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Quelle que

foit la pente & l'inclination
Dont l'eau par fa courfe l'emporte,
L'efprit de contradiction

L'aura fait flotter d'autre forte.

Cet homme fe railloit affez hors de faifon.
Quant à l'humeur contredifante,
Je ne fai s'il avoit raifon;

Mais que cette humeur foit, ou non,
Le défaut du fexe & fa pente,
Quiconque avec elle naîtra,
Sans faute avec elle mourra,
Et jufqu'au bout contredira,
Et, s'il peut, encor par de-là.

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La Belette entrée dans un Grenier.

DAmoiselle Belette au corps long & fluet,
Entra dans un Grenier par un trou fort étroit:
Elle fortoit de maladie.

Là, vivant à difcrétion,
La galande fit chére (1) lie,
Mangea, rongea : Dieu fait la vie,

(1) Grand' chere. Chere lie, qu'on trouve fouvent dans Rabelais, fignifie proprement chere joyeuse. Le mot Lie qui vient de latus, n'eft guére plus entendu dans ce fens-là, quoique lieffe qui en a été formé, ne foit encore ni barbare, ni tout-à-fait

hors d'ufage, témoin NotreDame de Lieffe, & ce vers de la Fontaine, qui eft entendu de tout le monde :

Aux noces d'un Tyran tout le peuple en lieffe.

Fable x1. Liv. 6.

Et le lard qui périt en cette occafion.
La voilà, pour conclufion,

Graffe, maflue & rebondie.

Au bout de la femaine, ayant dîné fon fou,
Elle entend quelque bruit, veut fortir par le trou,
Ne peut plus repaffer; & croit s'être méprise.
Après avoir fait quelques tours,

C'eft, dit-elle, l'endroit, me voilà bien surprise :
J'ai paffé par ici depuis cinq ou fix jours.
Un Rat qui la voyoit en peine,

Lui dit : Vous aviez lors la panfe un peu moins pleine
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre fortir :
Ce que je vous dis-là, l'on le dit à bien d'autres.
Mais ne confondons point, par trop approfondir
Leurs affaires avec les vôtres.

FABLE XVIII.

Le Chat & un vieux Rat.

J'Ai lû, chez un conteur de Fables,
Qu'un fecond Rodilard, l'Alexandre des Chats,
L'Attila, (1) le fléau des Rats,
Rendoit ces derniers miférables.
J'ai lû, dis-je, en certain Auteur,
Que ce Chat exterminateur,

Vrai Cerbere, étoit craint une lieue à la ronde :
Il vouloit de Souris dépeupler tout le monde.

(1) Attila, Roi des Gots, qu'on nomma le fléau du genre hu main.

Les planches qu'on fufpend fur un léger appui, La Mort aux Rats, les Souricières, N'étoient que jeux au prix de lui. Comme il voit que dans leurs taniéres Les Souris étoient prifonniéres,

Qu'elles n'ofoient fortir, qu'il avoit beau chercher,
Le galant fait le mort ; & du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas. La bête fcélérate
A de certains cordons fe tenoit par la patte.
Le peuple des Souris croit que c'est châtiment,
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Egratigné quelqu'un, caufé quelque dommage ;
Enfin, qu'on a pendu le mauvais garnement.
Toutes, dis-je, unanimement

Se promettent de rire à fon enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à Rats,

Puis reffortant font quatre pas,
Puis enfin fe mettent en quête.

Mais voici bien une autre fête.

Le pendu reffufcite ; & fur fes piéds tombant,
Attrape les plus paresseuses.

Nous en favons plus d'un, dit-il en les gobant :
C'est tour de vieille guerre ; & vos cavernes creufes
Ne vous fauveront pas, je vous en avertis :
Vous viendrez toutes au logis.
Il prophétifoit vrai, notre maître Mitis,
Pour la feconde fois les trompe & les affine,
Blanchit fa robe & s'enfarine;

Et, de la forte déguisé,

Se niche & fe blotit dans une huche ouverte :

Ce fut à lui bien avifé.

La gent trotte-menu s'en vient chercher fa perte.
Un Rat, fans plus, s'abftient d'aller flairer autour.
C'étoit un vieux routier, il favoit plus d'un tour
Même il avoit perdu fa queue à la bataille.
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au Général des Chats.
Je foupçonne deffous encor quelque machine.
Rien ne te fert d'être farine,

Car quand tu ferois fac, je n'approcherois pas.
C'étoit bien dit à lui : j'approuve fa prudence :
Il étoit expérimenté ;

Et favoit que la méfiance
Eft mere de la fûreté.

Fin du troifiéme Livre.

LIVRE QUATRIÈME.

FABLE

PREMIERE.

Le Lion amoureux.

A MADEMOISELLE DE SEVIGNÉ.

SEvigné (1) de qui les attraits

Servent aux Graces de modéle,
Et qui nâquites toute belle,
A votre indifférence près:
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocens d'une Fable,
Et voir, fans vous épouvanter,
Un Lion qu'amour fut domter?
Amour est un étrange maître.
Heureux qui peut ne le connoître
Que par récit, lui ni fes coups!
Quand on en parle devant vous,
Si la vérité vous offense,

La Fable au moins fe peut fouffrir.
Celle-ci prend bien l'affurance
De venir à vos piéds s'offrir,
Par zéle & par reconnoiffance.

Du temps que les Bêtes parloient,

(1) Fille d'efprit, qui fut mariée au Comte de Grignan, & dont la mere eft immortalifée par le génie, la vivacité, la po

liteffe & le bon fens qui regnent dans fes Lettres imprimées après fa mort.

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