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pricieuse, et aussi peu d'accord avec elle-même qu'avec l'oreille, qu'elle prive d'une infinité de douces liaisons.

HISTOIRE. Cicéron l'a définie : Le témoin des temps, la lumière de la vérité, la vie de la mémoire, l'école de la vie, la messagère de l'antiquité (1). Ce n'est là que le développement de l'idée que nous avons tous, au moins confusément, de ce grand moyen de lier par le souvenir les générations et les âges. Mais combien cette idée ne devient-elle pas plus sensible à tous les esprits, et de quelle reconnaissance n'est-on pas ému pour les services que les lettres rendent au genre humain, lorsqu'on jette les yeux sur le tableau de son existence?

On voit d'abord le monde entier couvert de ténèbres impénétrables, et les nations répandues sur la surface de la terre, non-seulement inconnues l'une à l'autre, mais inconnues à elles-mêmes, passer sans laisser de vestiges, et se précipiter successivement, d'âge en âge, dans cet immense abîme de l'oubli.

Vient le temps où l'Égypte, la Phénicie, la Chaldée, inventent l'art de conserver de leur existence passée quelques traces de souvenir. Le pe

(1) Historia testis temporum, lux veritatis, vita memoriæ, magistra vitæ, nuncia vetustatis. (De Or. 1. 2.)

tit peuple de la Palestine possède aussi, dans les livres saints, les titres de son origine et le récit de ses aventures. Mais ces premières lueurs de l'histoire n'éclairent çà et là que quelques points isolés de l'espace. Ce n'est que cinq ou six cents ans après Moïse et Josué, que, dans les poèmes d'Homère, l'histoire commence à répandre quelque clarté faible et douteuse, sur la Grèce, sur la Phrygie, et sur les côtes de l'Orient; et cinq siècles s'écouleront encore, avant que dans la Grèce même elle brille avec plus d'éclat.

C'est là qu'elle paraît enfin comme un astre dont les rayons s'étendent sur des régions éloignées. C'est par les Grecs que l'Égypte est connue; et en même temps que leurs armées pénètrent dans l'Asie, l'histoire, qui les accompagne, révèle au monde le secret de l'existence des empires, qui, du Nil au fond de l'Euxin, se sont succédé l'un à l'autre, sans que ni leur splendeur, ni le bruit de leur chute ait encore averti l'Europe de ces grandes révolutions. Mais tandis que les entreprises de Xerxès, la campagne de Xénophon," les guerres d'Alexandre, font connaître la Perse et l'Inde, le vaste continent du Nord reste couvert d'une profonde nuit ; et les Bretons, les Germains, les Gaulois, ne savent du passé que ce qui leur en est transmis dans les chansons de leurs poètes. Carminibus antiquis, dit Tacite, quod unum apud illos memoriæ et annalium genus est, (De Morib. Germ.)

Les lettres passent en Italie. Les conquérants du monde apprennent à dépeindre les usages, les mœurs, la discipline, le génie des nations; et non-seulement l'Italie, le siège de leur domination, devient illustre dans leurs annales, mais tout ce qui leur est soumis a du moins le triste avantage de participer à leur célébrité. Ils ravagent et ils décrivent; et à mesure que les Scipions renversent Numance et Carthage, que Marius bat les Numides, que Lucullus et Pompée étendent les conquêtes des Romains en Asie, que César subjugue les Gaules, que les armées d'Auguste réduisent le Dace et le Parthe et soumettent la Germanie, que celles de Titus, sous la conduite d'Agricola, vont forcer les Bretons dans leurs derniers asyles; l'histoire, qui semble marcher à la suite des armées, éclaire les champs de bataille, et, parmi les ravages et les débris, observe les mœurs des nations vaincues, et ramasse les monuments qui attestent leur antiquité.

Lorsqu'à son tour Rome succombe et qu'elle est la proie des barbares, l'histoire éprouve une longue éclipse; et les ténèbres de l'ignorance, où tout le globe est replongé, semblent avoir éteint tous les rayons de sa lumière. Mais à la renaissance des lettres, on retrouve sous les ruines du Bas-Empire les étincelles du feu sacré : les Grecs ont conservé le souvenir des révolutions dont l'Orient a été le théâtre; et en même temps

tous les peuples du couchant et du nord, moins abrutis et plus curieux de savoir ce qu'il ont été, commencent à se demander à eux-mêmes quelle a été leur origine, par quelles fortunes diverses leurs aïeux ont passé; et à chercher, dans les archives de leurs pactes et de leurs lois, les traces de leur existence.

Dès lors on voit le flambeau de l'histoire éclairer tout notre hémisphère, et bientôt porter sa lumière sur un hémisphère inconnu. La Chine et l'Inde transmettent à l'Europe les preuves de cette antiquité attestée dans leurs annales, et qui se perd dans la nuit des temps.

Ainsi, la guerre et le commerce, les conquêtes et les voyages, l'ambition et l'avarice, ont successivement étendu sur le globe les découvertes de l'histoire; et l'on peut dire que c'est en traits de sang qu'elle a tracé sa mappemonde. Mais oublions ce qu'il en a coûté, et ne songeons qu'à rendre utile et salutaire aux hommes cette expérience héréditaire que le présent dépose et lègue aux siècles à venir.

Dans tous les arts, la première règle est d'en bien connaître l'objet : car si l'intention de l'artiste est une fois bien décidée, et dirigée droit à son but, elle sera son guide dans le choix des moyens et dans l'usage qu'il en doit faire. L'objet immédiat de la poésie est de séduire; celui de l'éloquence est de persuader; celui de la philosophie est de chercher la vérité dans la nature

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et l'essence des choses; celui de l'histoire est de la démêler dans les faits dignes de mémoire, et d'en perpétuer le souvenir en ce qu'il a d'inté

ressant.

De tous les attributs, le plus essentiel à l'histoire, c'est donc la vérité, et la vérité intéressante. Mais la vérité suppose l'instruction, le discernement, la sincérité, l'équité. Or l'instruction est incertaine, le discernement difficile, la sincérité rare; et ce désintéressement absolu, cette liberté de l'esprit et de l'ame, cette pleine impartialité qui caractérise un témoin fidèle, ne se trouve presque jamais. Aussi voit-on l'histoire altérer si souvent et si diversement la vérité de ses récits, qu'on est tenté de la définir comme on a défini la Renommée,

La messagère indifférente

Des vérités et des erreurs.

Des temps reculés et obscurs, elle aura peu de chose à dire, si elle veut être digne de foi; mais sa ressource est le silence. Des temps moins éloignés et plus connus, du présent même, elle a souvent bien de la peine à découvrir, soit dans les faits, soit dans les hommes, la vérité qui l'intéresse; mais sa sauve-garde est le doute. Il est toujours si décent de paraître ignorer ce qu'on ne sait pas ?

A l'égard du discernement, il serait injuste d'imputer à l'histoire les erreurs où elle est in

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