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Se trouva fort dépourvûe
Quand la bife fut venue.
Pas un feul petit morceau
De mouche ou de vermiffeau.
Elle alla crier famine

Chez la Fourmi fa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour fubfifter
Jufqu'à la faifon nouvelle.
Je vous pairai, lui dit-elle,
(1) Avant l'Oût, foi d'animal,
Intérêt & principal.

La Fourmi n'eft pas prêteufe:
C'est là fon moindre défaut.
Que faifiez-vous au temps chaud?
Dit-elle à cette emprunteuse.
Nuit & jour, à tout venant
Je chantois, ne vous déplaife.
Vous chantiez? J'en fuis fort aife;
Hé bien, dansez maintenant.

(1) Avant la moisson, avant le temps où l'on recueille les grains temps qu'on s'est avisé

de nommer Oût, parce que cette

recolte fe fait ordinairement en Août, qu'on prononce Out comme s'il étoit écrit fans A

FABLE I I.

Le Corbeau & le Renard.

MAître Corbeau fur un arbre perché,

Tenoit en fon bec un fromage: Maître Renard, par l'odeur (1) alléché, Lui tint à peu près ce langage. Hé bon jour, Monfieur du Corbeau! Que vous étes joli! Que vous me femblez beau! Sans mentir, fi votre ramage

Se rapporte à votre plumage,

Vous êtes le (2) Phoenix des hôtes de ces bois.

(1) Attiré. Mais qui voudroit conter cette Fable en Profe, ne pourroit, je pense, employer un terme plus propre & plus expreffif que celui d'alléché..

*

(2) Le plus beau de tous les oifeaux, toujours unique en fon efpece dans le temps qu'on dit qu'il a paru; & fi rare, t qu'il n'eft pas trop fûr qu'il ait jamais éxifté. Mais que cet oifeau foit une pure fiction, dont les Grecs ont ofé frelater leur Hiftoire, la beauté merveilleufe qu'ils lui ont attribuée, enrichie par les defcriptions des Poëtes, & par le pinceau des Peintres, a été fi fort autorisée dans le monde, que le mot de Phénix eft entré dans notre Langue, pour fignifier des cho

fes & des perfonnes d'une excellence extraordinaire. C'est ainfi que dans la Bruyere, QUINAULT eft nommé le PHENIX de la Poefie chantante, que Boilean parlant d'un Sonnet parfait, nous dit,

Que cet heureux Phénix eft en core à trouver;

& qu'ici le Renard voyant le Corbeau, qui perché fur un arbre, tenoit en fon bec un fromage, s'avife pour l'étourdir, & lui faire oublier fon fromage, de lui dire, que, s'il a la voix auffi charmante que le plumage, il eft le PHENIX des hôtes de ces Bois éloge flatteur, qui ne manqua pas de produire l'effet qu'en attendoit le Renard.

Sunt qui adfeverens. .... unum in terris, &c. TACIT. Annal. Lib. VI. p. 204. Ex Officina Elzeviriana.

+ Nonnulli jaljum buns Phoenicem credidere, nihilque ufurpaviffe ex his qua vetus mome» de frmavit, TACIT, Annal, Lib. VI. p. 204.

A ces mots, le Corbeau ne fe fent pas de joie :
Et, pour montrer fa belle voix,

Il ouvre un large bec, laiffe tomber fa proie.
Le Renard s'en faifit, & dit : Mon bon Monfieur,
Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute:
Cette leçon vaut bien un fromage fans doute.
Le Corbeau honteux & confus
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendroit plus,

FABLE III.

La Grenouille qui fe veut faire auffi groffe
que le Bœuf.

Une Grenouille vit un Bœuf

Qui lui fembla de belle taille.

Elle qui n'étoit pas groffe en tout comme un œuf,
Envieufe s'étend, & s'enfle, & fe travaille,
Pour égaler l'animal en groffeur,
Difant: Regardez bien, ma fœur,

Eft-ce affez? Dites-moi, n'y fuis-je point encore?
Nenni. M'y voici donc ? Point du tout. M'y voilà?
Vous n'en approchez point. La chétive pécore
S'enfla fi bien, qu'elle creva.

Le Monde est plein de gens qui ne font pas plus fages:

Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Sei

gneurs:

Tout petit Prince a des Ambaffadeurs:
Tout Marquis veut avoir des Pages.

FABLE I V.

Les deux Mulets.

Deux Mulets cheminoient, l'un d'avoine chargé,
L'autre portant l'argent de la Gabelle.
Celui-ci, glorieux d'une charge fi belle,
N'eût voulu pour beaucoup en être foulagé.
Il marchoit d'un pas relevé,

Et faifoit fonner fa fonnette :
Quand l'Ennemi se présentant,
Comme il en vouloit à l'argent,

Sur le Mulet du fifc une troupe se jette,
Le faifit au frein & l'arrête.

Le Mulet, en fe défendant,

Se fent percer de coups, il gémit, il soupire.
Eft-ce donc là, dit-il, ce qu'on m'avoit promis?
Ce Mulet qui me fuit, du danger fe retire,
Et moi j'y tombe & j'y péris.

Ami, lui dit fon camarade,

Il n'eft pas toujours bon d'avoir un haut emploi :
Si tu n'avois fervi qu'un Meûnier, comme moi,
Tu ne ferois pas fi malade.

FABLE V.

Le Loup & le Chien.

UN Loup n'avoit que les os & la peau,

Tant les Chiens faifoient bonne garde :
Ce Loup rencontre un Dogue auffi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'étoit fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,

Sire Loup l'eût fait volontiers,
Mais il falloit livrer bataille;

Et le Mâtin étoit de taille

A fe défendre hardiment.

Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, & lui fait compliment
Sur fon embonpoint qu'il admire.

Il ne tiendra qu'à vous, beau Sire,

D'être auffi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y font misérables,

Cancres, (1) hères & pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car quoi? Rien d'assuré : point de (2) franche lipée :
Tout à la pointe de l'épée.

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur deftin.
Le Loup reprit : Que me faudra-t-il faire ?
Prefque rien, dit le Chien, donner la chaffe aux gens
Portans bâtons, & mendians;

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à des impudens qui vont y pren-
dre part fans avoir été invités.

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