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(2) Qu'en ces mois le manteau leur eft fort nécessaire. Les Latins les nommoient (3) douteux pour cette affaire.

Notre homme s'étoit donc à la pluie attendu.
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
Celui-ci, dit le Vent, prétend avoir pourvû
A tous les accidens, mais il n'a pas prévû
Que je faurai fouffler de forte,

Qu'il n'eft bouton qui tienne : il faudra, fi je veux,
Que le manteau s'en aille au diable.

L'ébattement pourroit nous en être agréable: Vous plaît-il de l'avoir? Et bien, gageons nous deux (Dit Phœbus) fans tant de paroles,

A qui plûtôt aura dégarni les épaules

Du Cavalier que nous voyons.

Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons.
Il n'en fallut pas plus. Notre fouffleur à gage
Se gorge de vapeurs, s'enfle comme un balon,
Fait un vacarme de démon,

Siffle, fouffle, tempête, & brise en fon passage
Maint toit qui n'en peut mais, fait périr maint bateau:
Le tout au fujet d'un manteau.

Le Cavalier eut foin d'empêcher que l'orage
Ne fe pût engoufrer dedans.
Cela le préferva: le Vent perdit fon temps:
Plus il fe tourmentoit, plus l'autre tenoit ferme :
Il eut beau faire agir le colet & les plis.
Si-tôt qu'il fut au bout du terme

(2) A caufe de la pluie, qui forme actuellement l'Arc-enCiel, à la faveur des rayons du Soleil.

(3) Incertains. Incertis fi menfibus amnis abundans exit. Virg. Georg. L. I. v. III. II2.

Qu'à la gageure on avoit mis,
Le Soleil diffipe la nue,

Récrée, & puis pénétre enfin le Cavalier,
Sous fon balandras fait qu'il fue,

Le contraint de s'en dépouiller.

Encor n'ufa-t-il pas de toute fa puissance.

Plus fait douceur que violence.

FABLE IV.

Jupiter & le Métayer.

Jupiter eut jadis une Ferme à donner.

Mercure en fit l'annonce; & gens fe présenterent,
Firent des offres, écouterent:
Ce ne fut pas fans bien tourner.
L'un alléguoit que l'héritage

Etoit (1) frayant & rude; & l'autre un autre fi.
Pendant qu'ils marchandoient ainfi,

(1) Héritage frayant, qu'on ne peut mettre en valeur fans faire de groffes dépenfes. Les Fermiers & les Payfans de Champagne, & des environs de Château-Thierry où est né La Fontaine, fe fervent fort communément des mots frayant & frayer. La Vigne, difent-ils, & certaines Terres labourables frayent beaucoup, c'est-à-dire, que la culture de la Vigne & de certains Champs exige des frais & des foins confidérables. C'est

ce que j'ai appris d'une Demoifelle Champenoise, d'un efprit très-juste & très-délicat, qui fait obferver & retenir exactement Ice qui mérite d'être obfervé. Le mot de frayer eft préfentement inconnu à la Langue Françoife dans ce fens-là; & c'eft pourtant de frayer qu'eft venu défrayer, terme fort connu, fort ufité, & dont le fens conferve un rapport très-fenfible avec celui de frayer que lui donnent les Payfans de Champagne.

Un d'eux le plus hardi, mais non pas le plus fage,
Promit d'en rendre tant, pourvû que Jupiter
Le laiffat difpofer de l'air,

Lui donnât faifon à sa guise,

Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bife, Enfin du fec & du mouillé,

Auffi-tôt qu'il auroit bâillé.

Jupiter y confent. Contrat paffé: notre homme Tranche du Roi des airs, pleut, vente; & fait en fomme

Un climat pour lui feul : fes plus proches voisins
Ne s'en fentoient non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage, ils eurent bonne année,
Pleine moiffon, pleine vinée.

Monfieur le Receveur fut très-mal partagé.
L'an fuivant, voilà tout changé.
Il ajufte d'une autre forte

La température des Cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux.

Celui de fes voifins fructifie & rapporte.
Que fait-il? Il recourt au Monarque des Dieux:
Il confeffe fon imprudence.

Jupiter en ufa comme un Maître fort doux.

Concluons que la Providence

Sait ce qu'il nous faut mieux que nous.

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Le Cochet, le Chat & le Souriceau.

UN Souriceau tout jeune, & qui n'avoit rien vû, Fut prefque pris au dépourvû.

Voici comme il conta l'aventure à fa mere.

J'avois franchi les Monts qui bornent cet Etat;
Et trottois comme un jeune Rat
Qui cherche à fe donner carriére,

Lorfque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, benin & gracieux;
Et l'autre turbulent & plein d'inquiétude.
Il a la voix perçante & rude:

Sur la tête un morceau de chair,

Une forte de bras dont il s'éleve en l'air,
Comme pour prendre fa volée,
La queue en panache étalée.

Or c'étoit un Cochet dont notre Souriceau
Fit à fa mere le tableau,

Comme d'un Animal venu de l'Amérique.
Il fe battoit, dit-il, les flancs avec fes bras,
Faifant tel bruit & tel fracas,

Que moi, qui grace aux Dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudiffant de très-bon cœur.
Sans lui j'aurois fait connoiffance

Avec cet animal qui m'a femblé fi doux.
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, & pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort fympatisant

Avec Meffieurs les Rats: car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allois aborder, quand, d'un fon plein d'éclat,
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la Souris, ce doucet eft un Chat,
Qui, fous fon minois hypocrite,

Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir eft porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au Chat, c'eft fur nous qu'il fonde fa cuifine.
Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger des gens fur la mine.

FABLE V I.

Le Renard, le Singe & les Animaux.
LEs Animaux, au décès d'un Lion,

En fon vivant, Prince de la contrée,
Pour faire un Roi s'affemblerent, dit-on,
De fon étui la Couronne eft tirée.

Dans une (1) chartre un Dragon la gardoit.

(1) Le mot de Chartre fignifie proprement une Prison, & nos vieux Romanciers l'employent

fouvent en ce fens-là. 11 fe prend ici pour un lieu propre à mettre quelque chose en fûreté.

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