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Les Chiens du lieu n'ayant en tête

Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents Vous accompagnent ces paffans

Jufqu'aux confins du territoire.

Un intérêt de biens, de grandeur, & de gloire, Aux Gouverneurs d'Etats, à certains Courtisans, de tous métiers, en fait tout autant faire. On nous voit tous, pour l'ordinaire,

A

gens

Piller le furvenant, nous jetter fur fa peau.
La coquette & l'auteur font de ce caractére:
Malheur à l'Ecrivain nouveau.

Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau,
C'est le droit du jeu, c'est l'affaire.
Cent exemples pourroient appuyer mon discours :
Mais les ouvrages les plus courts

Sont toujours les meilleurs. En cela j'ai pour guide
Tous les maîtres de l'art, & tiens qu'il faut laiffer
Dans les plus beaux fujets quelque chofe à penfer:
Ainfi ce difcours doit ceffer.

Vous qui m'avez donné ce qu'il a de folide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter fans pudeur
La louange la plus permise,

La plus jufte, & la mieux acquife,

Vous enfin dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages,
Du temps & des cenfeurs défendant mes ouvrages,
Comme un nom qui des ans & des peuples connu,
Fait honneur à la France, en grands noms plus fé-

conde

Qu'aucun climat de l'Univers,

Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le

monde,

Que vous m'avez donné le fujet de ces Vers.

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Le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre
& le fils de Roi.

QUatre (1) chercheurs de nouveaux

Mondes,

Prefque nuds, échappés à la fureur des ondes,
Un Trafiquant, un noble, un Pâtre, un fils de Roi,
Réduits au fort de (2) Bellizaire,
Demandoient aux paffans de quoi
Pouvoir foulager leur mifere.

De raconter quel fort les avoit assemblés,
Quoique fous divers points tous quatre ils fuffent nés,
C'est un récit de longue haleine.

Ils s'affirent enfin au bord d'une fontaine.
Là, le confeil fe tint entre les pauvres gens.
Le Prince s'étendit fur le malheur des Grands.
Le Pâtre fut d'avis, qu'éloignant la pensée
De leur aventure passée,

(1) Engagés dans de longs voyages par mer.

(2) Bellizaire étoit un grand Capitaine, qui ayant commandé les Armées de l'Empereur, & perdu les bonnes graces de fon

Maître, tomba dans un tel point de mifére, qu'il demandoit l'aumône fur les grands chemins. Cette Note a été mife ici par La Fontaine.

Chacun fit de fon mieux, & s'appliquât au foin
De pourvoir au commun befoin.

La plainte, ajoûta-t-il, guérit-elle fon homme?
Travaillons : c'eft dequoi nous mener jusqu'à Rome.
Un Pâtre ainfi parler! Ainfi parler? Croit-on
Que le Ciel n'ait donné qu'aux têtes couronnées
De l'efprit & de la raison;

Et que de tout Berger comme de tout Mouton,
Les connoiffances foient bornées ?

L'avis de celui-ci fut d'abord trouvé bon
Par les trois échoués au bord de l'Amérique.
L'un, c'étoit le Marchand, favoit l'Arithmétique,
A tant par mois, dit-il, j'en donnerai leçon.
J'enseignerai la Politique,

Reprit le fils de Roi. Le Noble poursuivit,
Moi je fai le Blafon, j'en veux tenir école:
Comme fi, devers l'Inde, on eût eu dans l'efprit
La fotte vanité de ce jargon frivole.

Le Pâtre dit: Amis, vous parlez bien : mais quoi?
Le mois a trente jours, jufqu'à cette échéance
Jeûnerons-nous par votre foi?

Vous me donnez une espérance

Belle, mais éloignée ; & cependant j'ai faim.
Qui pourvoira de nous au dîner de demain ?
Ou plûtôt, fur quelle affurance
Fondez-vous, dites-moi, le fouper d'aujourd'hui ?
Avant tout autre c'est celui

Dont il s'agit: votre science

Eft courte là-dessus : ma main y suppléra.
A ces mots, le Pâtre s'en va

Dans un bois ; il y fit des fagots, dont la vente,

O üj

Pendant cette journée, & pendant la fuivante,
Empêcha qu'un long jeûne à la fin ne fît tant,
Qu'ils allaffent là-bas exercer leur talent.

Je conclus de cette aventure,

Qu'il ne faut pas tant d'art pour conferver fes jours; Et grace aux dons de la Nature,

La main eft le plus fûr & le plus prompt fecours.

Fin du dixiéme Livre.

LIVRE ONZIE ME.

FABLE PREMIERE.

(1)

Sultan

Le Lion.

Léopard autrefois

Eut, ce dit-on, par mainte aubaine,

Force Bœufs dans fes prés, force Cerfs dans fes bois,
Force Moutons parmi la plaine.

Il nâquit un Lion dans la forêt prochaine.
Après les complimens & d'une & d'autre part,
Comme entre Grands il fe pratique,

Le Sultan fit venir fon (2) Vifir le Renard,
Vieux routier & bon politique.

Tu crains, ce lui dit-il, Lionceau mon voifin :
Son pere eft mort, que peut-il faire?
Plains plûtôt le pauvre orphelin.
Il a chez lui plus d'une affaire ;
Et devra beaucoup au destin,

S'il garde ce qu'il a fans tenter de conquête.
Le Renard dit, branlant la tête :

Tels orphelins, Seigneur, ne me font point pitié;
Il faut de celui-ci conferver l'amitié,

Ou s'efforcer de le détruire,

Avant que la griffe & la dent

Lui foit crue, & qu'il foit en état de nous nuire :

(1) Riche & puiflant Seigneur.

(2) Miniftre d'un grand Prin ce d'Orient, tel que le Turc, le Perfan, le grand Mogol.

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