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LES

CARACTERES

DE THEOPHRASTE TRADUITS DU GREC, AVEC

LES CARACTERES

OU

LES MOEURS

DE CE SIECLE.

NEUVIE' ME EDITION,

Revûë & corrigée.

Chez

A PARIS,

ESTIENNE MICHALLET premier Imprimeur du Roy, ruë S. Jacques, à l'Image S. Paul.

M. D C. CXVI.

AVEC PRIVILEGE DE SA MAJESTE'.

DISCOURS

SUR THEOPHRASTE.

E n'estime pas que l'homme soit capable de former dans son esprit un projet plus vain et plus chimerique que de prétendre, en écrivant de quelque art ou de quelque science que ce soit, échaper à toute sorte de critique et enlever les suffrages de tous ses lecteurs.

Car, sans m'étendre sur la difference des esprits des hommes, aussi prodigieuse en eux que celle de leurs visages, qui fait goûter aux uns les choses de speculation, et aux autres celles de pratique; qui fait que quelques-uns cherchent dans les livres à exercer leur imagination, quelques autres à former leur jugement; qu'entre ceux qui lisent, ceux-cy aiment à être forcez par la demonstration, et ceux-là veulent entendre délicatement ou former des raisonnemens et des conjectures, je me ren

ferme seulement dans cette science qui décrit les mœurs, qui examine les hommes et qui développe leurs caracteres ; et j'ose dire que, sur les ouvrages qui traitent de choses qui les touchent si prés, et où il ne s'agit que d'eux-mêmes, ils sont encore extrémement difficiles à contenter.

Quelques sçavans ne goûtent que les apophtegmes des Anciens et les exemples tirez des Romains, des Grecs, des Perses, des Egyptiens; l'histoire du monde present leur est insipide; ils ne sont point touchez des hommes qui les environnent et avec qui ils vivent, et ne font nulle attention à leurs mœurs. Les femmes, au contraire, les gens de la cour, et tous ceux qui n'ont que beaucoup d'esprit sans érudition, indifferens pour toutes les choses qui les ont précedé, sont avides de celles qui se passent à leurs yeux et qui sont comme sous leur main; ils les examinent, ils les discernent, ils ne perdent pas de vûë les personnes qui les entourent, si charmez des descriptions et des peintures que l'on fait de leurs contemporains, de leurs concitoyens, de ceux enfin qui leur ressemblent, et à qui ils ne croyent pas ressembler, que jusques dans la chaire l'on se croit obligé souvent de suspendre l'Evangile pour les prendre par leur foible, et les ramener à leurs devoirs par des choses qui soient de leur goust et de leur portée.

La cour ou ne connoit pas la ville, ou, par le mépris qu'elle a pour elle, neglige d'en relever le ridicule et n'est point frappée des images qu'il peut fournir; et si au con

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traire l'on peint la cour, comme c'est toûjours avec les ménagemens qui luy sont dûs, la ville ne tire pas de cette ébauche de quoy remplir sa curiosité et se faire une juste idée d'un païs où il faut même avoir vécu pour le con

noître.

D'autre part, il est naturel aux hommes de ne point convenir de la beauté ou de la délicatesse d'un trait de morale qui les peint, qui les désigne, et où ils se reconnoissent eux-mêmes; ils se tirent d'embarras en le condamnant, et tels n'approuvent la satyre que lors que, commençant à lâcher prise et à s'éloigner de leurs personnes, elle va mordre quelque autre.

Enfin, quelle apparence de pouvoir remplir tous les goûts si differens des hommes par un seul ouvrage de morale? Les uns cherchent des definitions, des divisions, des tables et de la methode; ils veulent qu'on leur explique ce que c'est que la vertu en general, et cette vertu en particulier; quelle difference se trouve entre la valeur, la force et la magnanimité, les vices extrêmes par le defaut ou par l'excés entre lesquels chaque vertu se trouve placée, et duquel de ces deux extrêmes elle emprunte davantage : toute autre doctrine ne leur plaît pas. Les autres, contens que l'on reduise les mœurs aux passions et que l'on explique celles-cy par le mouvement du sang, par celuy des fibres et des arteres, quittent un auteur de tout le

reste.

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