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Le Renard, les Mouches, & le Hériffon.

A Ux traces de fon fang, un vieux hôte des bois,

Renard fin, fubtil & matois,

Bleffé par des Chaffeurs, & tombé dans la fange,
Autrefois attira ce Parafite aîlé

Que nous avons Mouche appellé.
Il accufoit les Dieux, & trouvoit fort étrange
Que le Sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux Mouches manger.

Quoi! Se jetter fur moi, fur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts?

Depuis quand les Renards font-ils un fi bon mets?
Et que me fert ma queue? Eft-ce un poids inutile?
Va, le Ciel te confonde, animal importun:
Que ne vis-tu fur le commun!

Un Hériffon du voisinage,

Dans mes Vers nouveau perfonnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Du peuple plein d'avidité.

Je les vais, de mes dards, enfiler par centaines,
Voifin Renard, dit-il, & terminer tes peines.
Garde-t'en bien, dit l'autre : ami, ne le fai pas:
Laiffe-les, je te prie, achever leur repas.
Ces animaux font fouls: une troupe nouvelle
Viendroit fondre fur moi, plus âpre & plus cruelle.

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas:

II. Partie.

T

Ceux-ci font Courtifans, ceux-là font Magiftrats.
Ariftote appliquoit cet Apologue aux Hommes.
Les exemples en font communs,

Sur tout au pays où nous fommes.

(1) Plus telles gens font pleins, moins ils font im'portuns.

(1) On fait un conte, qui vrai ou faux, peut fervir également à illuftrer cette ancienne Fable. Un riche Financier, qui s'étoit engraifle des malheurs de la France, fous le regne de Louis XIV. fe trouvant un jour à la campagne, comme il fe promenoit dans fes jardins délicieux, ordre lui vint de fe démettre de fon Emploi. Surpris de cette nouvelle, il dit à celui qui la lui

annonçoit, Pen fuis faché : car après avoir fait mes affaires, Fallois faire celles du Roi. » Cela étant, auroit pû dire le

Rai, je révoque mon ordre, » je lui rends fon Emploi, de » peur que celui que je nomme

rois à fa place, tout prêt à l'imiter, ne fongeât d'abord » qu'à piller les revenus de la » Couronne, qu'à s'enrichir à » mes dépens.

FABLE XIV.

L'Amour & la Folie.

Tout eft mystére dans l'Amour,

Ses fléches, fon carquois, fon flambeau, fon enfance, Ce n'eft pas l'ouvrage d'un jour,

Que d'épuifer cette Science.

Je ne prétens donc point tout expliquer ici.
Mon but eft feulement de dire à ma maniére
Comment l'aveugle que voici

(C'est un Dieu) comment, dis-je, il perdit la lumière: Quelle fuite eut ce mal, qui peut-être eft un bien.

J'en fais Juge un amant, & ne décide rien.

La Folie & l'Amour jouoient un jour ensemble. Celui-ci n'étoit pas encor privé des

yeux.

Une difpute vint: l'Amour veut qu'on affemble
Là-deffus le Confeil des Dieux.
L'autre n'eut pas la patience.
Elle lui donne un coup fi furieux,
Qu'il en perd la clarté des Cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme & mere, il fuffit pour juger de fes cris:
Les Dieux en furent étourdis,

Et Jupiter, & (a) Néméfis,

Et les Juges d'Enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas.

Son fils, fans un bâton, ne pouvoit faire un pas.
Nulle peine n'étoit pour ce crime affez grande.
Le dommage devoit être auffi réparé.
Quand on eut bien confidéré

L'intérêt du public, celui de la partie,
Le Réfultat enfin de la fuprême Cour
Fut de condamner la Folie

A fervir de guide à l'Amour.

(a) La Déeffe de la Juftice vengereffe.

N

FABLE X V.

Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue & le Rat.

(1) A MADAME DE LA SABLIERE.

JE vous gardois un Temple dans mes Vers:

Il n'eût fini qu'avecque l'Univers.
Déjà ma main en fondoit la durée

Sur ce bel Art (a) qu'ont les Dieux inventé;
Et fur le nom de la Divinité

Que dans ce Temple on auroit adorée.
Sur le Portail j'aurois ces mots écrits :
PALAIS SACRE' DE LA DEESSE IRIS.
Non celle-là qu'a Junon à fes gages;

Car Junon même, & le Maître des Dieux
Serviroient l'autre, & feroient glorieux
Du feul honneur de porter fes meffages.
L'Apothéofe à la voûte eût paru.
Là, tout l'Olympe en pompe eût été vû
Plaçant Iris fous un dais de lumiére.
Les murs auroient amplement contenu
Toute fa vie, agréable matiére,
Mais peu féconde en ces événemens
Qui des Etats font les renverfemens.
Au fond du Temple eût été son Image,
Avec fes traits, fon foûris, fes appas,

(1) Dame illuftre par fon | (4) La Poële. beau génie.

Son art de plaire & de n'y penser pas,
Ses agrémens à qui tout rend hommage.
J'aurois fait voir à fes piéds des mortels,
Et des Héros, des demi-Dieux encore,
Même des Dieux : ce que le monde adore
Vient quelquefois parfumer fes Autels.
J'euffe en fes yeux fait briller de fon ame
Tous les tréfors, quoi qu'imparfaitement :
Car ce cœur vif & tendre infiniment,
Pour fes amis, & non point autrement,
Car cet efprit qui né du Firmament
A beauté d'homme avec graces de femme,
Ne fe peut pas comme on veut exprimer.
O vous, Iris, qui favez tout charmer,
Qui favez plaire en un degré fuprême,
Vous que l'on aime à l'égal de foi-même,
(Ceci foit dit fans nul foupçon d'amour,
Car c'est un mot banni de votre Cour,
Laiffons-le donc) agréez que ma Muse
Achéve un jour cette ébauche confuse.
J'en ai placé l'idée & le projet,
Pour plus de grace, au-devant d'un fujet
Où l'amitié donne de telles marques,
Et d'un tel prix, que leur fimple récit
Peut quelque temps amufer votre efprit.
Non que ceci fe paffe entre Monarques:
Ce que chez vous nous voyons estimer
N'eft pas un Roi qui ne fait point aimer,
C'est un mortel qui fait mettre fa vie
Pour fon ami. J'en vois peu de fi bons,
Quatre animaux, vivans de compagnie

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