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Ces Anes, non contens de s'être ainfi gratés,

S'en allerent dans les Cités

L'un l'autre fe prôner. Chacun d'eux croyoit faire En prifant fes pareils, une fort bonne affaire, Prétendant que l'honneur en reviendroit fur lui. J'en connois beaucoup aujourd'hui,

Non parmi les Baudets, mais parmi les Puiffances Que le Ciel voulut mettre en de plus hauts degrés, Qui (3) changeroient entr'eux les fimples Excellences,

S'ils ofoient, en des Majeftés.

J'en dis peut-être plus qu'il ne faut ; & suppose
Que votre Majefté gardera le secret.

L'amour propre,

Elle avoit fouhaité d'apprendre quelque trait
Qui lui fit voir entre autre chofe,
donnant du ridicule aux gens.
L'injufte aura fon tour : il y faut plus de temps,
Ainfi parla ce Singe. On ne m'a pas fû dire
S'il traita l'autre point, car il est délicat ;
Et notre Maître ès Arts qui n'étoit pas un fat,
Regardoit ce Lion comme un terrible Sire.

(3) Se donneroient des titres d'honneur fuperieurs à ceux qui appartiennent à leur rang, com

me les Princes qui affecteroient d'être traités en Rois.

M

FABLE V I.

Le Loup & le Renard.

Ais d'où vient qu'au Renard Efope accorde un
point?

C'est d'exceller en tours pleins de matoiferie.
J'en cherche la raison, & ne la trouve point.
Quand le Loup a befoin de défendre fa vie,
Ou d'attaquer celle d'autrui,

N'en fait-il pas autant que lui?

Je crois qu'il en fait plus, & j'oferois peut-être
Avec quelque raison contredire mon Maître.
Voici pourtant un cas où tout l'honneur échut
A l'hôte des terriers. Un foir il apperçut
La Lune au fond d'un puits: (a) l'orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.

Deux fceaux alternativement'
Puifoient le liquide élément.

Notre Renard pressé par une faim (1) canine,
S'accommode en celui qu'au haut de la machine
L'autre fceau tenoit fufpendu.

Voilà l'animal defcendu,

Tiré d'erreur, mais fort en peine;
Et voyant fa perte prochaine :

Car comment remonter, fi quelqu'autre affamé,
De la même image charmé,

(a) La forme ronde de la Lune dans l'eau.

(1) Très-grande faim, à la quelle font fujets les Chiens, & bien d'autres animaux.

Et fuccedant à fa mifére

Par le même chemin ne le tiroit d'affaire? Deux jours s'étoient paffés fans qu'aucun vînt au puits:

Le temps qui toujours marche, avoit, pendant deux

nuits,

Echancré, felon l'ordinaire,

(b) De l'aftre au front d'argent la face circulaire. Sire Renard étoit défefpéré.

Compere Loup, le gosier altéré,
Paffe par là: l'autre dit: Camarade,
Je vous veux régaler ; voyez-vous cet objet?
C'est un fromage exquis. Le Dieu (c) Faune l'a fait,
La Vache lo donna le lait :
Jupiter, s'il étoit malade,

Reprendroit l'appétit en tâtant d'un tel mets.
J'en ai mangé cette échancrure,

Le refte vous fera fuffifante pâture..
Defcendez dans un feau que j'ai là mis exprès.
Bien qu'au moins mal qu'il put il ajusta l'histoire,
Le Loup fut un fot de le croire :
Il defcend, & fon poids emportant l'autre part,
Reguinde en haut maître Renard.

Ne nous en moquons point: nous nous laiffons fé

duire

Sur auffi peu de fondement;
Et chacun croit fort aifément
Ce qu'il craint, & ce qu'il defire.

(b) Vers très-figuré, qui fignifie que la Lune commençant à dé

croître, ne paroiffoit plus ronde

(c) Dieu des Troupeaux.

FABLE VII.

Le Payfan du Danube.

Il ne faut point juger des gens fur l'apparence.

L

Le confeil en eft bon, mais il n'est pas nouveau.

Jadis, l'erreur du (1) Souriceau

Me fervit à prouver le difcours que j'avance.
J'ai, pour le fonder à prefent,

Le bon (2) Socrate, Efope, & certain Payfan
Des rives du (a) Danube, homme dont (b) Marc-
Aurele

Nous fait un portrait fort fidéle.

On connoît les premiers : quant à l'autre, voici
Le perfonnage en racourci.

Son menton nourriffoit une barbe touffue,
Toute fa perfonne velue

Repréfentoit un Ours, mais un Ours mal lèché.
Sous un fourcil épais il avoit l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, groffe lévre,
Portoit (c) fayon de poil de chèvre,
Et ceinture de joncs marins.

Cet homme, ainfi bâti, fut député des Villes
Que lave le Danube : il n'étoit point d'afyles

(1) Qui charmé de l'air doucereux du Chat, fut fur le point de s'aller livrer entre fes pattes. Liv. VI. Fab. V.

(2) Le plus fage des Philofophes, & le plus moral, mais d'un extérieur à peu près auffi

difgracié que celui qu'on donne communément à Esope.

(a) Grand fleuve d'Allemagne.

(b) Sage Empereur Romain du fecond fiécle.

(c) Sorte d'habit groffier,

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Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors, & ne portât les mains.
Le Député vint donc, & fit cette harangue :
Romains, & vous Sénat affis pour m'écouter,

Je fupplie, avant tout, les Dieux de m'affister :
Veuillent les Immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dife rien qui doive être repris.

Sans leur aide il ne peut entrer dans les efprits,
Que tout mal & toute injuftice:

Faute d'y recourir on viole leurs loix,

Témoin nous que punit la Romaine avarice.
Rome eft, par nos forfaits, plus que par fes exploits,
L'inftrument de notre fupplice.

Craignez, Romains, craignez, que le Ciel quelque jour

Ne transporte chez vous les pleurs & la mifére,
Et mettant en nos mains, par un jufte retour,
Les armes dont fe fert fa vengeance févére,
Il ne vous faffe, en fa colere,

Nos efclaves à votre tour.

Et pourquoi fommes-nous les vôtres ? Qu'on me die En quoi vous valez mieux que cent peuples divers? Quel droit vous a rendus maîtres de l'Univers? Pourquoi venir troubler une innocente vie?

Nous cultivions en paix d'heureux champs; & nos mains

Etoient propres aux Arts, ainsi qu'au labourage :

Qu'avez-vous appris aux (d) Germains?
Ils ont l'adreffe & le courage:

S'ils avoient eu l'avidité,

(d) Les Allemans.

Comme

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