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Il fe trouva que fur tous effayée,

A

:

pas un d'eux elle ne convenoit.
Plufieurs avoient la tête trop menue,
Aucuns trop groffe, aucuns même cornue.
Le Singe auffi fit l'épreuve en riant;
Et, par plaifir, la Thiare essayant,
Il fit autour force grimaceries,
Tours de foupleffe, & mille fingeries,
Passa dedans ainfi qu'en un cerceau.
Aux Animaux cela fembla fi beau,
Qu'il fut élû chacun lui fit hommage.
Le Renard feul regretta fon fuffrage,
Sans toutefois montrer fon fentiment.
Quand il eut fait fon petit compliment,
Il dit au Roi: Je fai, Sire, une cache;
Et ne crois pas qu'autre que moi la fache.
Or tout tréfor, par droit de Royauté,
Appartient, Sire, à votre Majesté.
Le nouveau Roi bâille après la finance :
Lui-même y court pour n'être pas trompé.
C'étoit un piége: il y fut attrapé.

Le Renard dit, au nom de l'affiftance:
Prétendrois-tu nous gouverner encor,
Ne fachant pas te conduire toi-même?
Il fut démis, & l'on tomba d'accord,
Qu'à peu de gens convient le Diadême.

FABLE

VII.

Le Mulet fe vantant de fa Généalogie.

LEM

E Mulet d'un Prélat fe piquoit de noblesse;
Et ne parloit inceffamment

Que de fa mere la Jument,

Dont il contoit mainte proueffe.
Elle avoit fait ceci, puis avoit été là.
Son fils prétendoit pour cela,
Qu'on le dût mettre dans l'Hiftoire.
Il eût crû s'abaiffer fervant un Médecin.
Etant devenu vieux, on le mit au moulin.
Son
pere l'Ane alors lui revint en mémoire.

Quand le malheur ne feroit bon
Qu'à mettre un fot à la raison,
Toujours feroit-ce à juste cause,
Qu'on le dit bon à quelque chose.

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UN Vieillard fur fon Ane apperçut en passant

Un pré plein d'herbe & fleuriffant.

Il y lâche fa bête; & le Grifon fe rue
Au travers de l'herbe menue,
Se veautrant, grattant & frottant,

Gambadant, chantant & broutant,
Et faifant mainte place nette.
L'Ennemi vient fur l'entrefaite.
Fuyons, dit alors le vieillard.

Pourquoi ? répondit le paillard,

Me fera-t-on porter double bât, double charge?
Non pas, dit le vieillard, qui prit d'abord le large.
Et que m'importe donc, dit l'Ane, à qui je fois?
Sauvez-vous, & me laissez paître.

Notre ennemi, c'est notre Maître,
Je vous le dis en bon François.

FABLE IX.

Le Cerf fe voyant dans l'eau.
Dans le criftal d'une fontaine,

Un Cerf fe mirant autrefois,
Louoit la beauté de fon bois;
Et ne pouvoit qu'avecque peine
Souffrir fes jambes de fufeaux,

Dont il voyoit l'objet fe perdre dans les eaux.
Quelle proportion de mes piéds à ma tête!
Difoit-il, en voyant leur ombre avec douleur:
Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte :
Mes pieds ne me font point d'honneur.
Tout en parlant de la forte,

Un (1) Limier le fait partir;
Il tâche à fe garantir,

(1) Gros Chien, bon pour la chasse du Cerf.

Dans

Dans les forêts il s'emporte.
Son bois, dommageable ornement,
L'arrêtant à chaque moment,
Nuit à l'office que lui rendent

Ses piéds, de qui fes jours dépendent.
Il fe dédit alors, & maudit les préfens
Que le Ciel lui fait tous les ans.

Nous faifons cas du beau, nous méprifons l'utile;
Et le beau fouvent nous détruit.
Ce Cerf blâme fes piéds qui le rendent agile:
Il eftime un bois qui lui nuit.

FABLE X.

Le Liévre & la Tortue.

Rien ne fert de courir : il faut partir à point.
Le Liévre & la Tortue en font un témoignage.

purger

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Si-tôt
que moi ce but. Si-tôt ? Etes-vous fage?
Repartit l'animal léger.
Ma commere, il vous faut
Avec quatre grains d'Ellébore.
Sage ou non, je parie encore.
Ainfi fut fait, & de tous deux
On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'eft pas l'affaire ;
Ni de quel Juge l'on convint.

Notre Liévre n'avoit que quatre pas à faire, J'entens de ceux qu'il fait, lorfque prêt d'être atteint, Il s'éloigne des Chiens, les renvoye (1) aux Calendes,

Et leur fait arpenter les (2) Landes.
'Ayant, dis-je, du temps de refte pour brouter,
Pour dormir, & pour écouter

D'où vient le vent, il laiffe la Tortue
Aller fon train de Sénateur.

Elle part, elle s'évertue,
Elle fe hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu'il y va de fon honneur
De partir tard. Il broute, il se repofe,
Il s'amufe à toute autre chofe

Qu'à la gageure. A la fin, quand il vit Que l'autre touchoit prefque au bout de la carriére;

Il partit comme un trait, mais les élans qu'il fit
Furent vains: la Tortue arriva la premiére.
Hé bien, lui cria-t-elle, avois-je-pas raison?

(1) S'en éloigne fi bien, que les Chiens ne peuvent le rattrapper, & fe trouvent par-là dans le cas où eft un créancier que fes débiteurs renvoyent aux Calendes Grecques, terme de payement tout-à-fait chimérique, parce qu'il n'y a point de jour dans l'année que les Grecs ayent nommé Calendes. Quand ferezvous hors de debte demanda Pantagruel. Es Calendes Grec

ques, répondit Panurge; lorf que tout le monde fer a content,&c. Pantagruel, Liv. III. chap. 3. La Fontaine fuppofant fop Lecteur déjà inftruit fur ce point de Littérature fort trivial, & qu'on doit avoir appris au Collége, s'eft contenté de dire que le Liévre renvoye les Chiens aux Calendes.

(2) Terres ftériles, incultes, fort propres pour la chaffè,

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