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Ce fujet a été traité d'une autre façon par Esope, comme la Fable fuivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raifon qui me contraignoit de rendre la chofe ainfi générale. Mais quelqu'un me fit connoître que j'eusse beaucoup mieux fait de fuivre mon original, & que je laiffois paffer un des plus beaux traits qui fût dans Efope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne faurions aller plus avant que les Anciens : ils ne nous ont laiffe pour notre part que la gloire de les bien fuivre. Je joins toutefois ma Fable à celle d'Efope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, & qui est si beau & fi à propos, que je n'ai pas crû le devoir omettre.

FABLE X V I.

La Mort & le Bûcheron.

UN pauvre Bûcheron tout couvert de (1) ramée,

Sous le faix du fagot auffi-bien que des ans,
Gémiffant & courbé, marchoit à pas pefans,
Et tâchoit de gagner fa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort & de douleur,
Il met bas fon fagot, il fonge à fon malheur.
Quel plaifir a-t-il eu depuis qu'il eft au monde ?
En eft-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, & jamais de repos.
Sa femme, fes enfans, les foldats, les impots,
Le créancier & (2) la corvée,

(1) Paquet de branches avec leurs feuilles.

(2) Travail que les Payfans

doivent à leur Seigneur, comme une redevance.

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort, elle vient fans tarder :
Lui demande ce qu'il faut faire.

C'eft, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois, tu ne tarderas guére,

Le trépas vient tout guérir,

Mais ne bougeons d'où nous fommes,
Plûtôt fouffrir que mourir,

C'est la devife des hommes.

FABLE XVII.

L'homme entre deux âges & fes deux Maîtresses. UN homme de moyen âge,

Et tirant fur le grifon,
Jugea qu'il étoit faifon

De fonger au mariage.

Il avoit du comptant,
Et partant

Dequoi choifir. Toutes vouloient lui plaire : En quoi notre amoureux ne se pressoit pas tant. Bien adreffer n'est pas une petite affaire. Deux veuves fur fon cœur eurent le plus de

part :

L'une encor verte, & l'autre un peu bien mûre,

Mais qui réparoit par son art
Ce qu'avoit détruit la nature.
Ces deux veuves en badinant,
En riant, en lui faisant fête,

L'alloient

L'alloient quelquefois (1) teftonnant,
C'est-à-dire, ajustant sa tête.

La vieille à tous momens de fa part emportoit
Un peu de poil noir qui reftoit,

Afin que fon amant en fût plus à fa guise.
La jeune faccageoit les poils blancs à fon tour.
Toutes deux firent tant que notre tête grise
Demeura fans cheveux, & fe douta du tour.
Je vous rens, leur dit-il, mille graces, les Belles
Qui m'avez fi bien tondu :

Celle

J'ai plus gagné que perdu :
Car d'hymen point de nouvelles.

que je prendrois voudroit qu'à fa façon
Je vécuffe, & non à la mienne.

Il n'eft tête chauve qui tienne :
Je vous fuis obligé, Belles, de la leçon.

(1) Comme ce mot n'eft plus d'ufage aujourd'hui, La Fontaine s'eft avifé fort à propos de nous l'expliquer lui-même. Il y a grande apparence qu'il l'avoit pris de Rabelais, qui dit en parlant du foin que l'on prenoit de l'éducation de Gargan

tua, que chaque matin il étoie habillé, peigné, teftonné, acoutré parfumé, durant lequel temps on lui répetoit les leçons du jour de devant. Gargantua, liv. I. ch. 23. Rabelais fe fert encore ailleurs du mot de teftonner, dans le même fens.

FABLE XVIII.

Le Renard & la Cicogne.

Compere le Renard fe mit un jour en frais,

Et retint à dîner commere la Cicogne.

Le régal fut petit, & fans beaucoup d'apprêts.

C

Le galant, pour toute befogne,

Avoit un brouet clair, (il vivoit chichement)
Ce brouet fut par lui fervi fur une affiette.
La Cicogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour fe venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la Cicogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
A l'heure dite, il courut au logis
De la Cicogne fon hôtesse,
Loua très-fort fa politesse,
Trouva le dîner cuit à point.

Bon appétit fur tout, Renards n'en manquent point:
Il fe réjouiffoit à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, & qu'il croyoit friande.
On fervit, pour l'embarrasser,

En un vafe à long col, & d'étroite embouchure.
Le bec de la Cicogne y pouvoit bien paffer,
Mais le museau du Sire étoit d'autre mefure,
Il lui falut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un Renard qu'une Poule auroit pris,
Serrant la queue, & portant bas l'oreille.

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Trompeurs, c'est pour vous que j'écris”,
Attendez-vous à la pareille.

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L'Enfant & le Maître d'Ecole.
Dans te récit je prétens faire voir

D'un certain fot la remontrance vaine.

Un jeune enfant dans l'eau fe laissa cheoir,
En badinant fur les bords de la Seine.
Le Ciel permit qu'un Saule fe trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le fauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce Saule:
Par cet endroit paffe un Maître d'école.
L'enfant lui crie, au fecours, je péris.
Le Magister fe tournant à fes cris,
D'un ton fort grave à contre-temps s'avife
De le tancer. Ah le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l'a mis fa fottife!
Et puis, prenez de tels fripons le foin.
Que les parens font malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à femblable canaille!
Qu'ils ont de maux ! & que je plains leur fort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout cenfeur, tout (1) pédant,

(1) C'est-à-dire, toute perfonne fujette à étaler avec affectation & mal à propos fes lectures, fa fcience, & même fon éloquence. Cette description

une fois admife, bien des hommes & des femmes qui fe croyent à couvert du vice de pédanterie en font visiblement infectés.

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