A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE. M ONSEIGNEUR, JE ne puis employer pour mes Fables; de protection qui me foit plus glorieufe que la vôtre. (1) Fils du Dauphin fils unique de Louis XIV. & qui, Dauphin enfuite lui-même, mourut âgé de trente ans le 18 Février 1712. Il laiffa un fils, qui fuc ceffeur de Louis XIV. eft à préfent fur le Trône, en 1745. & porte le nom de Louis XV, Ce goût exquis, & ce jugement fi folide que vous faites paroître dans toutes chofes au-delà d'un âge où à peine les autres Princes font-ils touchés de ce qui les environne avec le plus d'éclat ; tout cela joint au devoir de vous obéir & à la passion de vous plaire, m'a obligé de vous préfenter un Ouvrage, dont l'Original a été l'admiration de tous les fiécles, auffi-bien que celle de tous les Sages. Vous m'avez même ordonné de continuer ; & fi vous me permettez de le dire, il y a des fujets dont je vous fuis redevable, & où vous avez jetté des graces qui ont été admirées de tout le monde. Nous n'avons plus befoin de confulter ni Apollon, ni les Muses, ni aucunes des Divinitez du Parnaffe. Elles fe rencontrent dans les préfens que vous a faits la Nature, & dans cette fcience de bien juger des Ouvrages da l'efprit, à quoi vous joignez déjà celle de connoître toutes les regles qui y conviennent. Les Fables d'Efope font une ample matiere pour ces talens. Elles embraffent toutes fortes d'événemens & de caractéres. Ces mensonges font proprement une maniére d'Hiftoire, où on ne flatte perfonne. Ce ne font pas chofes de peu d'importance que ces fujets. Les Animaux font les Précepteurs des Hommes dans mon Ouvrage. Je ne m'étendrai pas davans tage là-deffus: Vous voyez mieux que moi le profit qu'on en peut tirer. Si vous vous connoissez maintenant en Orateurs & en Poëtes, Vous vous connoîtrez encore mieux quelques jours en bons Politiques & en bons Généraux d'Armée ; & Vous vous tromperez auffi peu au choix des Perfonnes qu'au mérite des Actions. Je ne fuis pas d'un âge à efpérer d'en être témoin. Il faut que je me contente de travailler fous vos ordres. L'envie de vous plaire me tiendra lieu d'une imagination que les ans ont affoiblie. Quand vous fouhaiterez, quelque Fable, je la trouverai dans ce fonds-là. Je voudrois bien que vous y puiffiez trouver des louanges dignes du (a) Monarque qui fait maintenant le deftin de tant de Peuples & de Nations; & qui rend toutes les parties du Monde attentives à fes Conquêtes, à fes Victoires, & à la Paix qui femble Se rapprocher, & dont il impofe les conditions avec toute la modération que peuvent fouhaiter nos Ennemis. Je me le figure comme un Conquérant qui veut mettre des bornes à fa Gloire & à fa Puiffance, & de qui on pourroit dire à meilleur titre, qu'on ne l'a dit d'Alexandre, qu'il va tenir les Etats de P'Univers, en obligeant les Miniftres de tant de (a) Louis XIV. fon Ayeul. Princes de s'affembler, pour terminer une guerrè qui ne ne peut être que ruineufe à leurs Maîtres. Ce font des fujets au-dessus de nos paroles : je les laisse à de meilleures Plumes que la mienne; & fuis avec un profond respect, MONSEIGNEUR, Votée très-humble, très-obéiffant & très-fidéle Serviteur 5 LIVRE DOUZIÉME. FABLE PREMIERE. Les Compagnons d'Ulyffe. A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE. PRince, l'unique objet du foin des Immortels, Dans la carriére de la Gloire. Quelque Dieu le retient, (c'eft notre Souverain) Lui qu'un mois a rendu maître & vainqueur du Rhin. Cette rapidité fut alors nécessaire: Peut-être elle feroit aujourd'hui téméraire. Je m'en tais; auffi-bien les Ris & les Amours |