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Sur la robe du Dieu fit tomber une crotte:
Le Dieu la fecouant jetta les œufs à bas.
Quand l'Aigle fut l'inadvertance,
Elle menaça Jupiter

D'abandonner fa Cour, d'aller vivre au défert:
De quitter toute dépendance,

Avec mainte autre extravagance.
Le pauvre Jupiter fe tut.

Devant fon Tribunal l'Efcarbot comparut,
Fit fa plainte, & conta l'affaire.

On fit entendre à l'Aigle enfin qu'elle avoit tort.
Mais les deux ennemis ne voulant point d'accord,
Le Monarque des Dieux s'avifa, pour bien faire,
De transporter le temps où l'Aigle fait l'amour,
En une autre faifon, quand la race Escarbote
Eft en quartier d'hiver, & comme la Marmote,
Se cache & ne voit point le jour.

FABLE IX.

Le Lion & le Moucheron.

VA-t-en, chétif infecte, excrément de la terre.

C'est en ces mots que le Lion
Parloit un jour au Moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.

Penfes-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
Me faffe peur, ni me foucie?

Un Bœuf eft plus puissant que toi,
Je le méne à ma fantaisie.

A peine il achevoit ces mots,

Que lui-même il fonna la charge;
Fut le Trompette & le Héros.
Dans l'abord il fe met au large,
Puis, prend fon temps, fond fur le cou
Du Lion qu'il rend prefque fou.

Le quadrupéde écume, & fon œil étincelle :
Il rugit: on fe cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle

Eft l'ouvrage d'un Moucheron.

Un avorton de Mouche en cent lieux le harcelle
Tantôt pique l'échine, & tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du nazeau.

La rage alors fe trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, & rit de voir
Qu'il n'eft griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en fang ne faffe fon devoir..
Le malheureux Lion fe déchire lui-même,
Fait réfonner fa queue à l'entour de fes flancs,
Bat l'air qui n'en peut mais ; & fa fureur extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà fur les dents.
L'Infecte, du combat fe retire avec gloire :
Comme il fonna la charge, il fonne la victoire
Va par tout l'annoncer, & rencontre en chemin
L'embuscade d'une Araignée :
y rencontre auffi fa fin.

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Quelle chofe par-là nous peut être enfeignée ? J'en vois deux, dont l'une eft qu'entre nos ennemis Les plus à craindre font fouvent les plus petits : L'autre, qu'aux grands périls tel a pû se soustraire Qui périt pour la moindre affaire.

FABLE X.

L'Ane chargé d'éponges, & l'Ane chargé de fel. UN Anier, fon fceptre à la main,

Menoit en Empereur Romain

Deux (1) Courfiers à longues oreilles. L'un d'éponges chargé marchoit comme un courier Et l'autre fe faifant prier,

(2) Portoit, comme on dit, les bouteilles.

Sa charge étoit de fel. Nos gaillards pélerins
Par mont, par vaux & par chemins

Au gué d'une riviere à la fin arriverent,
Et fort empêchés fe trouverent.

L'Anier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,
Sur l'Ane à l'éponge monta,
Chaffant devant lui l'autre bête,
Qui voulant en faire à fa tête,
Dans un trou fe précipita,
Revint fur l'eau, puis échappa :
Car au bout de quelques nagées
Tout fon fel fe fondit fi bien,
Que le Baudet ne fentit rien
Sur fes épaules foulagées.

Camarade Epongier prit exemple fur lui,
Comme un Mouton qui va deffus la foi d'autrui.

(1) On donne le nom de Courfier à de beaux & bons chevaux ici ce font deux Anes, dont les oreilles font, à proportion, beaucoup plus longues

que celles des chevaux.

(2) Marchoit lentement. comme s'il eût porté les bou teilles.

Voilà mon Ane à l'eau, jufqu'au col il fe plonge,
Lui, le conducteur & l'éponge.

Tous trois bûrent d'autant : l'Anier & le Grifon
(3) Firent à l'éponge raison.
Celle-ci devint fi pefante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,
Que l'Ane fuccombant ne put gagner le bord.
L'Anier l'embraffoit dans l'attente

D'une prompte & certaine mort. Quelqu'un vint au fecours : qui ce fut, il n'importe. C'eft affez qu'on ait vû par-là qu'il ne faut point Agir chacun de même forte. J'en voulois venir à ce point.

(3) Se remplirent d'eau comme l'éponge.

FABLE X I.

Le Lion & le Rat.

IL faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde,

On a fouvent befoin d'un plus petit que foi.
De cette vérité deux Fables feront foi,

Tant la chofe en preuves abonde.

Entre les pattes d'un Lion,

Un Rat fortit de terre affez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occafion,
Montra ce qu'il étoit, & lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un auroit-il jamais cru,

Qu'un Lion d'un Rat eût affaire?
Cependant il avint qu'au fortir des forêts,
Ce Lion fut pris dans des rets,

Dont fes rugiffemens ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, & fit tant par fes dents,
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.

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L'Autre exemple eft tiré d'animaux plus petits.
Le long d'un clair ruiffeau bûvoit une Colombe:
Quand fur l'eau fe penchant une Fourmis y tombe.
Et dans cet Océan (1) l'on eût vû la Fourmis
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe auffi-tôt usa de charité.

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jetté,
Ce fut (2) un Promontoire, où la Fourmis arrive.
Elle fe fauve ; & là-deffus

Paffe un certain (3) Croquant qui marchoit les piéds

nus:

(1) La grande mer, par rapport à la Fourmi.

(2) Pointe de terre ou de roche qui avance dans la mer.

(3) Un Payfan. En 1637, fous Louis XIII. il fe fit un foulevement de quelques Communes dans le Perigord & la Xain

tonge, qui, fous prétexte de liberté, ne vouloient plus payer de fubfides, & fe nommoient Croquans. De là ce nom a été employé pour défigner en géné ral un pauvre Payfan, un Villa geois.

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