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de prendre une Femme impure, d'avoir des Enfans de fon Commerce avec elle, ce qu'Ofée dit avoir éxécuté. Qui ne voit que cela eft impratiquable, & que ç'auroit été une voye peu fûre pour rendre fa miffion vénérable au Peuple que de la commencer par une démarche fi odieufe? De même Ezéchiel nous raconte qu'il reçût de Dieu cet ordre auquel il déféra; Fils de l'Homme, mange ce rouleau, repais-enton Ezech. ventre, & remplis-en tes entrailles. Qui ne voit III.1,2,3 que cela étoit impratiquable, parce que cela faifoit violence aux Loix de la Nature, & même à celles des Miracles?

Mais il y a auffi des Signes pratiquables. Quand l'Ecriture les raporte, il faut entendre qu'ils font arrivez réellement, ou en Vision, felon ce qu'il y a de particulier dans la narration. Si l'Hiftorien détermine la Question, il n'y a, fans doute, plus de difficulté. S'il la laiffe en fufpens, il faut fufpendre fon jugement, car comme il s'agit d'une chofe qui peut également être arrivée de l'une & de l'autre manière, comment pourroit-on avoir de fentiment fixe fur cette matière?

Tout ce que nous voulons conclurre de ces diftinctions, c'eft que ce que nous avons de plus affuré fur les Signes dont Dieu accompagnoit anciennement fes Révélations, doit nous engager à demeurer en fufpens fur la nature de celui-ci. Nous n'avons pas des raisons fuffifantes pour décider dans quelle Claffe de Signes, il faut ranger celui que Dieu employe ici pour inculquer vivement dans l'Ame de Jacob les véritez qu'il veut lui faire entendre: fi c'étoit un Signe impratiquable, ou un Signe pratiquable. Car d'un côté on ne peut pas dire

pofiti

pofitivement qu'il y ait rien de contraire aux Loix de la Juftice & de la Nature, que Jacob ait eû une Lutte réelle avec un Ange, qui auroit revêtu un corps pour ce combat. D'un autre côté il femble impratiquable que Jacob dans un lieu defert, pendant les tenèbres de la Nuit, dans un Pais étranger, presque à l'âge de cent ans, ait voulu lutter avec un in

connu.

Mais quand même ce Signe devroit être mis dans la Claffe de ceux que nous avons appellez pratiquables, il demeureroit toûjours indéterminé par le recit de Moyfe, s'il eft arrivé réellement, ou en Vifion. Il eft vrai que l'infirmité que Jacob remporta de ce combat femble démontrer un combat réel. Mais la force d'une Imagination échaufée par une Vifion, pourroit avoir produit cet effet par les feules Loix de la Nature.

Refte une III. Queftion, touchant le but de cette Lutte, foit qu'elle ait été effective, foit qu'elle n'ait été qu'aparente. Nous l'avons déja indiqué. Dieu marquoit fouvent par des Signes les véritez qu'il vouloit révéler à ces Patriarches. Il s'accommodoit en cela au génie des Orientaux, chez lesquels cette coûtume étoit familière. Le but de Dieu dans la Lutte que nous avons racontée, étoit de fortifier Jacob contre la crainte qu'il avoit de fon Frère Efau; c'est pour cela qu'il lui donna la victoire, comme pour dire: Tu m'as vaincu, & craindrois-tu encore un homme? C'eft le fenfé Commentaire de 24 Theodoret : l'Hiftorien "Josèphe l'avoit propofé avant lui

24. Ibid.

25. JOSEPH. Antiq. Lib. I. Cap. XIX, pag. 33.

Il dit

que

que Jacob regarda la victoire qu'il avoit remportée, comme un préfage d'une grande félicité, & qui affuroit à fes defcendans qu'aucune force bumaine ne pourroit les vaincre.

Ce que nous venons d'établir touchant le but de cette Lutte doit fervir à rectifier quelques-unes des Verfions ordinaires qui traduifent ainfi les dernières paroles de l'Ange: Tu Verf. 28. as été le Maître en luttant avec Dieu, & tu as été le plus fort avec les hommes. La feule Hiftoire de ce Patriarche pouvoit déja répandre quelque foupçon fur cette Verfion. Dans quel Combat Jacob avoit-il été le plus fort avec les hommes? Il avoit eû deux redoutables Ennemis, je veux dire Efau & Laban, dont il ne s'étoit affranchi que par la fuite. Les paroles de l'Original font fufceptibles d'une autre fignification. Il porte ainfi mot pour mot: Tu as été le Maître, ou tu as été Prince en luttant avec Dieu, tu feras le plus fort avec les hommes. Cette Verfion eft bien plus conforme que la première au but de la Lutte de Jacob, & répand un grand jour fur toute cette Hiftoire. Jacob fe voit à la veille de combattre contre le redoutable Efau. Jacob doit être Père d'une multitude innombrable de Nations, qui seront en butte à mille, & mille Ennemis temporels, & fpirituels. Qu'y avoit-il de plus propre à le raffurer, & à affermir la Foi de fes defcendans, que cette myftérieuse vision? Dieu revêt un corps réellement, ou il paroit le revêtir. Il lutte avec Jacob. Il s'en laiffe vaincre, & il lui dit: Tu as été le Maître en luttant avec Dieu; Tu feras le plus fort avec les hommes. C'eft auffi de cette manière qu'ont traduit, la Vulgate,les Septante, & le Paraphrafte Chaldaïque.

Quel

26 Quelques Interprètes ont crû que cette narration de Moyfe, eft ce qui a donné lieu à la Fable racontée par 27 Lycophron. Jupiter prit la forme d'un Athlete: il combattit durant une nuit entière contre Hercule, qui vainquit le Maître des Dieux. 28 Strabon nous a confervé auffi un Monument de la Lutte de Jacob. Il dit qu'il y avoit de fon temps un Promontoire du Liban, qui portoit le nom de face de Dieu.

26. 27. CALMET fur Genes. XXXII. 24. pag. 631 28. STRABON. Lib. XVI. pag. 1095.

1

XXXII. DIS

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XXXII. DISCOUR S.

La rencontre de Jacob & d'Efau.
GEN. XXXIII.

Jacob eut à ces paperçut' Acob eut à peine reçû ces promeffes,_ qu'il en vit l'accompliffement. Il aperçut Efau, & les quatre cens hommes qui étoient avec lui. Il fépara fes Femmes, & fes Enfans en trois bandes. Bilha & Zilpa fes Servantes avec leurs Enfans formoient la première. Léa & fes Enfans la feconde. Sa chère Rachel & Jofeph ⚫ formoient la troifième, afin que s'ils devoient périr, ce ne fut du moins qu'après tous les autres. Il s'offrit le premier au péril, & voulut fe rendre Maître d'Efau par les puiffantes armes de l'Hommage & de la foûmiffion. Il ne l'aborda qu'après s'être profterné fept fois devant lui.

Ovid.

Triftium

Corpora magnanimo fatis eft proftraffe Leoni:
Pugna fuum finem, cùm jacet hoftis, habet. Lib. III.

Efau fut attendri à ce fpectacle, du moins il feignit de l'être. Il embraffa Jacob, il se jetta fur fon col, & l'un & l'autre des deux Frères fe temoignèrent leur tendresse par leurs larmes. Efau demanda qui étoient ces Femmes & ces Enfans, & reçût favorablement les démonftrations qu'ils lui donnèrent de leurs refpects & de leur amour. Il voulut auffi favoir à quoi étoient deftinées les cinq bandes

Eleg.III.

33.

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