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Séjour du frais, véritable patrie

Des Zéphirs. Le Lion n'y fut pas, qu'à ces gens Il fe plaignit d'être malade.

Continuez votre ambaffade,

Dit-il, je fens un feu qui me brûle au dedans, Et veux chercher ici quelque herbe falutaire. Pour vous, ne perdez point de temps: Rendez-moi mon argent, j'en puis avoir affaire. On débale ; & d'abord le Lion s'écria

D'un ton qui témoignoit sa joie :

Que de filles, ó Dieux, mes piéces de monnoie
Ont produites! Voyez : la plûpart font déjà
Auffi grandes que leurs meres.
Le croît m'en appartient. Il prit tout là-dessus,
Ou bien, s'il ne prit tout, il n'en demeura guéres.
Le Singe & les Sommiers confus,

Sans ofer repliquer, en chemin fe remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu'ils fe plaignirent,
Et n'en eurent point de raison.

Qu'eût-il fait ? C'eût été Lion contre Lion:
Et le proverbe dit : (3) Corsaires à Corfaires
L'un l'autre s'attaquant ne font pas leurs affaires.

(3) Efpece de Proverbe, que La Fontaine a pris mot pour mot de Regnier: Satire x11. à la fin.

FABLE XIII.

Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf.

DE tout temps les Chevaux ne font nés

hommes.

pour les

Lorfque le genre humain de gland fe contentoit,
Ane, Cheval & Mule aux forêts habitoit :

Et l'on ne voyoit point, comme au fiécle où nous fommes,

Tant de felles & tant de bats,
Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaifes, tant de carroffes,
Comme auffi ne voyoit-on pas
Tant de feftins & tant de nôces.
Or un Cheval eut alors differend
Avec un Cerf plein de vîteffe,
Et ne pouvant l'attraper en courant,
Il eut recours à l'homme, implora fon adreffe.
L'Homme lui mit un frein, lui fauta fur le dos,
Ne lui donna point de repos

Que le Cerf ne fût pris, & n'y laiffât la vie.
Et cela fait, le Cheval remercie

L'Homme fon bienfaiteur, difant: Je fuis à vous.
Adieu. Je m'en retourne en mon féjour fauvage.
Non pas cela, dit l'Homme, il fait meilleur chez nous:
Je vois trop quel est votre usage.
Demeurez donc, vous ferez bien traité,
Et jufqu'au ventre en la litière.
Hélas! Que fert la bonne chére,

Quand on n'a pas la liberté ?

Le Cheval s'apperçut qu'il avoit fait folie :
Mais il n'étoit plus temps: déjà fon écurie
Etoit prête & toute bâtie.

Il y mourut en traînant fon lien :
Sage s'il eût remis une légere offense.

Quel que foit le plaifir que caufe la vengeance, C'est l'acheter trop cher,que l'acheter (1) d'un bien Sans qui les autres ne font rien.

(1) La liberté, préferable aux métaux les plus précieux, dit Horace en appliquant la Fable du Cheval à toute perfonne, qui, pour vivre plus commodément, devient efclave d'un Grand, qui l'ayant admis chez lui & à fa table, le rend infenfiblement le jouet de fes humeurs, & de fes plus bizarres fantaisies. Pour La Fontaine, comme il n'a pas trouvé à propos de fortir ouvertement de fon fujet, il ne pouvoit peindre la liberté qu'en termes gé

néraux, ce qu'il a fait d'une maniere fort délicate, mais peutêtre moins propre à toucher & inftruire tous fes lecteurs, que l'idée qu'en donne Horace, d'où je ne vois pourtant pas qu'on puiffe rien conclure en faveur d'Horace au défavantage de La Fontaine, qui n'auroit pû s'écarter ici de fon fujet, comme a fait Horace, fans nous faire perdre une fage inftruction, directement fondée fur cette Fa ble.

LES

FABLE XIV.

Le Renard & le Bufte.

Es Grands, pour la plûpart, font mafques de
théatre:

Leur apparence impofe au vulgaire idolâtre.
L'Ane n'en fait juger que par ce qu'il en voit.

Le Renard au contraire à fond les examine,
Les tourne de tout fens ; & quand il s'apperçoit
Que leur fait n'eft que bonne mine,

Il leur applique un mot qu'un (1) Bufte de Héros
Lui fit dire fort à propos.

C'étoit un Buste creux, & plus grand que nature.
Le Renard en louant l'effort de la Sculpture,
Belle tête, dit-il, mais de cervelle point.

Combien de grands Seigneurs font Buftes en ce point!

(1) Figure d'une perfonne à demi corps, en plein relief.

FABLE X V..

Le Loup, la Chévre & le Chévreau.

LA Bique allant remplir fa traînante mamelle,

Et paître l'herbe nouvelle,
Ferma fa porte au loquet,
Non fans dire à fon Biquet:
Gardez-vous, fur votre vie,
D'ouvrir que l'on ne vous die
Pour enfeigne & mot du guet,
Foin du Loup & de fa race.
Comme elle difoit ces mots,
Le Loup de fortune paffe:
Il les recueille à propos,
Et les garde en fa mémoire.
La Bique, comme on peut croire

N'avoit pas vû le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefait fon ton,
Et d'une voix (a) papelarde

Il demande qu'on ouvre, en difant, foin du Loup,
Et croyant entrer tout d'un coup.

Le Biquet foupçonneux, par la fente regarde.
Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvriraipoint,
S'écria-t-il d'abord. (Patte blanche est un point
Chez les Loups, comme on fait, rarement en usage)
Celui-ci fort furpris d'entendre ce langage
Comme il étoit venu s'en retourna chez foi.
Où feroit le Biquet s'il eût ajoûté foi
Au mot du guet que de fortune
Notre Loup avoit entendu ?

Deux fûretés valent mieux qu'une;

Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

(a) Douce & contrefaite,

FABLE X V I.

Le Loup, la Mere & l'Enfant.

CE

E Loup me remet en mémoire

Un de fes compagnons qui fut encor mieux pris.
Il y périt: voici l'Histoire.

Un Villageois avoit à l'écart fon logis:

Meffer

3

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