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FABLE X.

La Montagne qui accouche.

UNe Montagne en mal d'enfant

Jettoit une clameur fi haute,
Que chacun au bruit accourant,
Crut qu'elle accoucheroit, fans faute,
D'une Cité plus groffe que Paris :
Elle accoucha d'une Souris.

Quand je fonge à cette Fable,
Dont le récit eft menteur,
Et le fens eft véritable,
Je me figure un Auteur

Qui dit: Je chanterai la guerre

Que firent les Titans au Maître du tonnerre.
C'est promettre beaucoup mais qu'en fort-il fou-

vent?

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Du vent.

FABLE X I.

La Fortune & le jeune Enfant.

Sur le bord d'un puits très-profond,

Dormoit, étendu de fon long,
Un Enfant alors dans fes claffes.

Tout eft aux Ecoliers couchette & matelas.

Un honnête homme, en pareil cas,
Auroit fait un faut de vingt braffes.
Près de là tout heureusement

La Fortune paffa, l'éveilla doucement,
Lui difant: Mon mignon, je vous fauve la vie,
Soyez une autre fois plus fage, je vous prie.
Si vous fuffiez tombé, l'on s'en fût pris à moi,
Cependant c'étoit votre faute.

Je vous demande en bonne foi
Si cette imprudence fi haute

Provient de mon caprice. Elle part à ces mots.

Pour moi, j'approuve fon propos.
Il n'arrive rien dans le monde
Qu'il ne faille qu'elle en réponde:

Nous la faifons de tous (1) écots:

Elle eft prise à garant de toutes aventures.
Eft-on fot, étourdi, prend-on mal fes mefures,
On penfe en être quitte en accufant fon fort:
Bref, la Fortune a toujours tort.

(1) Ecot, eft la part que chacun doit payer pour un repas Commun. Faifons-nous une fottife, nous en mettons la meilleure partie furle compte de la Fortune.

Nous lui faifons payer largement fon écot pour le mauvais fuccès d'une affaire auquel fuccès elle n'a contribué en aucune maniére.

FABLE XII.

Les Médecins.

LE Médecin (1) Tant-pis alloit voir un malade,

Que vifitoit auffi fon confrére (2) Tant-mieux.
Ce dernier espéroit, quoique fon camarade
Soûtint que le gifant iroit voir fes ayeux.
Tous deux s'étant trouvés différens pour la cure,
Leur malade paya le tribut à Nature.
Après qu'en fes confeils Tant-pis eut été crû,
Ils triomphoient encor fur cette maladie.
L'un difoit: il eft mort, je l'avois bien prévû :
S'il m'eût crû, difoit l'autre, il feroit plein de vie.

(1) (2) Médecins d'un caractére oppofé, dont l'un faifoit toujours des pronoftics funeftes & l'autre des pronoftics heureux.

FABLE XIII.

La Poule aux Oeufs d'or.

L'Avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux pour le témoigner

Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,
Pondoit tous les jours un œuf d'or.
Il crut que dans fon corps elle avoit un tréfor.
Il la tua, l'ouvrit, & la trouva femblable
A celles dont les œufs ne lui rapportoient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de fon bien.

Belle leçon pour les gens chiches!

Pendant ces derniers temps combien en a-t-on vûs,
Qui du foir au matin font pauvres devenus,
Pour vouloir trop tôt être riches?

FABLE XIV.

L'Ane portant des Reliques.

UN Baudet chargé de Reliques,
S'imagina qu'on l'adoroit.

Dans ce penfer il se quarroit, Recevant comme fiens l'Encens & les Cantiques, Quelqu'un vit l'erreur, & lui dit :

Maître Baudet, ôtez-vous de l'efprit
Une vanité fi folle."

Ce n'eft pas vous, c'est l'Idole
A qui cet honneur fe rend,
Et que la gloire en est dûe.
D'un Magiftrat ignorant,
C'eft la robe qu'on falue.

FABLE X V.

Le Cerf & la Vigne.

UN Cerf, à la faveur d'une Vigne fort haute „

Et telle qu'on en voit en de certains climats,
S'étant mis à couvert, & fauyé du trépas

Les Veneurs pour ce coup croyoient leurs (1) Chiens en faute.

Ils les rappellent donc. Le Cerf, hors de danger,
Broute fa bienfaitrice: ingratitude extrême!
On l'entend, on retourne, on le fait déloger:
Il vient mourir en ce lieu même.

J'ai mérité, dit-il, ce jufte châtiment,
Profitez-en, ingrats. Il tombe en ce moment.
La meute en fait (2) curée. Il lui fut inutile
De pleurer aux Veneurs à fa mort arrivés.

Vraie image de ceux qui profanent l'asyle
Qui les a confervés.

(1) Qu'ils avoient perdu la pifte de la bête qu'ils chaffoient. (2) Les Chiens mangent la

FABLE

portion que les Chaffeurs leur en donnent, & qu'on nomme Curée.

XVI

Le Serpent & la Lime.

ON conte qu'un Serpent, voisin d'un Horloger,
(C'étoit pour l'Horloger un mauvais voifinage)
Entra dans fa boutique, & cherchant à manger,
N'y rencontra pour tout potage

Qu'une lime d'acier qu'il fe mit à ronger.
Cette Lime lui dit, fans fe mettre en colere,
Pauvre ignorant! Et que prétens-tu faire?
Tu te prens à plus dur que toi,
Petit Serpent à tête folle :

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