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FABLE XVI.

Le Corbeau voulant imiter l'Aigle. L'Oiseau de Jupiter enlevant un Mouton,

Un Corbeau témoin de l'affaire,

Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton En voulut fur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau, Marque entre cent Moutons, le plus gras,le plus beau, Un vrai Mouton de facrifice.

On l'avoit réservé pour la bouche des Dieux.
Gaillard Corbeau difoit, en le couvant des yeux:
Je ne fai qui fut ta nourrice,

Mais ton corps me paroît en merveilleux état :
Tu me ferviras de pâture.

Sur l'animal baîlant à ces mots il s'abat.
La Moutoniére créature

Pefoit plus qu'un fromage, outre que fa toison
Etoit d'une épaiffeur. extrême,

Et mêlée, à peu près, de la même façon
Que la barbe de (1) Polyphême.

Elle empêtra fi bien les ferres du Corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite :
Le Berger vient, le prend, l'encage bien & beau
Le donne à fes enfans pour fervir d'amufette.

Il faut fe mefurer, la conféquence est nette. Mal prend aux Volereaux de faire les voleurs. (1) Un Cyclope.

E üj

L'exemple eft un dangereux leure.

Tous les mangeurs de gens ne font pas grands Seigneurs :

Où la Guêpe a paffé, le Moucheron demeure.

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Le Paon fe plaignant à Junon.
LE Paon fe plaignoit à Junon.
Déeffe, difoit-il, ce n'eft pas fans raison
Que je me plains, que je murmure:
(1) Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature :

Au lieu qu'un Roffignol, chétive créature,
Forme des fons auffi doux qu'éclatans,
Eft lui feul l'honneur du Printemps.
Junon répondit en colere :

Oifeau jaloux, & qui devrois te taire,
Eft-ce à toi d'envier la voix du Roffignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent fortes de foyes,
Qui te panades, qui déploies

Une fi riche queue, & qui femble à nos yeux
La boutique d'un Lapidaire?

Eft-il quelque oifeau fous les Cieux
Plus que toi capable de plaire?

Tout animal n'a pas toutes propriétez.

(1) Le chant du Paon n'a rien d'agréable. C'est plûtôt un miaus lement qu'un chant,

Nous vous avons donné diverfes qualitez.
Les uns ont la grandeur & la force en partage:
Le Faucon eft léger, l'Aigle plein de courage,
Le Corbeau fert pour le préfage,

La Corneille avertit des malheurs à venir.

Tous font contens de leur ramage. Ceffe donc de te plaindre, ou bien, pour te punir Je t'ôterai ton plumage.

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La Chate métamorphofée en Femme.
UN homme chériffoit éperdument fa Chate,
Il fa trouvoit mignonne, & belle, & délicate,
Qui miauloit d'un ton fort doux:
Il étoit plus fou que les fous.
Cet homme donc, par prieres, par larmes
Par fortiléges & par charmes,

Fait tant qu'il obtient du Deftin,
Que fa Chatte, en un beau matin,
Devient femme; & le matin même,
Maître fot en fait fa moitié.
Le voilà fou d'amour extrême,
De fou qu'il étoit d'amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant fon favori,
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il l'amadoue, elle le flatte:

Il n'y trouve plus rien de Chate;
Et pouffant l'erreur jufqu'au bout,

La croit femme en tout & par tout.

Lorfque quelques Souris qui rongeoient de la natte
Troublerent le plaifir des nouveaux mariés.
Auffi-tôt la femme eft fur piéds:
Elle manqua fon aventure.

Souris de revenir, femme d'être en posture.
Pour cette fois elle accourut à point:
Car ayant changé de figure,

Les Souris ne la craignoient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.

Il fe moque de tout certain âge accompli,
Le vafe eft imbibé, l'étoffe a pris fon pli.
(1) En vain de fon train ordinaire
On le veut défaccoutumer.
Quelque chofe qu'on puiffe faire,
On ne fauroit le réformer.
Coups de fourches, ni d'étriviéres
Ne lui font changer de maniéres;
Et fuffiez-vous embâtonnés,

(1) Tout ce que nous dit ici la Fontaine, Horace l'a renfermé plus heureufement, à mon avis, dans ce vers :

Naturam expellas furcà, tamen ufque recurret.

Epift. x. lib. 1.

& je ne faurois m'empêcher d'ajouter (fans décider pourtant) que la Fontaine auroit beau

coup mieux fait de terminer fa Fable par ces deux vers:

Il fe moque de tout: certain âge accompli,

Le vafe eft imbibé, l'étoffe a pris fon pli.

car le refte n'eft qu'une foible répétition de la même pensée où je croi que la Fontaine s'eft engagé par l'envie d'imiter Horace,

Jamais vous n'en ferez les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il revienda par les fenêtres.

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Le Lion & l'Ane chaffant.

LE Roi des animaux fe mit un jour en tête
De giboyer. Il célébroit fa fête.

Le Gibier du Lion ce ne font point moineaux,
Mais beaux & bons Sangliers, Dains & Cerfs bons
& beaux.

Pour réuffir dans cette affaire,

Il fe fervit du ministere

De l'Ane à la voix de (1) Stentor.

L'Ane à Meffer Lion fit office de Cor.
Le Lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, affuré qu'à ce fon
Les moins intimidés fuiroient de leur maison.
Leur troupe n'étoit pas encore accoutumée
A la tempête de fa voix :

L'air en retentiffoit d'un bruit épouvantable:
La frayeur faififoit les hôtes de ces bois.
Tous fuyoient, tous tomboient au piége inévitable
Où les attendoit le Lion.

N'ai-je pas bien fervi dans cette occafion?

Dit l'Ane, en fe donnant tout l'honneur de la chaffe.

(1) Un Grec qui, felon Homere, avoit la voix fort fuperieure à celle des autres hommes.

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