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termina sa carrière littéraire comme il l'avait commencée, par un drame, objet de sa prédilection, celui de la Mère coupable.

Au milieu des agitations de tout genre, Beaumarchais ne demeura pas étranger aux affaires politiques; il fut employé, dans plusieurs missions par MM. de Maurepas et de Vergennes. A la mort de Voltaire, il conçut la noble idée d'élever à ce grand homme un monument digne de lui, par la réimpression de ses ouvrages. Il fit dans ce dessein, à un prix très-élevé, l'immense acquisition de ses manuscrits, et établit à Kehl une imprimerie considérable : les résultats de cette grande entreprise furent loin de répondre à ses espérances; il y perdit près d'un million, et n'en retira d'autre gloire que celle de l'avoir tentée. Des spéculations plus heureuses pour faire passer des armes pendant la généreuse insurrection de l'Amérique septentrionale avaient prodigieusement augmenté sa fortune, dont il avait constamment fait l'usage le plus noble. C'est vers cette époque qu'il fit construire, à l'extrémité du boulevart Saint-Antoine, une maison avec un fort beau jardin, et embellit par là un quartier de Paris alors des plus négligés. La révolution d'Amérique l'avait enrichi, la révolution de France le ruina. Il avait contracté avec le ministère français, avant l'époque du 10 août 1792,

l'engagement de faire venir soixante mille fusils de la Hollande : il tint rigoureusement ses promesses, et dut faire pour cela de très-fortes dépenses. Le trône ayant été renversé dans cet intervalle, le gouvernement français refusa de reconnaître la dette la plus sacrée. Beaumarchais fut accusé de n'avoir cherché à procurer soixante mille fusils au ministère français que dans l'intention d'en faire dans sa maison un amas considérable, dont on pût au besoin armer le parti contre-révolutionnaire et les agens de la cour. Cette ridicule dénonciation, faite peu de jours avant le 2 septembre 1792, fut accueillie avec empressement, et malgré des perquisitions qui donnèrent la preuve évidente de la fausseté des faits imputés à Beaumarchais, il n'en fut pas moins conduit à l'Abbaye : c'était le conduire à la mort. Il s'entretenait, la veille même de ces horribles journées, avec quelques-uns de ses compagnons d'infortunes, des bruits qui se répandaient au dehors sur le sort qui leur était réservé; il paraissait redouter surtout l'ardente inimitié de Manuel, alors procureur de la commune, et qui avait été plus d'une fois l'objet de ses mordantes plaisanteries. Tout à coup on vient lui annoncer qu'un membre de la commune le demande; il s'avance, et frémit en reconnaissant Manuel : « Vous m'avez offensé, lui dit celui-ci ;

ce serait un crime à moi de m'en souvenir en ce moment. J'ai sollicité votre liberté, je vous l'apporte; la voici : il n'y a pas de temps à perdre, sortez avec moi tout de suite ». Un pareil trait défendrait seul la mémoire de Manuel contre toute accusation de complicité dans les forfaits de septembre. A peine sorti de prison, Beaumarchais, toujours favorisé par l'homme qu'il avait regardé comme son plus dangereux ennemi, prit la fuite, et venait de se réfugier en Angleterre, lorsqu'il fut décrété d'accusation, le 28 novembre 1792. Il composa à ce sujet un mémoire explicatif de sa conduite pendant la révolution, intitulé: Mes Six Époques. Ce mémoire passe pour l'une de ses productions les plus distinguées par la force de raisonnement qu'on y trouve à toutes les pages, et l'intérêt qui règne dans le récit des dangers multipliés auxquels l'auteur a échappé. De retour en France, après le 9 thermidor an II (28 juillet 1794), fatigué du présent, et dans un âge qui lui laissait peu d'espérance pour l'avenir (il avait alors soixante ans), il s'occupait à rassembler quelques débris de son ancienne fortune, moins pour lui que pour une fille unique qu'il a mariée à M. de Larue, ci-devant administrateur des droits réunis. Ainsi s'écoulait la dernière année de sa vie, lorsque sans infirmité, sans maladie, et dans toute la vigueur de

son esprit, il est mort subitement le 19 mai 1799.

Peu d'hommes ont été plus calomniés que Beaumarchais; mais il est vrai de dire que dans tous les temps il a valu beaucoup mieux que sa réputation. Une foule de traits de bienfaisance, ignorés pendant sa vie, honoreront à jamais sa mémoire. C'est au public que la calomnie a fait un tort réel. Si elle eût respecté cet homme extraordinaire, la comédie compterait dans son répertoire vingt pièces originales de plus. C'est la calomnie qui lui a fait prendre pour épigraphe : Ma vie est un combat.

ESSAI

SUR

LE GENRE DRAMATIQUE SÉRIEUX.

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n'ai point le mérite d'être auteur, le temps et les talens m'ont également manqué pour le devenir; mais il y a environ huit ans que je m'amusai à jeter sur le papier quelques idées sur le drame sérieux ou intermédiaire entre la tragédiè héroïque et la comédie plaisante. De plusieurs genres de littérature, sur lesquels j'avais le choix d'essayer mes forces, le moins important peutêtre était celui-ci : ce fut par là même qu'il obtint la préférence. J'ai toujours été trop sérieusement occupé pour chercher autre chose qu'un délassement honnête dans les lettres. Neque semper arcum tendit Apollo. Le sujet me plaisait, il m'entraîna; mais je ne tardai pas à sentir que j'avais tort de vouloir convaincre par le raisonnement dans un genre où il ne faut que persuader par le sentiment. Alors je désirai avec passion de pouvoir substituer l'exemple au précepte moyen infaillible de faire des prosélytes lorsqu'on réussit,

1. Théâtre.

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I

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