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Sera l'exil de l'un, que l'autre le chaffant
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?
Il ne régnera plus fur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner fur les rofeaux;
Et nous foulant aux piéds jufques au fond des eaux,
Tantôt l'une, & puis l'autre, il faudra qu'on patiffe
Du combat qu'a caufé Madame la Génisse.

Cette crainte étoit de bon fens.

L'un des Taureaux en leur demeure
S'alla cacher à leurs dépens,

Il en écrafoit vingt par heure.

(1) Hélas! On voit que de tout temps

Les petits ont pati des fottifes des Grands.

(1) Ce qui revient à ce que dit Horace à l'occafion de la

guerre de Troye.

Quidquid delirant Reges, plectuntur Achivi.

FABLE

V.

La Chauvefouris & les deux Belettes. Une Chauvefouris donna tête baissée,

Dans un nid de Belette : & fi-tôt qu'elle y fut,
L'autre envers les Souris de long-temps courroucée
Pour la dévorer accourut.

Quoi? vous afez, dit-elle, à mes yeux vous produire
Après que votre race a tâché de me nuire ?
N'étes-vous pas Souris ? Parlez fans fiction.
Oui, vous l'étes, ou bien je ne fuis pas Belette,
Pardonnez-moi, dit la pauvrette

Ce n'eft pas ma profession.

Moi Souris ! Des méchans vous ont dit ces nouvelles:
Grace à l'Auteur de l'Univers,

Je fuis Oifeau: voyez mes aîles:
Vive la gent qui fend les airs.
Sa raifon plut, & fembla bonne.
Elle fait fi bien, qu'on lui donne
Liberté de fe retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer

Chez une autre Belette aux Oifeaux ennemie.
La voilà derechef en danger de fa vie.
La Dame du logis, avec fon long museau,
S'en alloit la croquer en qualité d'Oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faifoit outrage.
Moi, pour telle paffer! Vous n'y regardez pas.
Qui fait l'Oifeau? c'eft le plumage,
Je fuis Souris : vivent les Rats,
Jupiter confonde les Chats.
Par cette adroite repartie

Elle fauva deux fois fa vie.

Plufieurs fe font trouvés qui (1) d'écharpe changeans
Aux dangers, ainfi qu'elle, ont fouvent fait la figue,
Le Sage dit, felon les gens,
Vive le Roi, vive la Ligue.

(1) Paroiflans tantôt d'un parti & tantôt d'un autre. C'eft une chofe ordinaire que les partis fe

diftinguent les uns des autres par des écharpes de différentes couleurs.

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L'Oiseau bleffé d'une fléche.

MOrtellement atteint d'une (1) fléche empennée;

Un Oifeau déploroit fa triste destinée;
Et difoit en fouffrant un furcroît de douleur,
Faut-il contribuer à fon propre malheur?

Cruels humains, vous tirez de nos aîles De quoi faire voler ces machines mortelles : Mais ne vous moquez point, engeance fans pitié : Souvent il vous arrive un fort comme le nôtre. De enfans de (2) Japet toujours une moitié Fournira des armes à l'autre.

(1) Munie de plumes, qui contribuent à la direction & à la rapidité de fon vol.

(2) Si, felon la Fable, les hommes font enfans de Japet, on

ne voit pas trop bien comment elle a pû attribuer la formation de l'homme à Promethée fils de Japet. Mais il feroit ridicule de s'arrêter ici à démêler cette fufée,

FABLE VII.

La Lice & fa Compagne.
UNe (a) Lice étant fur fon terme,

Et ne fachant où mettre un fardeau fi pefant,
Fait fi bien qu'à la fin fa Compagne confent
De lui prêter fa hute, où la Lice s'enferme.
Au bout de quelque temps fa compagne revient.
(4) Une groffe Chienne,

La

La Lice lui demande encore une quinzaine.
Ses petits ne marchoient, difoit-elle, qu'à peine,
Pour faire court, elle l'obtient.

Ce fecond terme échû, l'autre lui redemande
Sa maison, fa chambre, fon lit.

La Lice cette fois montre les dents, & dit:
Je fuis prête à fortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfans étoient déjà forts.

Ce qu'on donne aux méchans,toujours on le regrette.
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,

Il faut que l'on en vienne aux coups;›
Il faut plaider, il faut combattre.
Laiffez-leur prendre un piéd chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.

L

FABLE VIII.

L'Aigle & l'Efcarbot.

'Aigle donnoit la chaffe à Maître Jean Lapin,
Qui droit à fon terrier s'enfuyoit au plus vîte.
Le trou de l'Efcarbot fe rencontre en chemin.
Je laiffe à penfer fi ce gîte

Etoit für: mais où mieux ? Jean Lapin s'y blotit.
L'Aigle fondant fur lui, nonobstant cet afyle,
(a) L'Efcarbot intercede, & dit:
Princeffe des Oifeaux, il vous eft fort facile

(a) Efpece d'infecte.

D

D'enlever, malgré moi, ce pauvre malheureux, Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie; Et, puifque Jean Lapin vous demande la vie, Donnez-la-lui, de grace, ou l'ôtez à tous deux :

C'est mon voifin, c'est mon compere. L'Oifeau de Jupiter, fans répondre un feul mot, Choque de l'aile l'Escarbot,

L'étourdit, l'oblige à fe taire,

Enleve Jean Lapin. L'Efcarbot indigné
Vole au nid de l'Oifeau, fracaffe en fon abfence
Ses œufs, fes tendres œufs, fa plus douce efperance:
Pas un feul ne fut épargné.

L'Aigle étant de retour, & voyant ce ménage,
Remplit le Ciel de cris ; &, pour comble de rage,
Ne fait fur qui venger le tort qu'elle a fouffert.
Elle gémit en vain, fa plainte au vent fe perd.
Il fallut pour cet an vivre en mere affligée.
L'an fuivant, elle mit fon nid en lieu plus haut.
L'Efcarbot prend fon temps,fait faire aux œufs le faut.
La mort de Jean Lapin derechef eft vengée.
Ce fecond deuil fut tel que l'écho de ces bois
N'en dormit de plus de fix mois.
L'Oifeau qui porte (b) Ganiméde,

Du Monarque des Dieux enfin implore l'aide,
Dépofe en fon giron ses œufs, & croit qu'en paix
Ils feront dans ce lieu, que pour fes intérêts
Jupiter fe verra contraint de les défendre:
Hardi qui les iroit là prendre.

Auffi ne les y prit-on pas.

Leur ennemi changea de note,

(b) Bel enfant, aimé de Jupiter, qui l'enleva fur fon Aigle,

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