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N'y perdez pas un feul moment.

J'ai fait fon horofcope: il croîtra par la guerre.
Ce fera le meilleur Lion

Pour fes amis qui foit fur terre,
Tâchez donc d'en être, finon

Tâchez de l'affoiblir. La harangue fut vaine.
Le Sultan dormoit lors ; & dedans fon domaine
Chacun dormoit auffi, bêtes, gens: tant qu'enfin
Le Lionceau devient vrai Lion. Le (3) tocfin
Sonne auffi-tôt fur lui: l'alarme fe proméne
De toutes parts, & le Vifir

Confulté là-deffus, dit avec un foupir :

Pourquoi l'irritez-vous ? La chofe eft fans reméde.
En vain nous appellons mille gens à notre aide.
Plus ils font, plus il coûte, & je ne les tiens bons
Qu'à manger leur part des Moutons.

Appaisez le Lion : feul il paffe en puissance
Ce monde d'alliés vivant fur notre bien.
Le Lion en a trois qui ne lui coûtent rien,
Son courage, fa force, avec fa vigilance.
Jettez-lui promptement fous la griffe un Mouton
S'il n'en eft pas content, jettez-en davantage.
Joignez-y quelque Bœuf: choififfez, pour ce don,
Tout le plus gras du pâturage :

Sauvez le reste ainfi. Ce confeil ne plut pas,
Il en prit mal; & force Etats
Voifins du Sultan en pâtirent:
Nul n'y gagna, tous y perdirent.
Quoi que fit ce monde ennemi,

L

(3) Cloche qu'on frappe à coups preflés, pour avertir le Peuple de prendre les armes à l'approche de l'ennemi.

Celui qu'ils craignoient fut le maître.
Propofez-vous d'avoir le Lion pour ami,
Si vous voulez le laiffer croître.

FABLE I I.

Les Dieux voulant inftruire un fils de Jupiter.

POUR MONSEIGNEUR

(a) LE DUC DU MAINE.

JUpiter eut un fils, qui fe fentant du lieu

Dont il tiroit fon origine,

Avoit l'ame toute divine.
L'enfance n'aime rien: celle du jeune Dieu
Faifoit fa principale affaire

Des doux foins d'aimer & de plaire.
En lui, l'amour & la raifon

Devancerent le temps, dont les aîles légeres
N'aménent que trop tôt, hélas ! chaque faifon.
Flore aux regards rians, aux charmantes maniéres,
Toucha d'abord le cœur du jeune Olympien.
Ce que la paffion peut infpirer d'adresse,
Sentimens délicats & remplis de tendreffe,
Pleurs, foupirs, tout en fut: bref, il n'oublia rien.
Le fils de Jupiter devoit, par fa naissance,
Avoir un autre efprit, & d'autres dons des Cieux,
Que les enfans des autres Dieux.

(a) Fils légitimé de Louis XIV. Roi de France.

Il fembloit qu'il n'agît que par (1) réminiscence,
Et qu'il eût autrefois fait le métier d'amant,
Tant il le fit parfaitement.

Jupiter cependant voulut le faire instruire.
Il affembla les Dieux, & dit : J'ai fû conduire
Seul & fans compagnon jufqu'ici l'Univers:
Mais il eft des emplois divers

Qu'aux nouveaux Dieux je distribue.

Sur cet enfant chéri j'ai donc jetté la vûe.
C'est mon fang: tout eft plein déjà de fes Autels.
Afin de mériter le rang des Immortels,

Il faut qu'il fache tout. Le Maître du tonnerre
Eut à peine achevé, que chacun applaudit.
Pour favoir tout, l'enfant n'avoit que trop d'efprit.
Je veux, dit le Dieu de la guerre,

Lui montrer moi-même cet art
Par qui maints Héros ont eu part

Aux honneurs de l'Olympe, & groffi cet Empire.
Je ferai fon maître de Lyre,

Dit le blond & docte Apollon.

Et moi, reprit Hercule à la peau de Lion,
Son maître à furmonter les vices,

A domter les transports, monftres empoisonneurs,
Comme Hydres renaiffans fans ceffe dans les cœurs.
Ennemi des molles délices,
Il apprendra de moi les fentiers peu battus
Qui mènent aux honneurs fur les pas des vertus.
Quand ce vint au Dieu de Cythere,

(1) Le fouvenir du paffé, felon les principes de Platon, qui fuppofoit que les ames avoient

exifté long-temps avant que de venir animer nos corps fur la

terre.

Il dit qu'il lui montreroit tout. L'Amour avoit raison : de quoi ne vient à bout L'efprit joint au defir de plaire ?

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Le Fermier, le Chien, & le Renard.

LE Loup & le Renard font d'étranges voisins :

Je ne bâtirai point autour de leur demeure.
Ce dernier guettoit à toute heure

Les Poules d'un Fermier : & quoique des plus fins,
Il n'avoit pû donner atteinte à la volaille.
D'une part l'appétit, de l'autre le danger,
N'étoient pas au compere un embarras léger.
Hé quoi, dit-il, cette canaille,

Se moque impunément de moi?

Je vais, je viens, je me travaille,
J'imagine cent tours: le ruftre, en paix chez foi,
Vous fait argent de tout, convertit en monnoie,
Ses Chapons, fa poulaille : il en a même au croc:
Et moi, maître paffé, quand j'attrape un vieux coq,
Je fuis au comble de la joie!

Pourquoi Sire Jupin m'a-t-il donc appellé
Au métier de Renard? Je jure les puissances
De l'Olympe & du Styx, il en fera parlé.

Roulant en fon cœur ces vengeances,

Il choifit une nuit liberale en (a) pavots.
Chacun étoit plongé dans un profond repos :
Le maître du logis, les valets, le chien même,
(a) Les Pavots affoupiffent & font dormir,

Poules, Poulets, Chapons, tout dormoit. Le Fer

mier

Laiffant ouvert fon poulailler,

Commit une fottife extrême.

Le voleur tourne tant, qu'il entre au lieu guetté,
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité :
Les marques de fa cruauté,

Parurent avec l'Aube: on vit un étalage
De corps fanglans, & de

carnage.

Peu s'en fallut que le Soleil

Ne rebrouffat d'horreur vers le manoir liquide.
Tel, & d'un fpectacle pareil

Apollon irrité contre le fier (b) Atride,

Joncha fon camp de morts: on vit prefque détruit (1) L'oft des Grecs, & ce fut l'ouvrage d'une nuit. Tel encore autour de fa tente,

(2) Ajax à l'ame impatiente,

De Moutons & de Boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux fon concurrent (3) Ulysse,
Et les auteurs de l'injustice
Par qui l'autre emporta le prix.

Le Renard, autre Ajax, aux volailles funeste,
Emporte ce qu'il peut, laiffe étendu le reste.
Le Maître ne trouva de recours qu'à crier
Contre fes gens, fon chien: c'est l'ordinaire ufage.
Ah! Maudit animal, qui n'es bon qu'à noyer,
Que n'avertiffois-tu dès l'abord du carnage?

(b) Agamemnon, fils d'Atrée. (1) L'Oft, vieux mot, pour dire le Camp

des Grecs.

(2) Prince Grec, qui fe dif tingua par une valeur extraor

dinaire au Siége de Troye.

(3) Autre Prince Grec, qui entra en débat contre Ajax pour les Armes d'Achille,

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