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éclairé s'étonne du nombre d'académies, de musées existant dans cette ville. Mallet taxe ces établissements de pernicieux et prétend qu'ils développent outre mesure la manie d'écrire et les auteurs. « Paris, note ce publiciste, est plein de jeunes gens qui prennent de la facilité pour du talent, de clercs, commis, avocats, militaires, qui se font auteurs, meurent de faim, mendient même, et font des brochures. » Enclin comme beaucoup d'esprits à rendre les gouvernements responsables des travers de leurs administrés, il ajoute : « Loin d'apercevoir qu'il y avait là un danger pour l'État, ou croyant le conjurer par l'asservissement, la plupart des ministres poussaient à cette dégradation du métier d'écrire, en payant des brochuriers à leur service et en offrant l'appât de gratifications extraordinaires à la complaisance des écrivains en renom.»> A ce propos, Mallet rapporte un fait assez piquant. Calonne venait de distribuer à profusion des pensions entre trois cents gens de lettres, qui en retour de ces faveurs le comblèrent d'éloges. Parmi ces flagorneurs figurait un nommé Bastide, rédacteur du Journal des Variétés historiques, qu'il vendait au profit des captifs d'Alger. Il appela le contrôleur général un vertueux ministre, et cette qualification admise par les quinze censeurs ou réviseurs allait être reproduite dans la Gazette de France, quand Louis XVI la biffa sur l'épreuve du journal. Intrigué au dernier point de ne pas la retrouver sur l'exemplaire distribué au public, Calonne en cherchant l'auteur de la suppression arriva jusqu'au roi. Mallet se trompe en accusant le gouvernement d'un entraînement dont tout le monde était complice. Les journaux de l'époque mentionnent à chaque

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instant les dons des particuliers pour l'encouragement d'institutions analogues à l'école de boulangerie, où professaient Parmentier et Cadet-de-Vaux, deux noms retenus par l'histoire. Tandis que l'Académie des sciences décernait ses récompenses aux inventeurs de procédés industriels destinés à favoriser au moyen de l'abaissement de la main-d'œuvre l'extension du commerce français, le marquis de Courtanvaux construisait à ses frais pour satisfaire la curiosité de cette compagnie savante une frégate qui devait servir à expérimenter les montres marines de Julien Leroy. C'était sous les auspices du comte et de la comtesse de Provence, que l'aéronaute Pilâtre de Rozier ouvrait une exposition de machines de toute espèce, où se voyait un fusil à répétition qui tirait vingt-quatre coups. L'Académie de médecine en offrant un prix mettait à l'étude les causes des maladies fréquentes parmi les ouvriers des fabriques de chapeaux, et la protection dont Necker entourait les établissements philantropiques développait la manie de tout convertir en hôpital, au point qu'à l'imitation de Saint-Sulpice, chacune des églises de Paris tenait à posséder son hospice. Les nouvellistes montrent la foule se pressant dans toutes les réunions, quelque fût leur nom, quels que fussent les objets mis sous les yeux du public où les sciences enseignées, comme à l'école vétérinaire, dans laquelle d'illustres professeurs qui s'appelaient Daubenton, Vic d'Azyr et Fourcroy, venaient lire de savants mémoires. Mallet du Pan en nous apprenant l'espèce de dédain que ressentaient les habitants de la capitale pour les provinces dont ils semblaient même ignorer l'existence,

cite des faits qui dénotent des changements profonds au sein de la société. « C'est le moment des entreprises financières par compagnie, écrit-il, bientôt les grands seront commis à la barrière, si cela rapporte vingt mille livres.» Mallet signale les inconséquences du gouvernement dans la lutte sourde qu'il soutenait contre la magistrature, dans la propagation tolérée des critiques dirigées contre les juges, pendant qu'il entravait la publicité de la réponse de l'avocat-général Séguier aux attaques du président Dupaty. La mise en lumière des tergiversations du Cabinet de Versailles, dans ses conceptions administratives et ses actes politiques, fait comprendre la formation d'une opinion publique sérieuse dont les tendances, encore confuses et non coordonnées, imprimaient à chacun cette sorte d'agitation ressentie par un vaisseau à l'approche d'une tempête, et Calonne n'était pas le premier ministre qui s'inclinât devant sa toute puissance. Brissot, esprit léger, prêt à former des liaisons de tout genre, parle dans ses mémoires de quantité d'entreprises littéraires fondées soit sur le sol Anglais, soit en Hollande, pour exploiter les préoccupations des Français, et montre par les calculs des hommes d'affaires, les convictions ardentes et sincères qui dominaient la nation. Il nous met dans la confidence de ses admirations naïves pour Jean-Jacques Rousseau, de ses convictions républicaines et des moyens qu'il emploie pour les propager. Ses relations avec le marquis Ducrest, le frère de Mm de Genlis, font connaître l'espèce d'exaltation et d'ambition morbides qui avait envahila société dans ses classes les plus infimes, comme dans les plus hautes.

<< A la mort de son père, nous apprend Brissot, le duc d'Orléans choisit pour la gestion de sa fortune prodigieuse le marquis Ducrest. Ducrest voulait s'entourer d'hommes instruits, il me proposa une place auprès de lui. Je résistai d'abord. Il me fit entrevoir de vastes desseins et la part que je pourrais y prendre. Nous touchions à une grande crise; je le sentais; il me semblait qu'elle ne pourrait s'opérer qu'avec l'appui d'un prince riche, adoré du peuple, qui s'allierait avec les Parlements, ces éternels ennemis du trône. » Ducrest commença par faire donner des pensions aux savants, des secours aux inventeurs, pour gagner des partisans au prince, et nourrissant le secret espoir de remplacer Loménie, fit présenter par le duc d'Orléans une lettre à Louis XVI, dans laquelle il critiquait les actes des ministres et les accusait d'abuser du nom du roi. « Il y a quarante ans, soutenait Ducrest, que les peuples sont la victime de ce système funeste... Tout le mal qui s'est fait depuis un siècle, tout celui qui se prépare sous le nom du roi, a aliéné et aliène de plus en plus les esprits... Je crois que le renvoi de tout le ministère actuel est le seul moyen de conserver l'autorité du roi... Je crois qu'un nouveau ministère, composé tel que je l'imagine et dont l'autorité serait limitée par des conseils particuliers..., rétablirait bientôt les affaires. Je crois qu'il faudrait y ajouter un surintendant des finances... rapportant à un centre commun toutes les dépenses... Je crois que si le roi me chargeait de cette manière de l'administration de ses finances, je lui rendrais à lui et à la reine l'amour des peuples, et que je relèverais les recettes au-dessus

de la dépense, sans avoir à craindre de nouvelles remontrances des Parlements, sans mettre aucun impôt, sans attaquer aucune propriété, sans violer aucun privilège, sans même diminuer l'éclat du trône... Je n'ai plus qu'un mot à ajouter. J'ai quarante mille écus de rente, une réputation intacte... L'administration importante dont je suis chargé est la plus analogue avec celle des finances du roi... Dans l'état de crise où sont les affaires publiques, quel est l'homme à mettre à la tête des finances, qui jouisse d'une réputation plus distinguée, qui puisse mieux connaître les finances? >> « Cette lettre et plusieurs autres de Ducrest, conclut Brissot, donnent une idée de la situation des esprits et des choses à la veille de la révolution, et la prétention de leur auteur montre à quelle extrémité la patrie était réduite. >> Certains écrivains s'acharnaient dans les pamphlets Effervescence les plus violents propagés par la haine à déshonorer tous les fonctionnaires. L'auteur d'une brochure intitu- récolte en 1788. lée les mânes de madame la Présidente Le Mairet à M. de Lamoignon, insinuait que le garde des sceaux usait de son autorité pour payer ses dettes, qu'il avait songé à empoisonner sa mère, et les passions étaient tellement ardentes qu'un conseiller au parlement de Dijon, M. de Courbeton, se vit menacé d'exclusion par sa compagnie s'il acceptait comme gendre le fils de Lamoignon. La mémoire de Loménie de Brienne fut déclarée exécrable dans un prétendu arrêt de la commune de Paris, en raison de ses forfaits bien connus et notamment pour avoir imaginé un papier monnaie. Dans un dialogue entre Loménie et un capucin, l'archevêque de Toulouse allait jusqu'à dire que la

des esprits,

la presse, les clubs; mauvaise

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