Page images
PDF
EPUB

Quel est-il?

MADAME MURER.

LE BARON marchant plus vite et gesticulant violemment. J'irai à la cour..... oui, je vais y aller..... Je tombe aux pieds du roi : il ne me rejettera pas. (Madame Murer hoche la tête.) Et pourquoi me rejetterait-il? Il est père..... Je l'ai vu embrasser ses enfans.

MADAME MURER.

La belle idée! Et que lui direz-vous?

LE BARON s'arrêtant devant elle.

Ce que je lui dirai! je lui dirai: Sire..... vous êtes père, bon père..... je le suis aussi; mais j'ai le cœur déchiré sur mon fils et sur ma fille. Sire, vous êtes humain, bienfaisant... Quand un des vôtres fut en danger, nous pleurions tous de vos larmes; vous ne serez pas insensible aux miennes. Mon fils s'est battu, mais en homme d'honneur; il sert votre majesté comme son bisaïeul, qui fut emporté sous les yeux du feu roi ; il sert comme mon père, qui fut tué en défendant la patrie dans les derniers troubles; il sert comme je servais lorsque j'eus l'honneur d'être blessé en Allemagne..... J'ouvrirai mon habit..... il verra mon estomac... mes blessures. Il m'écoutera, et j'ajouterai :Un suborneur est venu en mon absence violer notre retraite et l'hospitalité; il a déshonoré ma fille par un faux mariage..... Je vous demande à genoux,

Sire, grâce pour mon fils, et justice pour ma fille.

MADAME MURER.

Mais ce suborneur est un homme qualifié, puissant.

LE BARON vivement.

S'il est qualifié, je suis gentilhomme..... Enfin je suis un homme..... Le roi est juste; à ses pieds toutes ces différences d'état ne sont rien : ma sœur, il n'y a d'élévation que pour celui qui regarde d'en bas; au-dessus tout est égal; et j'ai vu le roi parler avec bonté au moindre de ses sujets comme au plus grand. ( Il va et vient.)

MADAME MURER d'un ton ferme.

Croyez-moi, monsieur le baron, nous suffirons

à notre vengeance.

LE BARON n'a entendu que le dernier mot.

Oui, vengeance!.... et qu'on le livre à toute la rigueur des lois.

MADAME MURER très-ferme.

Les lois! la puissance et le crédit les étouffent souvent; et puis c'est demain qu'il prétend se marier; il faut le prévenir. Incertitude! lenteur! est-ce ainsi qu'on se venge? Eh! la justice naturelle reprend ses droits partout où la justice civile ne peut étendre les siens. (Après un peu de silence, d'un ton plus bas.) Enfin, mon frère, il est temps de vous dire mon secret : avant deux heures le comte sera votre gendre, ou il est mort.

Comment cela?

LE BARON.

MADAME MURER s'approche de lui.

Écoutez-moi. J'ai envoyé à milord duc un détail très-étendu des atrocités de son neveu, sans néanmoins lui rien dire de mon projet ; ensuite... votre fille n'a jamais voulu s'y prêter; mais j'ai écrit elle au scélérat qu'elle l'attend ce soir.

Il ne viendra pas.

LE BARON.

MADAME MURER lui montrant le billet.

pour

Au coup de minuit..... voici sa réponse. J'ai fait armer vos gens et les miens vous le surprendrez chez elle. J'ai ici un ministre tout prêt: qu'il tremble à son tour.

LE BARON surpris.

Quoi! ma sœur, un guet-apens! Des piéges! MADAME MURER avec impatience.

Y a-t-on regardé de si près pour nous faire le plus sanglant outrage?

LE BARON.

Vous avez raison; mais quand il arrivera, j'irai au-devant de lui, je l'attaquerai.

MADAME MURER avec effroi.

Il vous tuera.

LE BARON.

Il me tuera! Eh bien! je n'aurai pas survécu à mon déshonneur.

SCÈNE IV.

MADAME MURER seule.

Va, vieillard indocile! je saurai me passer de toi. J'ai fait le mal, c'est à moi seule à le réparer.

SCÈNE V.

MADAME MURER, ROBERT.

ROBERT accourant.

Madame, j'ai entendu essayer une clef à la serrure; je suis accouru de toutes mes forces,

MADAME MURER.

Rentrons vite. Je vais prendre ma nièce chez elle; éteignez, éteignez. (Lé laquais éteint les bougies, ils sortent. )

SCÈNE VI.

LE COMTE, SIR CHARLES.

(Le comte est en frac, le chapeau sur la tête et l'épée au fourreau dans une main; de l'autre il conduit sir Charles, qui a son épée nue sous le bras. Le salon est obscur.)

LE COMTE.

Vous êtes ici en sûreté, monsieur; cette maison est à moi, quoique j'aie usé de mystère en y entrant.... N'êtes-vous pas blessé?

SIR CHARLES.

Je n'ai qu'un coup à mon habit; mais apprenezmoi, de grâce, monsieur, à qui j'ai l'obligation de la vie. Sans votre heureuse rencontre, sans votre généreux courage, j'aurais infailliblement succombé : ces quatre coquins en voulaient à mes jours.

LE COMTE.

Ce service n'est rien, vous eussiez sûrement fait la même chose en pareil cas: on m'appelle le comte de Clarendon.

SIR CHARLES vivement.

Quoi! c'est le comte de Clarendon !... J'étais destiné à vous tout devoir, milord, et à tenir de vous l'honneur et la vie.

LE COMTE.

Comment serais-je assez heureux?

SIR CHARLES.

Je vous suis adressé de Dublin.

LE COMTE.

Vous êtes le chevalier Campley, pour qui ma sœur et ma cousine m'ont écrit d'Irlande des lettres si pressantes, et que j'ai trouvé sur la liste des visites à ma porte?

SIR CHARLES.

C'est moi-même. Depuis cinq jours je m'y suis présenté tous les soirs aujourd'hui vous veniez

« PreviousContinue »