourd'hui que trois conviés?

La Gazelle déjà nous a-t-elle oubliés ?
A ces paroles la Tortue

S'écrie, & dit : Ah! fi j'étois

Comme un Corbeau d'aîles pourvûe,
Tout de ce pas je m'en irois
Apprendre au moins quelle contrée,
Quel accident tient arrêtée
Notre compagne au piéd léger:
Car, à l'égard du cœur, il en faut mieux juger.
Le Corbeau part à tire d'aîle :

Il apperçoit de loin l'imprudente Gazelle,
Prife au piége, & fe tourmentant.

Il retourne avertir les autres à l'inftant.

Car de lui demander quand, pourquoi, ni comment.

Ce malheur est tombé fur elle,

Et perdre en vains difcours cet utile moment,
Comme eût fait un Maître d'Ecole,
Il avoit trop de jugement.

Le Corbeau donc vole & revole.
Sur fon rapport les trois amis
Tiennent confeil. Deux font d'avis
De fe tranfporter fans remise

Aux lieux où la Gazelle est prise.
L'autre, dit le Corbeau, gardera le logis:
Avec fon marcher lent quand arriveroit-elle ?
Après la mort de la Gazelle.

Ces mots à peine dits, ils s'en vont fecourir
Leur chere & fidéle compagne,
Pauvre chevrette de montagne.

La Tortue y voulut courir :

La voilà comme eux en campagne,

Maudiffant fes piéds courts avec jufte raison,
Et la néceffité de porter fa maison.

Rongemaille (le Rat eut à bon droit ce nom)
Coupe les nœuds du lacs: on peut penser la joie.
Le Chaffeur vient, & dit : Qui m'a ravi ma proie ?
Rongemaille, à ces mots fe retire en un trou,
Le Corbeau fur un arbre, en un bois la Gazelle:
Et le Chaffeur à demi fou

De n'en avoir nulle nouvelle,

Apperçoit la Tortue, & retient fon courroux.
D'où vient, dit-il, que je m'effraie ?
Je veux qu'à mon fouper celle-ci me défraie.
Il la mit dans fon fac. Elle eût payé pour tous,
Sile Corbeau n'en eût averti la Chevrette.

Celle-ci quittant fa retraite,

Contrefait la boiteufe & vient se présenter.
L'homme de fuivre, & de jetter

Tout ce qui lui pefoit, fi bien que Rongemaille
Autour des nœuds du fac tant opere & travaille
Qu'il délivre encor l'autre fœur

Sur qui s'étoit fondé le foupé du Chasseur.

Pilpay conte qu'ainfi la chofe s'eft paffée.
Pour peu que je vouluffe invoquer Apollon,
J'en ferois, pour vous plaire, un ouvrage auffi long
Que l'Iliade ou l'Odyssée.

Rongemaille feroit le principal Héros,
Quoi qu'à vrai dire ici chacun foit néceffaire.
Porte-maifon l'Infante y tient de (2) tels propos,
Que Monfieur du Corbeau va faire

Office d'Efpion, & puis de Messager.
La Gazelle a d'ailleurs l'adreffe d'engager
Le Chaffeur à donner du temps à Rongemaille.
Ainfi, chacun en fon endroit
S'entremet, agit & travaille.

A qui donner le prix ? Au cœur, fi l'on m'en croit.
Que n'ofe & que ne peut l'amitié violente!
Cet autre fentiment que l'on appelle Amour
Mérite moins d'honneur : cependant chaque jour
Je le célébre, & je le chante.

Hélas! Il n'en rend pas mon ame plus contente.
Vous protégez fa fœur, il fuffit; & mes Vers
Vont s'engager pour elle à des tons tous divers.

(2) Des difcours fi preffans, fi pathétiques, qu'à fa perfuafion le Corbeau ya faire office d'Efpion, &c.

Mon

Mon maître étoit l'Amour, j'en vais fervir (3) un

autre ;

Et porter par tout l'Univers

Sa gloire auffi-bien que la vôtre.

(3) Un Amour directement fondé fur l'eftime, & dont le nom propre eft Amitié.

FABLE X V I.

La Forêt & le Bucheron.

UN Bucheron venoit de rompre ou d'égarer
Le bois dont il avoit emmanché fa coignée.
Cette perte ne put fi-tôt se réparer

Que la Forêt n'en fût quelque temps épargnée.
L'homme enfin la prie humblement

De lui laiffer tout doucement
Emporter une unique branche

Afin de faire un autre manche.
Il iroit employer ailleurs fon gagne-pain :
Il laifferoit debout maint Chêne & maint Sapin
Dont chacun refpectoit la vieilleffe & les charmes.
L'innocente Forêt lui fournit d'autres armes.
Elle en eut du regret. Il emmanche fon fer.
Le miférable ne s'en fert
Qu'à dépouiller fa bienfaitrice
De fes principaux ornemens.
Elle gémit à tous momens.
Son propre don fait fon fupplice.

Voilà le train du monde, & de fes Sectateurs:

II. Partie.

ས.

On s'y fert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je fuis las d'en parler : mais que de doux ombrages
Soient expofés à ces outrages,
Qui ne fe plaindroit là-dessus!

Hélas! J'ai beau crier, & me rendre incommode;
L'ingratitude & les abus

N'en feront pas moins à la mode.

FABLE X VII.

Le Renard, le Loup & le Cheval.

UN Renard jeune encor, quoique des plus ma

drés,

Vit le premier Cheval qu'il eut vû de sa vie.
Il dit à certain Loup, franc novice: Accourez,
Un animal paît dans nos prez,

Beau, grand, j'en ai la vûe encor toute ravie.
Eft-il plus fort que nous ? dit le Loup en riant:
Fais-moi fon portrait, je te prie.

Si j'étois quelque Peintre, ou quelque Etudiant,
Repartit le Renard, j'avancerois la joie
Que vous aurez en le voyant.

Mais venez: Que fait-on ? Peut-être eft-ce une proie
Que la fortune nous envoie.

Ils vont ; & le Cheval qu'à l'herbe on avoit mis,
Affez peu curieux de femblables amis,
Fut prefque fur le point d'enfiler la venelle.
Seigneur, dit le Renard, vos humbles ferviteurs
Apprendroient volontiers comment on vous appelle.

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