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Meffer Loup attendoit (1) chape-chute à la porte. Il avoit vû fortir gibier de toute forte,

Veaux de lait, Agneaux & Brebis,

Régiment de Dindons, enfin bonne Provende.
Le larron commençoit pourtant à s'ennuyer.
Il entend un enfant crier.

La mere auffi-tôt le gourmande,
Le menace, s'il ne fe taît,

De le donner au Loup. L'animal fe tient prêt,
Remerciant les Dieux d'une telle aventure,
Quand la mere appaifant fa chere géniture,
Lui dit : Ne criez point: s'il vient, nous le tuerons.
Qu'est-ceci? s'écria le mangeur de Moutons.
Dire d'un, puis d'un autre ? Eft-ce ainfi que l'on trait
Les gens faits comme moi? Me prend-on pour un fo
Que quelque jour ce beau marmot

Vienne au bois cueillir la noifette.

Comme il difoit ces mots, on fort de la maison :
Un Chien de cour l'arrête : épieux & fourches fiéres
L'ajuftent de toutes maniéres.

Que veniez-vous chercher en ce lieu? lui dit-on.
Auffi-tôt il conta l'affaire.

Merci de moi, lui dit la mere,

Tu mangeras mon fils? L'ai-je fait à deffein
Qu'il affouviffe un jour ta faim?
On affomme la pauvre bête.

Un manant lui coupa le pied droit & la tête :
Le Seigneur du village à fa porte les mit,

(1) Quelque bonne aventure. Si vous voulez favoir ce qui a donné lieu à cette expression, voyez le Dictionnaire de Trévoux, au

mot Chapechute. J'avois fait fur ce mot une note, qui m'a paru trop longue pour être mife ici.

K

Et ce dicton Picard à l'entour fut écrit.

Biaux chires Leups n'écoutez mie

Mere tenchent chen fieux qui crie.

FABLE XVII.

Parole de Socrate.

Socrate (1) un jour faisant bâtir,

Chacun cenfuroit fon ouvrage. L'un trouvoit les dedans, pour ne lui point mentir, Indignes d'un tel personnage. L'autre blâmoit la face; & tous étoient d'avis Que les appartemens en étoient trop petits. Quelle maifon pour lui! L'on y tournoit à peine. Plût au Ciel que de vrais amis, Telle qu'elle eft, dit-il, elle pût être pleine.

Le bon Socrate avoit raifon

De trouver pour ceux-là trop grande fa maison, Chacun fe dit ami, mais fou qui s'y repose. Rien n'eft plus commun que ce nom, Rien n'eft plus rare que la chose.

(1) Philofophe Grec, dont la fageffe & la vertu ne peuvent être affez admirées de quicon

que prendra la peine d'étudier fon caractere.

FABLE XVII I.

Le Vieillard & Jes Enfans.

Toute puiffance eft foible à moins que d'être unie,

Ecoutez là-deffus l'Esclave de Phrygie.

Si j'ajoûte du mien à fon invention,

C'est pour peindre nos mœurs,& non point par envie:
Je fuis trop au-deffous de cette ambition.

Phédre enchérit souvent par un motif de gloire :
Pour moi, de tels pensers me feroient mal-féans.
Mais venons à la Fable, ou plûtôt à l'Histoire
De celui qui tâcha d'unir tous fes enfans.

Un vieillard prêt d'aller où la mort l'appelloit,
Mes chers enfans, dit-il (à fes fils il parloit)
Voyez fi vous romprez ces dards liés ensemble:
Je vous expliquerai le nœud qui les affemble.
L'aîné les ayant pris, & fait tous fes efforts,
Les rendit en difant : (1) Je le donne aux plus forts.
Un fecond lui fuccéde, & fe met en posture,
Mais en vain. Un cadet tente auffi l'aventure.
Tous perdirent leur temps, le faisceau résista:

(1) Je défie les plus forts d'en venir à bout, c'est-à-dire, de rompre ces dards joints enfemble. Dans la plupart des Editions des Fables de la Fontaine, au lieu de, Je le donne aux plus forts, on trouve, Je les donne aux plus forts faute groffiere, qui a été corrigée par La Fontaine luimême, dans une Edition de Pa

ris, publiée en 1678. La même faute a reparu depuis, dans plufieurs autres Editions, par la négligence ou l'ignorance des Correcteurs: mais on peut compter préfentement, que cette Note, munie de l'autorité de la Fontaine, la fera difparoître pour toujours.

De ces dards joints ensemble un feul ne s'éclata.
Foibles gens! dit le pere, il faut que je vous montre
Ce que ma force peut en femblable rencontre.
On crut qu'il fe moquoit, on fourit, mais à tort.
Il fépare les dards, & les rompt fans effort.
Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde.
Soyez joints, mes enfans, que l'amour vous accorde.
Tant que dura fon mal, il n'eut autre difcours.
Enfin fe fentant près de terminer fes jours:
Mes chers enfans, dit-il, je vais où font nos peres:
Adieu, promettez-moi de vivre comme freres;
Que j'obtienne de vous cette grace en mourant.
Chacun de fes trois fils l'en affure en pleurant.
Il prend à tous les mains : il meurt; & les trois freres
Trouvent un bien fort grand,mais fort mêlé d'affaires.
Un créancier faifit, un voisin fait procès :
D'abord notre Trio s'en tire avec fuccès.
Leur amitié fut courte autant qu'elle étoit rare.
Le fang les avoit joints, l'intérêt les fépare.
l'ambition, l'envie, avec les (2) confultans
Dans la fucceffion entrent en même temps.
On en vient au partage, on contefte, on chicane:
Le Juge fur cent points tour à tour les condamne.
Créanciers & voifins reviennent auffi-tôt,
Ceux-là fur une erreur, ceux-ci fur un défaut.
Les freres défunis font tous d'avis contraire :
L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien ; & voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis, & pris à part.

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(2) Avocats qui ne plaident plus au Pareau, mais qu'on va Confulter chez eux.

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Vouloir tromper le Ciel, c'est folie à la Terre.

Le (1) Dédale des cœurs en fes détours n'enferre Rien qui ne foit d'abord éclairé par les Dieux. Tout ce que l'homme fait, il le fait à leurs yeux, Même les actions que dans l'ombre il croit faire..

Un Payen qui fentoit quelque peu le (2) fagot,
Et qui croyoit en Dieu, pour user de ce mot,
(3) Par bénéfice d'inventaire,
Alla confulter Apollon.

Dès qu'il fut en fon Sanctuaire,

Ce que je tiens, dit-il, eft-il en vie ou non?
Il tenoit un Moineau, dit-on,
Prêt d'étouffer la pauvre bête,
Ou de la lâcher auffi-tôt,

(1) Le Labyrinthe, que les Poëtes nomment fouvent Dédale, dans le fens propre, & dans un fens figuré, comme ici, par allufion à Dédale, Architecte Athénien, qui bâtit le fameux Labyrinthe de Crete.

(2) Qui s'expofoit à être brûlé comme athée.

(3) Qu'un homme fe trouve héritier par teftament, s'il foupçonne que l'héritage pourroit l'obliger à payer aux créanciers du défunt plus qu'il ne lui a laiffé par fon teftament, il n'accepte

l'héritage que par bénéfice d'inventaire ; & dans ce cas, il n'eft tenu de payer des dettes du défunt que jufqu'à la concurrence des biens inventoriés. Ainfi, un homme qui croit en Dieu, fans être fort affuré de fon éxistence, fe réserve la liberté de n'y point croire du tout. Un tel homme, dit La Fontaine, croit en Dien, pour ufer de ce mot, par bénéfice d'inventaire : Expreffion hardie, qui n'eft pas fort claire fi je ne me trompe,

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