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Se peut connoître au difcours que j'avance:
Chacun des trois fait un peuple fort grand;
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que fonger
Au moyen d'exercer leur langue.
Hé, mon ami, tire-moi du danger,
Tu feras après ta harangue.

FABLE X X.

Le Coq & la Perle,

UN jour un Coq détourną

Une Perle qu'il donna
Au beau premier Lapidaire.
Je la crois fine, dit-il,

Mais le moindre grain de Mil
Seroit bien mieux mon affaire.
Un ignorant hérita

D'un Manufcrit qu'il porta
Chez fon voifin le Libraire.
Je crois, dit-il, qu'il eft bon,
Mais le moindre ducaton

Seroit bien mieux mon affaire.

FABLE X X I.

Les Frêlons & les Mouches à miel.

A L'œuvre on connoît l'artisan,

Quelques rayons de miel fans maître fe trouverent, Des (1) Frêlons les réclamerent,

Des Abeilles s'oppofant,

Devant certaine Guêpe on traduifit la caufe.
Il étoit mal-aifé de décider la chofe.

Les témoins dépofoient qu'autour de ces rayons
Des animaux aîlés, bourdonnans, un peu longs,
De couleur fort tannée, & tels que les Abeilles
Avoient long-temps paru. Mais quoi ? Dans les
Frêlons

Ces enfeignes étoient pareilles.

La Guêpe ne fachant que dire à ces raifons,
Fit enquête nouvelle ; &, pour plus de lumiere,
Entendit une fourmilliere.

Le point n'en put être éclairci.
De grace, à quoi bon tout ceci?
Dit une Abeille fort prudente,
Depuis tantôt fix mois que la caufe eft pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel fe gâte.

Il est temps déformais que le Juge fe hâte.
N'a-t-il point affez (2) lêché l'Ours?

Sans tant de contredits & d'interlocutoires,
Et de fatras & de grimoires,
Travaillons, les Frêlons & nous:

On verra qui fait faire, avec un fuc fi doux,
Des cellules fi bien bâties.

(1) Efpece de mouches qui s'introduifent dans les ruches des Abeilles pour en piller le miel, incapables elles-mêmes de compofer un fuc si délicat.

(2) Expreffion proverbiale; pour dire, fuccé, extenué les Parties en prolongeant les procès.

Le refus des Frélons fit voir
Que cet art paffoit leur savoir;

Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu'on réglât ainfi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on fuivît la méthode !
Le fimple fens commun nous tiendroit lieu de(3)code.
Il ne faudroit point tant de frais.

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs.

On fait tant à la fin que l'huître eft pour le Juge,
Les écailles pour les plaideurs.

(3) Recueil de Loix, deftinées à l'éclairciffement & à la décifion des procès, mais qui, par l'adreffe des Procureurs & des Avocats, fervent quelquefois

à embrouiller l'efprit des Juges, & toujours à prolonger les procès aux dépens des Parties intéreffées.

FABLE

XXII.

Le Chêne & le Rofeau.

LE Chêne un jour dit au Roseau :

Vous avez bien fujet d'accufer la nature.
Un (1) Roitelet pour vous eft un pefant fardeau.
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête :

(1) Fort petit oifeau. Qui voudra favoir pourquoi cet oifeau a été appellé Roitelet, c'està dire, petit Roi, n'a qu'à con

fulter Plutarque, dans fon Traité, intitulé, Inftruction pour ceux qui manient affaires d'Eftat, chapitre 7. de la traduction d'Amyet.

Cependant que mon front, au (2) Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du Soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous eft Aquilon, tout me femble Zéphir,
Encor fi vous naiffiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à fouffrir,
Je vous défendrois de l'orage.

Mais vous naissez le plus fouvent

Sur les humides bords des (3) Royaumes du vent.
La Nature envers vous me femble bien injufte.
Votre compaffion, lui répondit l'Arbuste,
Part d'un bon naturel, mais quittez ce fouci:

Les vents me font moins qu'à vous redoutables. Je plie, & ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouventables

Réfifté fans courber le dos :

Mais attendons la fin. Comme il difoit ces mots :
Du bout de l'Orizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfans

Que le Nord eût porté jufque-là dans fes flancs.
L'Arbre tient bon, le Roseau plie :
Le vent redouble fes efforts,

Et fait fi bien qu'il déracine

(4) Celui de qui la tête au Ciel étoit voifine,

(2) Haute montagne en Afie.

(3) Comme les Joncs croiffent fur les bords des rivieres & des étangs, ils font fans ceflè agités par les vents qui regnent dans ces endroits-là.

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tartara tendit.

Georg. L. II. v. 291. 292.

(5) Et dont les pieds touchoient à l'empire des Morts.

(s) Expreffion poëtique, pour dire, Et dont les racines pénétroient fort avant dans la terre.

Fin du premier Livre.

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