Page images
PDF
EPUB

1765.

du faint Evangile, pafteur d'ouailles calviniftes, et qui n'eft rien de tout cela; c'est un philofophe des plus décidés et des plus aimables. J'ignore fi fa qualité de miniftre évangélique s'oppofe aux bontés d'un miniftre d'Etat; j'ignore s'il eft nécessaire que M. le duc de Praflin ait la bonté de faire mettre, dans le paffe-port, le fieur de Moultou et fon fils le prêtre. Je m'en rapporte uniquement à la protection et à la complaifance de M. le duc de Praflin; les maux que fouffre Moultou le père font dignes de fa pitié. Il n'y a pas un moment à perdre, fi on veut lui fauver la vie. Tronchin inocule, mais il ne taille point de la pierre.

LETTRE V.

A M. ELIE DE BEAUMONT, avocat.

A Ferney, le 13 de janvier.

Vous jouez un beau rôle, Monfieur; vous êtes

toujours le protecteur de l'innocence opprimée. Vous avez dû être auffi bien reçu en Angleterre qu'un juge des Calas le ferait mal. Une nation ennemie des préjugés et de la perfécution, était faite pour vous. Je n'ose me flatter que vous faffiez aux Alpes et au mont Jura le même honneur que vous avez fait à la Tamife; mais je crois que j'oublierais ma vieillesse et mes maux, fi vous fefiez ce pélerinage.

Je cherche actuellement les moyens de vous faire parvenir quelques livres affez curieux qu'on m'a

envoyés d'Hollande. Le commerce des pensées eft un peu interrompu en France; on dit même qu'il 1765. n'est pas permis d'envoyer des idées de Lyon à Paris. On faifit les manufactures de l'efprit humain comme des étoffes défendues. C'eft une plaifante politique de vouloir que les hommes foient des fots, et de ne faire confifter la gloire de la France que dans l'opéra comique. Les Anglais en font-ils moins heureux, moins riches, moins victorieux, pour avoir cultivé la philofophie? Ils font auffi hardis en écrivant qu'en combattant, et bien leur en a pris. Nous danfons mieux qu'eux, je l'avoue; c'est un grand mérite, mais il ne fuffit pas. Locke et Newton valent bien Dupré et Lulli.

Mille refpects à votre aimable femme qui pense. Confervez-moi vos bontés.

LETTRE V I.

A M. BESSIN,

Curé de Plainville en Normandie.

Ferney, le 13 de janvier.

Vous m'avez envoyé, Monfieur, des vers bien

faits et bien agréables, et vous m'apprenez en même témps que vous êtes curé; vous méritez d'avoir la première cure du Parnaffe; vous ne chanterez jamais d'antienne qui vaille vos vers. Si je ne vous ai pas répondu plutôt, c'eft que je fuis vieux, malade et

aveugle. Je ne ferai pas enterré dans votre paroiffe, 1765. mais c'est vous que je choifirais pour faire mon

épitaphe.

J'ai l'honneur d'être, &c.

LETTRE VII.

A M. DAMILA VILL E.

15 de janvier.

Mon cher frère, 7. 7. est en horreur dans sa

patrie, chez tous les honnêtes gens; et ce qu'il y a de pis, c'eft que fon livre eft ennuyeux.

Je croyais vous avoir mandé que la petite brochure eft d'un nommé Vernes ou Vernet. On dit que ce n'eft qu'une feule feuille oubliée prefqu'en naiffant. Ce miniftre Vernes a écrit une autre brochure contre J. J., oubliée tout de même. Je n'ai vu ni l'un ni - l'autre écrit, Dieu merci, et n'ai fait que parcourir les livres ennuyeux faits à cette occafion.

J'ai été bien aise de détromper madame la maréchale de Luxembourg, à qui J. J. avait fait accroire que je le perfécutais, parce qu'il m'avait offensé ridiculement. Je lui avais offert, malgré fes fottifes, un fort auffi heureux que celui de mademoiselle Corneille: et fi, au lieu d'un quintal d'orgueil, il avait eu un grain de bon fens, il aurait accepté ce parti. Il s'eft cru outragé par l'offre de mes bienfaits. Il n'eft pas Diogène, mais le chien de Diogène, qui mord la main de celui qui lui offre du pain.

Tout ce que vous me dites dans votre lettre du 10 de janvier, est la raison même. Je me fuis tenu à Ferney 1765.

pendant tous ces troubles; je ne me fuis mêlé de rien. Quand les abeilles fe battent dans une ruche, il ne faut pas en approcher. Tout s'arrangera, et ce malheureux Rouffeau reftera l'exécration des bons citoyens.

Il eft fort difficile d'avoir des Evangiles; il fera peut-être plus aifé d'avoir des Portatifs. Je me fervirai de la voie que vous m'avez indiquée.

Ma fanté eft fort mauvaise ; j'ai été malade foixante et onze ans, et je ne cefferai de fouffrir qu'en ceffant de vivre; mais en mourant je vous dirai: O vous que j'aime perfévérez malgré les transfuges et les traîtres, et écr. l'inf.

LETTRE VIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

MON

17 de janvier.

ON cher ange, d'abord, comment se porte madame d'Argental? enfuite, comment êtes-vous avec le tyran du tripot? J'ai bien peur, par tout ce qu'il m'écrit, qu'il ne foit très-fâché contre vous; c'eft une de fes grandes injuftices; car je l'ai bien affuré que vous n'aviez ni ne pouviez avoir aucune part à la diftribution des dignités comiques; et il doit favoir que c'eft en conféquence de fa permiffion expreffe, datée du 17 de septembre 1764, que je difpofais des rôles. Son grand chagrin, fon grand cheval

1765.

de bataille eft que les provifions, par moi données au tripot, ont paffé par vos aimables mains; en ce cas, vous auriez donc été trahi, les tripotiers vous auraient compromis. Voilà une grande tracasferie pour un mince fujet. Cela reffemble à la guerre des Anglais qui commença pour quatre arpens de neige; mais je m'en remets à votre prudence.

[ocr errors]

Je vous avoue que je fuis un peu dégoûté de tous les tripots poffibles; je vois évidemment que celui de Cinna et d'Andromaque eft tombé pour long-temps. Quand une nation a eu un certain nombre de bons ouvrages, tout ce qu'on lui donne au delà fait l'effet d'un fecond fervice qu'on préfente à des convives raffafiés. Je vous le répète, l'opéra comique fera tout tomber. Une mufique agréable, de jolies danfes, des fcènes comiques et beaucoup d'ordures forment un fpectacle fi convenable à la nation, que le Petit carême de Maffillon ne tiendrait pas contre lui. Je crois fermement qu'il faut que les comédiens ordinaires du roi aillent jouer dans les provinces, trois ou quatre ans ; s'ils restent à Paris, ils feront ruinés.

J'ai eu par contre-coup ma petite dofe de tracafferie au fujet de ce fou de Jean-Jacques; fa conduite eft inouie. St Paul n'en ufa pas plus mal avec St Pierre, en annonçant le même évangile. Je vois qu'on a très-bien fait de supposer que la Trinité ne compofe qu'un seul DIEU; car fi elle en avait trois, ils fe feraient coupé la gorge pour quelques querelles de bibus.

A l'ombre de vos ailes. V.

« PreviousContinue »