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FABLE VI.

Les Souhaits.

IL eft au (1) Mogol des (a) folets

Qui font office de valets, Tiennent la maison propre, ont foin de l'équipage, Et quelquefois du jardinage.

Si vous touchez à leur ouvrage,

Vous gâtez tout. Un d'eux près du (b) Gange autrefois,

Cultivoit le jardin d'un affez bon Bourgeois.
Il travailloit fans bruit, avoit beaucoup d'adresse,
Aimoit le Maître & la Maîtreffe, -
Et le jardin fur tout. Dieu fait fi les Zéphirs
Peuple ami du Démon, l'affistoient dans fa tâche.
Le Folet, de fa part, travaillant fans relâche,
Combloit fes hôtes de plaisirs.

Pour plus de marques de fon zéle,

Chez ces gens pour toujours il fe fût arrêté,
Nonobftant la légereté

A fes pareils fi naturelle :
Mais fes confreres les Efprits

Firent tant, que le chef de cette République,
Par caprice ou par politique,

Le changea bien-tôt de logis.

Ordre lui vient d'aller au fond de la (2) Norvége Prendre le foin d'une maison

(1) Grand Empire dans les Indes, à l'Eft de la Perfe. (4) Certains Efprits familiers,

(b) Grande riviere des Indes. (2) Pays très-froid au Nord de l'Europe,

En tout temps couverte de neige;

Et (3) d'Indou qu'il étoit, on vous le fait (4) Lapon.
Avant que de partir, l'Efprit dit à fes hôtes:
On m'oblige de vous quitter,

Je ne fais pas pour quelles fautes:

Mais enfin il le faut, je ne puis arrêter

Qu'un temps fort court, un mois, peut-être une femaine.

Employez-la: formez trois fouhaits, car je puis
Rendre trois fouhaits accomplis:

Trois fans plus. Souhaiter, ce n'eft pas une peine
Etrange & nouvelle aux humains.
Ceux-ci,pour premier vou,demandent l'abondance;
Et l'abondance, à pleines mains,

Verfe en leurs coffres la finance,

En leurs greniers le bléd, dans leurs caves les vins : Tout en créve. Comment ranger cette (c) chevance? Quels regiftres, quels foins, quel temps il leur fallut ! Tous deux font empêchés fi jamais on le fut.

Les voleurs contre eux comploterent,

Les grands Seigneurs leur emprunterent, Le Prince les taxa. Voilà les pauvres gens Malheureux par trop de fortune.

Otez-nous de ces biens l'affluence importune,
Dirent-ils l'un & l'autre : heureux les indigens!
La pauvreté vaut mieux qu'une telle richesse.
Retirez-vous, tréfors : fayez; & toi, Déeffe,
Mere du bon efprit, compagne

(3) Indien, habitant des Indes.

(4) Habitant de la Laponie, Le Pays le plus Septentrional de

du repos,

l'Europe.

(c) Vieux mot, pour dire, tout ce bien, toutes ces richesses.

B üj

O Médiocrité, revien vite. A ces mots
La Médiocrité revient, on lui fait place:
Avec elle ils rentrent en grace.

Au bout de deux fouhaits, étant auffi chanceux
Qu'ils étoient, & que font tous ceux

Qui fouhaitent toujours, & perdent en chiméres
Le temps qu'ils feroient mieux de mettre à leurs
affaires,

Le Folet en rit avec eux.

Pour profiter de fa largesse,

Quand il voulut partir, & qu'il fut fur le point,
Ils demanderent la fageffe:

C'est un tréfor qui n'embarraffe point.

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SA Majesté Lionne un jour voulut connoître

De quelles nations le Ciel l'avoit fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vaffaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec fon fceau. L'Ecrit portoit
Qu'un mois durant le Roi tiendroit
(a) Cour pleniére, dont l'ouverture
Devoit être un fort grand festin,
Suivi des tours de (1) Fagotin.

(a) Assemblée générale de (1) Nom d'un Singe, qui, en fon

Les vaflaux.

temps, amufa le Peuple de Faris.

Par ce trait de magnificence Le Prince à fes fujets étaloit fa puissance, En fon Louvre il les invita.

Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l'odeur fe porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha fa narine:
Il fe fût bien paffé de faire cette mine. :
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette févérité;
Et flatteur exceffif, il loua la colere, (2)

(2) Dans toutes les Editions que j'ai confultées, fans en excepter celle de 1678, qu'on peut voir dans la Bibliotheque du Roi, & qui a été corrigée par La Fontaine lui-même, il manque ici un Vers qui puiffe rimer avec celuici,

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Et flatteur exceffif il lona la colere. On pourroit fuppléer à cette omiffion, en difant,

Par une extrême ardeur de plaire,

Le Singe approuva fort cette févérité:

ou par quelqu'autre Vers que je pourrois imaginer, fans prétendre pourtant le joindre à ceux de la Fontaine, de peur de mêler du plomb avec de l'or. Mais je fuis fort tenté de croire, que La Fontaine a mieux aimé laiffer fon Vers fans rime, qu'en donner un à fes Lecteurs, qui ne leur apprendroit rien qu'ils ne puffent aifément inferer de tout ce qu'il fait dire au Singe. Car ce lâche flatteur ayant d'abord approuvé hautement la févérité du Lion,

on n'a qu'à lire les louanges outrées qu'il donne à fa griffe, à fon antre & à fon odeur, pour voir qu'il ne fonge qu'à lui faire fa cour & par confequent il étoit affez inutile d'en avertir le Lecteur. Si La Fontaine s'en eft difpenfé en omettant ici un Vers qui ne pouvoit paroître que pour rimer avec un autre, il femble qu'il a fort bien fait de l'omettre: la narration étant claire & complette, pourquoi l'embarraffer d'un Vers inutile, ou peu néceffaire, en faveur de la Rime Dans ce cas-là, nos Poëtes font en droit, fi je ne me trompe, de négliger cette efpece d'ornement. C'est une licence qu'ils pourroient prendre, fur tout dans les Vers libres,ù deux rimes fe trouvant fouvent fort éloignées l'une de l'autre, bien des Lecteurs n'y prendroient pas garde. Les Poëtes Italiens la prennent hardiment; & leurs Lecteurs, ou ne s'en apperçoivent pas, ou n'en font point choqués, la Rime n'étant en effet qu'un ornement d'insti

Et la griffe du Prince, & l'antre, & cette odeur:
Il n'étoit ambre, il n'étoit fleur,

Qui ne fût ail au prix. Sa fotte flatterie
Eut un mauvais fuccès, & fut encor punie.
Ce Monfeigneur du Lion-là,

Fut parent de (b) Caligula.

.

Le Renard étant proche: Orça, lui dit le Sire,
Que fens-tu? Dis-le-moi : Parle fans déguiser.
L'autre auffi-tôt de s'excufer,

Alléguant un grand rhume: il ne pouvoit que dire
Sans odorat: bref il s'en tire.

Ceci vous fert d'enseignement.

Ne foyez à la Cour, fi vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop fincére;
Et tâchez quelquefois de répondre en (c) Normand.

comme

tution arbitraire, & peu naturel
à la Poëfie. Au refte,
tout ce que je dis ici, eft extrê-
mement hazardé, je le foumets
au jugement de nos plus illuf-
tres Poëtes, à qui feuls il appar-
tient de prononcer en dernier

reffort fur cet important article des Rimes Françoifes.

(b) Empereur Romain, très cruel.

(c) En termes équivoques qui ont un double fens.

FABLE VIII.

Les Vautours & les Pigeons.
MArs autrefois mit tout l'air en émûte.

Certain fujet fit naître la difpute

Chez les Ŏifeaux, non ceux que le Printemps
Méne à fa Cour, & qui fous la feuillée,

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