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L'Oifeleur repartit: Ce petit animal
T'en avoit-il fait davantage?

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EN ce monde il fe faut l'un l'autre fecourir.

Si ton voifin vient à mourir,

C'eft fur toi que le fardeau tombe.

Un Ane accompagnoit un Cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que fon fimple harnois,
Et le pauvre Baudet fi chargé qu'il fuccombe.
Il pria le Cheval de l'aider quelque peu :
Autrement il mourroit devant qu'être à la ville.
La priére, dit-il, n'en est pas incivile :
Moitié de ce fardeau ne vous fera que jeu.
Le Cheval refufa, fit une petarrade,

Tant qu'il vit fous le faix mourir fon camarade;
Et reconnut qu'il avoit tort.

Du Baudet, en cette aventure,
On lui fit porter la voiture,
Et la peau pardessus encor.

FABLE

FABLE XVII.

Le Chien qui lâche fa proie pour l'ombre.

Chacun fe trompe ici bas :

On voit courir après l'ombre Tant de fous qu'on n'en fait pas, La plupart du temps le nombre. Au Chien dont parle Efope, il faut les renvoyer. Ce Chien voyant fa proie en l'eau représentée, La quitta pour l'image, & penfa fe noyer: La riviere devint tout d'un coup agitée, A toute peine il regagna les bords; Et n'eut ni l'ombre, ni le corps.

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Le Chartier embourbé.

LE Phaeton d'une voiture à foin

Vit fon char embourbé. Le pauvre homme étoit loin
De tout humain fecours. C'étoit à la campagne,
Près d'un certain canton de la baffe Bretagne,
Appellé Quinpercorentin.
On fait affez que le Destin

Adreffe là les gens quand il veut qu'on enrage:
Dieu nous préferve du voyage.

Pour venir au Chartier embourbé dans ces lieux,

P

Le voilà qui déteste & jure de fon mieux,
Pestant en fa fureur extrême,

Tantôt contre les trous, puis contre fes Chevaux,
Contre fon char, contre lui-même.
Il invoque à la fin le Dieu, dont les travaux
Sont fi célébres dans le monde.

Hercule, lui dit-il, aide-moi : fi ton dos
A porté la machine ronde,
Ton bras peut me tirer d'ici.
Sa priére étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi :
Hercule veut qu'on fe remue,

Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achopement qui te retient :

Ote d'autour de chaque roue

Ce malheureux mortier, cette maudite boue,
Qui jufqu'à l'effieu les enduit.

Pren ton pic & me romps ce caillou qui te nuit. Comble-moi cette orniére. As-tu fait ? Oui, dit l'homme.

Or bien je vais t'aider, dit la voix : pren ton fouet. Je l'ai pris. Qu'est-ceci? mon char marche à souhait, Hercule en foit loué. Lors la voix : Tu vois comme Tes Chevaux aifément se font tirés de là.

Aide-toi, le Ciel t'aidera.

FABLE XIX.

Le Charlatan.

LE monde n'a jamais manqué de Charlatans.

Cette fcience, de tout temps,

Fut en Profeffeurs très-fertile.
Tantôt l'un en Théatre affronte (1) l'Acheron;
Et l'autre affiche par la ville
Qu'il eft un Paffe-Ciceron.

Un des derniers fe vantoit d'être
En éloquence fi grand maître,
Qu'il rendroit difert un badaut,

Un manant, un rustre, un lourdaut:

Oui, Meffieurs, un lourdaut, un animal, un Ane:
Que l'on m'améne un Ane, un Ane renforcé,
Je le rendrai maître paffé;

Et veux qu'il porte la (2) foutane.

Le Prince fut la chofe : il manda le Rhéteur.
J'ai, dit-il, en mon écurie

Un fort beau (3) Rouffin d'Arcadie,

J'en voudrois faire un Orateur.

Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme.

(1) Affronte la mort, faifant fur lui-même des épreuves trèspérilleuses en apparence, pour juftifier aux yeux des Spectateurs la bonté de fon Antidote.

(2) Robe longue que portent les Bâcheliers en licence. (3) Comme l'Arcadie nourrit peu de Chevaux, mais grand

nombre d'Anes, on s'eft avifé d'appeller l'Ane, un Rouffin d'Arcadie, par pure plaifante rie. Car du refte, le Rouffin est proprement & en bon François, un Cheval entier, un peu épais, Centre deux tailles, comme on peut voir dans le Dictionnaire de l'Académie Françoise.

Püj

On lui donna certaine fomme.
Il devoit au bout de dix ans

Mettre fon Ane fur les (a) bancs:

Sinon, il confentoit d'être en place publique
Guindé la hare au col, étranglé court & net,
Ayant au dos fa Rhétorique,

Et les oreilles d'un Baudet.

Quelqu'un des Courtifans lui dit qu'à la potence
Il vouloit l'aller voir; & que, pour un pendu,
Il auroit bonne grace, & beaucoup de prestance:
Sur tout qu'il fe fouvint de faire à l'affiftance
Un difcours où fon art fût au long étendu,
Un difcours pathétique, & dont le formulaire
Servit à certains Cicerons
Vulgairement nommés larrons.
L'autre reprit : Avant l'affaire
Le Roi, l'Ane, ou moi nous mourrons,

Il avoit raifon. C'eft folie

De compter fur dix ans de vie.

Soyons bien buvans, bien mangeans,

Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.

(a) Des Ecoles publiques.

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