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LE COMTE.

Je suis fâché, monsieur...

LE BARON se tournant vers sa fille.

Bonjour, mon Eugénie.

LE COMTE à lui-même, se rappelant la dernière phrase d'Eugénie.

La joie a donc aussi ses larmes !

LE BARON au comte.

Comment la trouvez-vous, milord? Mais vous vous connaissiez déjà : son frère et elle, voilà tout ce qui me reste... Elle était gaie autrefois : les filles deviennent précieuses en grandissant. Ah! quand elle sera mariée!... A propos de mariage, j'allais oublier de vous faire un compli

ment...

LE COMTE interrompant.

A moi, monsieur ? Je n'en veux recevoir que sur le bonheur que j'ai en ce moment de présenter mes respects à ces dames.

LE BARON.

Eh! non, non c'est sur votre mariage.

MADAME MURER.

Son mariage!

EUGÉNIE à part, avec frayeur.

Ah ciel!

LE COMTE d'un air contraint.

Vous voulez rire.

LE BARON.

Ma foi, je ne l'ai pas deviné. Votre suisse a dit que vous étiez à la cour pour un mariage...

LE COMTE interrompant.

Ah! ah!... oui : c'est... c'est un de mes parens. Vous savez que pour peu qu'on tienne à quelqu'un, on va pour la signature...

LE BARON.

Non il dit que cela vous regarde.

LE COMTE embarrassé.

Discours de valets... Il est bien vrai que mon oncle, ayant eu dessein de m'établir, m'a proposé depuis peu une fille de qualité fort riche (regardant Eugénie); mais je lui ai montré tant de répugnance pour un engagement, qu'il a eu la bonté de ne pas insister. Cela s'est su, et peut-être trop répandu. Voilà l'origine d'un bruit qui n'a et n'aura jamais de fondement réel.

LE BARON.

Pardon, au moins. Je ne l'ai pas dit pour vous fâcher. Un joli homme comme vous,

belles...

MADAME MURER.

couru des

Mon frère va s'égayer. Trouvez bon, messieurs, que nous nous retirions.

LE COMTE saluant.

Ce sera moi, si vous le voulez bien. J'ai quelques

affaires pressées... Je vous demande la permission, mesdames, de vous voir le plus souvent...

MADAME MURER.

Jamais aussi souvent que nous le désirons, milord. (Le comte sort, le baron l'accompagne : ils se font des politesses.)

SCÈNE XI.

MADAME MURER, EUGÉNIE.

MADAME MURER.

Avec quelle adresse et quelle honnêteté pour vous il vient de s'expliquer!

EUGÉNIE, honteuse d'un petit mouvement de frayeur, se jette dans les bras de sa tante.

Grondez donc votre folle de nièce... A un certain mot de mon père, n'ai-je pas éprouvé un serrement de cœur affreux!... Il m'avait caché ces bruits dans la crainte de m'affliger... Comme il m'a regardée en répondant!... Ah! ma tante, que je l'aime!

MADAME MURER l'embrasse.

Manièce, vous êtes la plus heureuse des femmes. (Elles vont chez le baron par la porte d'entrée.)

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE II.

(Un domestique entre. Après avoir rangé les siéges qui sont autour de la table à thé, il en emporte le cabaret, et vient remettre la table à sa place auprès du mur de côté. Il enlève des paquets dont quelques fauteuils sont chargés, et sort en regardant si tout est bien en ordre.)

L'action théâtrale ne reposant jamais, j'ai pensé qu'on pourrait essayer de lier un acte à celui qui le suit par une action pantomime, qui soutiendrait, sans la fatiguer, l'attention des spectateurs, et indiquerait ce qui se passe derrière la scène pendant l'entr'acte. Je l'ai désignée entre chaque acte. Tout ce qui tend à donner de la vérité est précieux dans un drame sérieux, et l'illusion tient plutôt aux petites choses qu'aux grandes. Les comédiens français, qui n'ont rien négligé pour que cette pièce fît plaisir, ont craint que l'œil sévère du public ne désapprouvât tant de nouveautés à la fois ils n'ont pas osé hasarder les entr'actes. Si on les joue en société, on verra que ce qui n'est qu'indifférent tant que l'action n'est pas engagée, devient assez important entre les derniers actes,

SCÈNE PREMIÈRE.

DRINK seul, un paquet de lettres à la main. Il se retourne en entrant, et crie au facteur qui s'en va.

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A moi seul, entendez-vous? (Il avance dans le salon.) Un homme averti en vaut deux, dit-on. Voyons ce que le facteur vient de me remettre. Il faut servir un maître qui rosse aussi fort qu'il récompense

bien. (Il lit une adresse.) Hem, m, m, à Monsieur, Monsieur le baron Hartley. Voilà pour le père. Quelque sanglier forcé, quelque chien éreinté, etc. etc. (Il en lit une autre.) Hem, m, m, Armée d'Irlande: c'est du fils. Ceci doit encore passer; l'ordre ne porte pas d'arrêter les paquet-bots. (Il en regarde une troisième.) Hem, m, m, Lancastre: voici qui paraît suspect. (Il lit.) A Madame, Madame Murer, près du parc Saint-James... Pour la tante... c'est l'écriture de M. Williams, notre marieur, l'intendant de milord... Main-basse sur celle-ci. Peste! la jeune personne eût appris... A propos, il se meurt, dit mon maître. Voyons un peu ce qu'il écrit: puisque je ne dois pas la remettre, je puis bien la lire. Il n'y a pas plus de mal à l'un qu'à l'autre, et l'on apprend quelquefois... (Il hésite un peu, et enfin rompant le cachet, il lit.) « Madame, je touche « au moment terrible où je vais rendre compte « de toutes les actions de ma vie. » (Il parle.) Un intendant!... le compte sera long. (I lit.) « Les « remords me pressent, et je veux réparer au« tant qu'il est en moi, par cet avis tardif, le «< crime dont je me suis rendu coupable en por« tant le jeune lord comte de Clarendon à trom«< per votre malheureuse nièce par un mariage «< simulé. » (Il parle.) Mon maître s'était douté de cette lettre... c'est un vrai démon pour les précautions.

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