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Ce n'eft pas ce qu'on croit, que d'entrer chez les
Dieux :

Cet honneur a fouvent de mortelles angoiffes.
Redifeurs, efpions, gens à l'air gracieux,
Au cœur tout différent, s'y rendent odieux,
Quoi qu'ainfi que la Pie il faille dans ces lieux
Porter (2) habit de deux Paroiffes.

(2) Etre toujours prêt à jouer divers perfonnages, directement oppofés.

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Le Roi, le Milan, & le Chaffeur.

A SON ALTESSE SERENISSIME

MONSEIGNEUR

LE PRINCE DE CONTY.

Comme les Dieux font bons, ils veulent

Rois

Le foient auffi: c'est l'indulgence

que

les

Qui fait le plus beau de leurs droits,
Non les douceurs de la vengeance.

Prince, c'eft votre avis. On fait que le courroux
S'éteint en votre cœur fi-tôt qu'on l'y voit naître,
Achille, qui du fien ne put fe rendre maître,

Fut par là moins Héros

que vous.

Ce titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes, Qui comme en l'âge d'or font cent biens ici-bas.

Peu de Grands font nés tels en cet âge où nous
fommes.
L'Univers leur fait gré du mal qu'ils ne font pas.
Loin que vous fuiviez ces exemples,

Mille actes généreux vous promettent des Temples.
Apollon, citoyen de ces auguftes lieux,

Prétend y célébrer votre nom fur fa Lyre.

Je fais qu'on vous attend dans le Palais des Dieux;
Un fiécle de féjour ici doit vous fuffire.
Hymen veut féjourner tout un fiécle chez vous.
Puiffent fes plaifirs les plus doux
Vous compofer des destinées
Par ce temps à peine bornées!

Et la (a) Princeffe & vous n'en méritez pas moins;
J'en prens fes charmes pour témoins:
Pour témoins j'en prens les merveilles
Par qui le Ciel pour vous prodigue en ses préfens,
De qualités qui n'ont qu'en vous feul leurs pareilles,
Voulut orner vos jeunes ans.
BOURBON, de fon efprit fes graces affaifonne,
Le Ciel joignit en fa personne
Ce qui fait fe faire eftimer

A ce qui fait fe faire aimer.

Il ne m'appartient pas d'étaler votre joie :
Je me tais donc, & vais rimer

Ce que fit un Oifeau de proie.

Un Milan, de fon nid antique poffeffeur
Etant pris vif par un Chaffeur,

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D'en faire au Prince un don cet homme fe propofe, La rareté du fait donnoit prix à la chose.

(4) Fille légitimée de Louis XIV. mariée en 1689,

L'Oifeau, par le Chaffeur, humblement présenté,
Si ce conte n'eft apocrife,

Va tout droit imprimer sa griffe
Sur le nez de fa Majesté.

Quoi, fur le nez du Roi? Du Roi même en perfonne.
Il n'avoit donc alors ni Sceptre ni Couronne?
Quand il en auroit eu, ç'auroit été tout un.
Le nez Royal fut pris comme un nez du commun.
Dire des Courtisans les clameurs & la peine,
Seroit fe confumer en efforts impuiffans.
Le Roi n'éclata point : les cris font indécens
A la Majefté fouveraine.

L'Oifeau garda fon poste. On ne put seulement
Hâter fon départ d'un moment.

Son Maître le rappelle, & crie, & fe tourmente, Lui préfente le leurre, & le poing, mais en vain. On crut que jufqu'au lendemain

Le maudit animal à la ferre infolente,

Nicheroit là malgré le bruit,

Et fur le nez facré voudroit paffer la nuit :
Tâcher de l'en tirer irritoit fon caprice.
Il quitte enfin le Roi, qui dit : Laissez aller
Ce Milan, & celui qui m'a cru régaler.
Ils fe font acquittés, tous deux de leur office,
L'un en Milan, & l'autre en citoyen des bois.
Pour moi qui fais comment doivent agir les Rois,
Je les affranchis du fupplice.

Et la Cour d'admirer. Les Courtifans ravis
Elevent de tels faits, par eux fi mal fuivis.
Bien peu, même des Rois, prendroient un tel mo-
déle,

Et le Véneur l'échappa belle, Coupable feulement, tant lui que l'animal, D'ignorer le danger d'approcher trop du Maître. Ils n'avoient appris à connoître

Que les hôtes des bois : Etoit-ce un fi grand mal?

(1) Pilpay fait, près du Gange, arriver l'aventure.
Là nulle humaine créature

Ne touche aux animaux pour leur fang épancher :
Le Roi même feroit fcrupule d'y toucher.
Savons-nous, difent-ils, fi cet Oiseau de proie
N'étoit point au Siége de Troie ?

Peut-être y tint-il lieu d'un Prince ou d'un Héros,
Des plus hupés & des plus hauts.
Ce qu'il fut autrefois, il pourra l'être encore.
Nous croyons après (b) Pithagore,

Qu'avec les animaux de forme nous changeons,
Tantôt Milans, tantôt Pigeons,
Tantôt Humains, puis Volatilles
Ayans dans les airs leurs familles.

Comme l'on conte en deux façons L'accident du Chaffeur, voici l'autre maniére. Un certain Fauconnier ayant pris, ce dit-on, A la chaffe un Milan (ce qui n'arrive guére) En voulut au Roi faire un don, Comme de chofe finguliére.

Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans,

(1) Auteur Indien. Voyez cideffus ce que La Fontaine en dit dans un Avertiffement, page 3. de cette deuxième Partie.

(b) Philofophe, qui a crû que les ames paffoient dans les corps de différens animaux.

C'est le non (2) plus ultrà de la Fauconnerie.
Ce Chaffeur perce donc un gros de Courtifans,
Plein de zéle, échauffé s'il le fut de fa vie.
Par ce parangon des préfens

Il croyoit fa fortune faite,
Quand l'animal porte-fonnette,
Sauvage encor & tout groffier,
Avec fes ongles tout d'acier,

Prend le nez du Chasseur, hape le pauvre Sire.
Lui de crier, chacun de rire,

Monarque & Courtifans. Qui n'eût ri? Quant à

moi

Je n'en euffe quitté ma part pour un Empire.
Qu'un Pape rie, en bonne foi,

Je n'ofe l'affurer, mais je tiendrois un Roi
Bien malheureux s'il n'ofoit rire:

C'est le plaifir des Dieux. Malgré fon noir fouci,
Jupiter, & le peuple Immortel rit auffi.

Il en fit des éclats, à ce que dit (3) l'Histoire, Quand Vulcain, clopinant, vint lui donner à boire. Que le peuple Immortel se montrât fage ou non, J'ai changé mon fujet avec juste raison,

Car, puifqu'il s'agit de morale,

Que nous eût du Chaffeur l'aventure fatale
Enfeigné de nouveau? L'on a vû de tout temps
Plus de fots Fauconniers, que de Rois indulgens.

(2) Le cas le plus rare, le plus extraordinaire.

(3) Homere dans l'Iliade, Liv, I. où ce Poëte dit que les Dieux éclaterent d'un ris inex

tinguible, ce qui paroît peu digne de leur caractére, comme La Fontaine l'infinue affez ou vertement.

FABLE

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