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Ce Croquant, par hazard, avoit une arbalête.
Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus,

Il le croit en fon pot, & déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête,
La Fourmis le pique au talon.

Le (4) Vilain retourne la tête.

La Colombe l'entend, part, & tire de long,
Le foupé du Croquant avec elle s'envole:
Point de Pigeon pour une obole.

(4) Mot ancien, qui fignifie un Payfan. De Villa, Maison de campagne, a été formé Vil

lanus, qui n'eft que de la baffe latinité.

FABLE

XIII.

L'Aftrologue qui fe laiffe tomber dans un puits.
UN Aftrologue un jour se laissa choir

Au fond d'un puits. On lui dit : Pauvre bête
Tandis qu'à peine à tes piéds tu peux voir,
Penfes-tu lire au-deffus de ta tête ?

Cette aventure en foi, fans aller plus avant,
Peut fervir de leçon à la plûpart des hommes.
Parmi ce que de gens fur la terre nous fommes,
Il en est peu qui fort fouvent

Ne fe plaisent d'entendre dire,

Qu'au livre du Deftin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre qu'Homere & les fiens ont chanté,
Qu'est-ce que
le hazard parmi l'Antiquité,

Et

Et parmi nous la Providence?

Or du hazard il n'est point de science :
S'il en étoit, on auroit tort
De l'appeller hazard, ni fortune, ni fort,
Toutes chofes très-incertaines.
Quant aux volontés fouveraines

De celui qui fait tout, & rien qu'avec dessein,
Qui les fait que lui feul? Comment lire en fon

fein?

Auroit-il imprimé fur le front des Etoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans fes voiles?
A quelle utilité? Pour exercer l'efprit

De ceux qui de la Sphére & du Globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables?
Nous rendre dans les biens de plaisirs incapables;
Et caufant du dégoût pour ces biens (1) prévenus,
Les convertir en maux devant qu'ils foient venus?
C'eft erreur, ou plûtôt c'eft crime de le croire.
Le Firmament fe meut, les Aftres font leur cours,
Le Soleil nous luit tous les jours:
Tous les jours fa clarté fuccede à l'ombre noire,
Sans
que nous en puiffions autre chofe inférer
Que la néceffité de luire & d'éclairer,

D'amener les faifons, de meurir les femences,
De verfer fur les corps certaines influences.
Du refte, en quoi répond au fort toujours divers,
Ce train toujours égal dont marche l'Univers?
Charlatans, faifeurs d'horofcope

Quittez les Cours des Princes de l'Europe.

(1) Anticipés par notre imagination.

E

Emmenez avec vous les(2)fouffleurs tout d'un temps.
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop : revenons à l'hiftoire
De ce Spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de fon art menfonger,
C'est l'image de ceux qui bâillent aux chiméres,
Cependant qu'ils font en danger,
Soit pour eux, foit pour leurs affaires.

(2) Les Chimiftes, qui s'amufent à chercher la pierre Philofophale, c'eft-à-dire, le

moyen de convertir des métaux

communs en or.

FABLE

XIV.

Le Liévre & les Grenouilles.

UN Liévre en fon gîte fongeoit,

(Car que faire en un gîte à moins que l'on ne fonge?) Dans un profond ennui ce Liévre se plongeoit : Cet animal eft trifte, & la crainte le ronge.

Les gens de naturel peureux,

Sont, difoit-il, bien malheureux.

Ils ne fauroient manger morceau qui leur profite.
Jamais un plaifir pur : toujours affauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M'empêche de dormir finon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque fage cervelle.
Et la peur fe corrige-t-elle ?

Je croi même qu'en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.

Ainfi raisonnoit notre Liévre;
Et cependant faifoit le guet.
Il étoit douteux, inquiet :

Un fouffle, une ombre, un rien, tout lui donnoit la

fiévre.

Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matiére,

Entend un leger bruit : ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers fa taniére.

Il s'en alla paffer fur le bord d'un étang.
Grenouilles auffi-tôt de fauter dans les ondes:
Grenouilles de rentrer dans leurs grottes profondes.
Oh, dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire! Ma préfence

Effraie auffi les gens ! Je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?
Comment, des animaux qui tremblent devant moi!
Je fuis donc un foudre de guerre.
Il n'eft, je le vois bien, fi poltron fur la terre,
Qui ne puiffe trouver un plus poltron que foi.

FABLE X V.

Le Coq & le Renard.

Sur la branche d'un arbre étoit en fentinelle
Un vieux Coq adroit & matois.

Frere, dit un Renard adouciffant fa voix,
Nous ne fommes plus en querelle:
Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer, defcens que je t'embraffe.
Ne me retarde point, de grace:

Je dois faire aujourd'hui vingt poftes fans manquer.
Les tiens & toi, pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires :
Nous vous y fervirons en freres.
Faites-en les feux dès ce foir;
Et cependant vien recevoir

Le baifer d'amour fraternelle.
Ami, reprit le Coq, je ne pouvois jamais
Apprendre une plus douce & meilleure nouvelle,
Que celle

De cette paix.

Et ce m'eft une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux Lévriers
Qui, je m'affure, font couriers,
Que pour ce fujet on envoie.

Ils vont vîte, & feront dans un moment à nous.
Je defcens : nous pourrons nous entrebaiser tous.
Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire.
Nous nous réjouirons du fuccès de l'affaire
Une autre fois. Le galant auffi-tôt
Tire fes (1) grégues, gagne au haut,
Mal-content de fon ftratagême ;
Et notre vieux Coq, en foi-même,
Se mit à rire de fa peur :

Car c'eft double plaifir de tromper le trompeur.

(1) Vieux mot, pour dire, tirer fes chauffes, s'enfuir. Ménage soupçonne que Grégue vient

de Graca, comme qui diroit, Culotte à la Grecque.

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