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comte << Faites donc qu'au château on me sache plus disposé pour eux que contre eux. » Confidence qui devait convaincre La Marck de la nécessité pour le Roi de gagner les chefs du parti révolutionnaire et, par conséquent, Mirabeau, le plus puissant et le plus marquant d'entre eux; mais, comme nous l'avons dit, la preuve des calomnies accumulées contre la loyauté du grand orateur n'était pas encore faite à ses yeux.

Les craintes de Mirabeau étaient d'autant plus fondées que si l'Assemblée, satisfaite de la réponse royale, ne l'eût pas soutenu dans son insistance pour exiger le renvoi des troupes, on pouvait concevoir les plus grandes inquiétudes en voyant les dispositions du peuple que la disette du pain entretenait dans un état de surexcitation indescriptible. « Il ne distingue pas aisément les magasins faits pour le nourrir de ceux qu'il soupçonne appartenir à des monopoleurs, écrivait Young; cela l'a rendu presque enragé le tumulte et le désordre de la capitale sont extrêmes.» Puis, racontant des conversations qu'il avait entendues, dans lesquelles on affirmait que la guerre civile était inévitable, que la Cour, ne pouvant composer avec l'Assemblée nationale, allait chercher les moyens de s'en défaire et que la banqueroute était infaillible, il constatait que les brochures, qui se succédaient sous toutes sortes de formes et de prétextes, poussaient les esprits au désespoir.

« Je l'avais toujours prévu (tel était le langage qu'on prêtait au maréchal de Broglie dans une lettre au prince de Condé répandue à profusion), et je l'ai dit cent fois à Votre Altesse, que la plupart des dépu

tés nationaux seraient des loups affamés qui chercheraient une victime, et que cette victime serait la noblesse... Avec cinquante mille hommes, je me chargerais volontiers de dissiper tous ces beaux esprits et cette foule d'imbéciles qui applaudissent, écoutent et encouragent; une salve de canons ou une décharge de fusils aurait bientôt dispersé ces argumentateurs et remis la puissance absolue qui s'éteint à la place de cet esprit républicain qui se forme... » Lettre que l'on pouvait d'autant plus considérer comme vraie, que le maréchal, investi le 1er juillet du commandement de toutes les troupes réunies autour de Paris et à Versailles, avait pris l'attitude, au dire de Bezenval, d'un général d'armée en face de l'ennemi. L'ardeur du comte d'Artois qui, se croyant chef de parti, dinait chaque jour chez Mme de Polignac et ne traitait bien que les nobles, attirait à la fois l'attention et les haines. « Il y a longtemps, proclamait-on dans un libelle en circulation, que nos regards sont fatigués des scènes secrètes et alarmantes du château de Versailles. Rappelons notre ancien courage, rentrons dans la caverne obscure de l'intrigue, dans l'antre profond où les cyclopes forgent les traits dont ils arment la main facile de Jupiter. Des troupes étrangères viennent effrayer de toutes parts le citoyen paisible; des hussards, dans les vapeurs du vin, courent çà et là dans les rues de Versailles; déjà des assassinats ont été commis par cette troupe de forcenés. Quatre objets s'agitent aujourd'hui dans le Conseil : Faire cesser les États généraux, et pour cela enlever les membres à minuit, vendre la Lorraine à l'Empereur (qui la payera, bien entendu, avec les six mil

lions qu'on lui a prêtés), tenir une séance royale, et dissoudre les États généraux. » L'auteur d'un écrit jeté le 10 juillet sous les portes des maisons de Paris laissait entrevoir une réaction prochaine et même imminente: « On nous assure, portait cette brochure émanée du club breton, que le Roi tiendra une séance royale lundi prochain (13 juillet). J'espère, disait un homme assez facile à reconnaître au ton de ce propos, que, sous peu de jours, nous chasserons ce coquin de Necker.... Vous avez dû être étonné d'apprendre que les membres de la majorité (la noblesse), après avoir annoncé un voyage dans leurs bailliages respectifs, n'ont pourtant point quitté Versailles. Tel est le billet que l'on colporte, adressé à M. le duc de Luxembourg Je vous préviens de ne point aller en Poitou,

:

ni vous ni vos codéputés; il se passera bientôt tel évé

nement qui vous dispensera du voyage. »

14 juillet 1789.

Au moment où le public était en éveil, Necker Renvoi de Necker, qui avait repris ses fonctions sur les instances du Roi et de la reine, reçut, le 11 juillet, à trois heures du soir, la lettre suivante : « Depuis que je vous ai en«gagé, Monsieur, à rester dans votre place, lui signi

fiait Louis XVI, vous m'avez demandé de prendre << un plan de conduite vis-à-vis des États géné«raux, et vous m'avez montré plusieurs fois que << celui de condescendance extrême était celui que « vous préfériez, et que, ne vous croyant pas utile

pour d'autre, vous me demandiez la permission <de vous retirer si je prenais un parti différent.

J'accepte la proposition que veus m'avez faite... >> Necker, surpris autant qu'effrayé, dans l'intérêt du Roi, des suites d'une semblable résolution, garda

Assemblée

des électeurs

de la

ville de Paris, e vendred

le silence devant les convives réunis à sa table. « Votre Majesté, répondit-il au Roi, perd l'homme du monde qui lui était le plus tendrement dévoué et, je vous jure, le plus honnête homme... Je partirai seul, sans passer par Paris, sans en ouvrir la bouche à personne et je demande à Votre Majesté le même secret. >> Puis, au sortir de table, il monta seul en voiture avec Me Necker, gagna la première poste et se rendit à Bruxelles sans s'arrêter, sans avertir Mme de Staël ni aucun de ses amis. Le lendemain, les députés, assemblés à sept heures du matin, furent consternés d'apprendre la disgrâce et l'exil de Necker, envisageant avec terreur l'abîme de maux qu'ils pouvaient entraîner.

me

pas

Versailles était morne et la Cour ne tarda éprouver un certain effroi. La foule était immense au Palais-Royal, les barrières du nord de Paris furent forcées et livrées aux flammes et plus de deux mille hommes en armes, dont le nombre grossissait toujours, menaçèrent d'attaquer les troupes des ChampsÉlysées et de se porter ensuite sur Versailles.

Les Électeurs, préoccupés de l'effervescence populaire, s'étaient réunis le vendredi 10 juillet pour prévenir les malheurs qui pourraient résulter de la sur10 juillet 1789. excitation des esprits. Nombre de questions furent mises en discussion, en premier lieu la formation d'une garde nationale destinée à assurer la tranquillité de la ville. On proposa de se constituer en corps commune, de convoquer les districts et de les engager à nommer chacun un représentant qui se joindrait aux Électeurs pour l'établissement de cette garde bourgeoise.

de

annoncé à Paris le 12 juillet

au matin.

lins harangue le peuple au Palais-Royal,

L'Hôtel de Ville

est envahi, 12 juillet.

La nouvelle du renvoi de Necker ne pouvait que L'exil de Necker faire persévérer les Électeurs dans les mesures qu'ils avaient décidées l'avant-veille en présence de l'agitation de la capitale. L'émotion était générale et le peuple entassé au Palais-Royal n'attendait qu'un signal pour passer de l'expectative à l'action, quand un jeune homme, harangueur habituel des réunions populaires, Camille Desmoulins, monte sur une Camille Desmoutable, tenant dans ses mains une épée et un pistolet: « Il était deux heures et demie, raconte t-il dans son journal le Vieux Cordelier, je venais sonder le peuple, ma colère contre les despotes était tournée en désespoir. Je ne voyais pas les groupes, quoique vivement émus ou consternés, assez disposés au soulèvement. Trois jeunes gens me parurent agités d'un plus véhément courage. Je vis qu'ils étaient venus au Palais-Royal dans le même dessein que moi... « Messieurs, leur dis-je, voici un commencement d'attroupement civique, il faut qu'un de nous se dévoue, et monte sur une table pour haranguer le peuple. Montez-y. J'y consens.» Aussitôt je fus plutôt porté sur la table que je n'y montai. A peine y étais-je que je me vis entouré d'une foule immense. Voici ma courte harangue : « Citoyens, il n'y a pas un moment à perdre. J'arrive de Versailles M. Necker est renvoyé, ce renvoi est le tocsin d'une Saint-Barthélemy de patriotes. Ce soir, tous les bataillons suisses et allemands sortiront du Champ de Mars pour nous égorger. Il ne nous reste qu'une ressource, c'est de courir aux armes et de prendre des cocardes pour nous reconnaître... » Ma motion fut reçue avec des

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