Plûtôt que d'emporter de moi Seulement le quart d'une obole, Tu te romprois toutes les dents : Je ne crains que celles du Temps. Ceci s'adreffe à vous, Efprits du dernier ordre, Qui n'étant bons à rien, cherchez fur tout à mordre: Vous vous tourmentez vainement.
Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages Sur tant de beaux ouvrages? Ils font pour vous d'airain, d'acier, de diamant.
Le Liévre & la Perdrix.
IL ne fe faut jamais moquer des miférables : Car qui peut s'affurer d'être toujours heureux ? Le fage Efope dans fes Fables Nous en donne un exemple ou deux. Celui qu'en ces Vers je propose, Et les fiens, ce font même chofe.
Le Liévre & la Perdrix, concitoyens d'un champ, Vivoient dans un état, ce femble, affez tranquille: Quand une Meute s'approchant, Oblige le premier à chercher un afyle.
Il s'enfuit dans fon fort, met les Chiens en défaut, Sans même en excepter Brifaut.
Enfin il fe trahit lui-même
Par les efprits fortans de fon corps échauffé.
Miraut, fur leur odeur ayant philosophé, Conclut que c'est son Liévre ; & d'une ardeur ex-
Il le pouffe ; & Rustaut, qui n'a jamais menti, Dit que le Liévre eft reparti.
Le pauvre malheureux vient mourir à fon gîte. La Perdrix le raille, & lui dit : Tu te vantois d'être fi vite:
Qu'as-tu fait de tes piéds? Au moment qu'elle rit, Son tour vient, on la trouve. Elle croit
La fauront garantir à toute extrêmité: Mais la pauvrette avoit compté Sans l'Autour aux ferres cruelles.
XVIII.
L'Aigle & le Hibou.
L'Aigle & le Chat-huant leurs querelles cefferent;
Et firent tant qu'ils s'embrafferent.
L'un jura foi de Roi, l'autre foi de Hibou, Qu'ils ne fe goberoient leurs petits peu ni prou. Connoiffez-vous les miens? dit l'Oifeau de Minerve. Non, dit l'Aigle. Tant-pis, reprit le triste Oiseau, Je crains en ce cas pour leur peau.
C'eft hazard, fi je les conferve.
Comme vous étes Roi, vous ne confidérez Qui ni quoi: Rois & Dieux mettent, quoi qu'on leur
Tout en même (1) catégorie.
(1) Au même rang, fans faire la moindre distinction.
Adieu mes nourriçons fi vous les rencontrez. Peignez-les-moi, dit l'Aigle, ou bien me les montrez, Je n'y toucherai de ma vie.
Le Hibou repartit: Mes petits font mignons, Beaux, bien faits, & jolis fur tous leurs compagnons. Vous les reconnoîtrez fans peine à cette marque. N'allez pas l'oublier: retenez-la fi bien
Que chez moi la maudite Parque N'entre point par votre moyen. Il avint qu'au Hibou Dieu donna géniture. De façon qu'un beau foir qu'il étoit en pâture, Notre Aigle apperçut d'aventure, Dans les coins d'une roche dure, Ou dans les trous d'une mazure, (Je ne fai pas lequel des deux) De petits monftres fort hideux, Rechignés, un air trifte, une voix de Mégere. Ces enfans ne font pas, dit l'Aigle, à notre ami Croquons-les. Le galand n'en fit pas à demi. Ses repas ne font point repas à la légére. Le Hibou, de retour, ne trouve que les piéds De fes chers nourriçons, hélas ! pour toute chofe. Il fe plaint; & les Dieux font par lui fuppliés De punir le brigand qui de fon deuil eft cause. Quelqu'un lui dit alors : N'en accufe que toi, Ou plûtôt la commune loi,
Qui veut qu'on trouve fon femblable Beau, bien fait, & fur tous aimable. Tu fis de tes enfans à l'Aigle ce portrait : En avoient-ils le moindre trait?
Le Lion s'en allant en guerre.
LE Lion dans fa tête avoit une entreprise. Il tint Confeil de guerre, envoya fes Prévôts, Fit avertir les Animaux :
Tous furent du deffein, chacun felon fa guise. L'Eléphant devoit fur fon dos Porter l'attirail néceffaire,
Et combattre à fon ordinaire : L'Ours s'apprêter pour les affauts:
Le Renard ménager de certaines pratiques; Et le Singe amufer l'ennemi par fes tours. Renvoyez, dit quelqu'un, les Anes qui font lourds; Et les Liévres fujets à des terreurs paniques. Point du tout, dit le Roi, je les veux employer. Notre troupe, fans eux, ne feroit pas complette. L'Ane effraira les gens, nous fervant de trompette. Et le Liévre pourra nous fervir de courrier.
Le Monarque prudent & fage,
De fes moindres fujets fait tirer quelque usage, Et connoît les divers talens.
Il n'eft rien d'inutile aux perfonnes de fens.
FABLE X X.
L'Ours & les deux Compagnons.
DEux Compagnons pressés d'argent,
A leur voifin Fourreur vendirent La peau d'un Ours encor vivant,
Mais qu'ils tueroient bien-tôt, du moins à ce qu'ils dirent.
C'étoit le Roi des Ours, au compte de ces gens. Le Marchand, à fa peau, devoit faire fortune. Elle garantiroit des froids les plus cuifans.
On en pourroit fourrer plûtôt deux Robes qu'une. (1) Dindenaut prifoit moins fes Moutons qu'eux leur Ours,
Leur, à leur compte, & non à celui de la bête. S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours, Ils conviennent de prix, & fe mettent en quête, Trouvent l'Ours qui s'avance, & vient vers eux au
Voilà mes gens frappés comme d'un coup de foudre. Le marché ne tint pas, il fallut le réfoudre : (2) D'intérêts contre l'Ours, on n'en dit pas un mot. L'un des deux Compagnons grimpe au faîte d'un arbre,
(1) Marchand de Moutons, nommé Dindenaut, févérement puni pour avoir infulté Panurge, & mis à trop haut prix fa marchandise, comme Rabelais le raconte plaifamment à fa maniére. Voyez Pantagruel, Liv.
IX. chap. 6. 7.& 8.
(2) Quant à la peine & à la dépense qu'avoit coûté cette expédition, contre l'Ours, on ne lui en dit pas un mot, pour en obtenir le dédommagement.
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