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donné le temps de la réflexion. Accueillie avec enivrement par une cour perverse et une nation ardente, elle avait dù croire à l'éternité de ses sentiments. Elle s'était endormie dans les dissipations de Trianon. Elle avait entendu les premiers bouillonnements de la tempête sans croire au danger; elle s'était fiée à l'amour qu'elle inspirait et qu'elle se sentait dans le cœur. La cour était devenue exigeante, la nation hostile. Instrument des intrigues de la cour sur le cœur du roi, elle avait d'abord favorisé, puis combattu toutes les réformes qui pouvaient prévenir ou ajourner les crises. Sa politique n'était que de l'engouement; son système n'était que son abandon alternatif à tous ceux qui lui promettaient le salut du roi. Le comte d'Artois, prince jeune, chevaleresque dans les formes, avait pris de l'empire sur son esprit. Il se fiait à la noblesse; il parlait de son épée. Il riait de la crise. Il dédaignait ce bruit de paroles, il cabalait contre les ministres, il flétrissait les transactions. La reine, enivrée d'adulations par cet entourage, poussait le roi à reprendre le lendemain ce qu'il avait concédé la veille. Sa main se sentait dans tous les tiraillements du gouvernement. Ses appartements étaient le foyer d'une conspiration perpétuelle contre le gouvernement; la nation finit par s'en apercevoir et par la haïr. Son nom devint pour le peuple le fantôme de la contre-révolution. On est prompt à calomnier ce qu'on craint. On la peignait sous les traits d'une Messaline. Les pamphlets les plus infàmes circulaient; les anecdotes les plus scandaleuses furent accréditées. On pouvait l'accuser de tendresse ; de dépravation, jamais. Belle, jeune et adorée, si son cœur ne resta pas insensible, ses sentiments mystérieux, innocents peut-être, n'éclatèrent jamais en scandales. L'histoire a sa pudeur : nous ne la violerons pas.

XIV

Aux journées des 5 et 6 octobre, la reine s'aperçut trop tard de l'inimitié du peuple; la vengeance dut tenter son cœur. L'émigration commença, elle la vit avec faveur. Tous ses amis étaient à Coblentz, on lui supposait des complicités avec eux, ces complicités étaient réelles. Les fables d'un comité autrichien furent semées dans le peuple. On accusa la reine de conjurer la perte de la nation, qui demandait à chaque instant sa tête. Le peuple soulevé a besoin de haïr quelqu'un, on lui livra la reine. Son nom fut chanté dans ses colères. Une femme fut l'ennemie de toute une nation. Sa fierté dédaigna de la détromper. Elle s'enferma dans son ressentiment et dans sa terreur. Emprisonnée dans le palais des Tuileries, elle ne pouvait mettre sa tête à la fenêtre sans provoquer l'outrage et entendre l'insulte. Chaque bruit de la ville lui faisait craindre une insurrection. Ses journées étaient mornes, ses nuits agitées; son supplice fut de toutes les heures pendant deux ans; il se multipliait dans son cœur par son amour pour ses deux enfants et par ses inquiétudes sur le roi. Sa cour était vide, elle ne voyait plus que des autorités ombrageuses, des ministres imposés et M. de la Fayette, devant qui elle était obligée de composer même son visage. Ses appartements recélaient la délation. Ses serviteurs étaient ses espions. Il fallait les tromper pour se concerter avec le peu d'amis qui lui restaient. Des escaliers dérobés, des corridors sombres conduisaient la nuit dans les combles du château les conseillers secrets qu'elle appelait autour d'elle. Ces conseils ressemblaient à des conjurations; elle en sortait sans cesse avec des pensées différentes; elle en assiégeait l'àme du roi, dont la conduite contractait ainsi l'incohérence d'une femme aux abois.

Mesures de forces, corruption de l'Assemblée, abandon sincère à la constitution, essais de résistance, attitude de

dignité royale, repentir, faiblesse, terreur et fuite, tout était conçu, tenté, préparé, arrêté, abandonné le même jour. Les femmes, si sublimes dans le dévouement, sont rarement capables de l'esprit de suite et d'imperturbabilité nécessaire à un plan politique. Leur politique est .dans le cœur; leur passion est trop près de leur raison. De toutes les vertus du trône, elles n'ont que le courage; elles sont souvent des héros, rarement des hommes d'État. La reine en fut un exemple de plus. Elle fit bien du mal au roi; douée de plus d'esprit, de plus d'àme, de plus de caractère que lui, sa supériorité ne servit qu'à lui inspirer confiance dans de funestes conseils. Elle fut à la fois le charme de ses malheurs et le génie de sa perte; elle le conduisit pas à pas jusqu'à l'échafaud, mais elle y monta avec lui.

XV

Le côté droit, dans l'Assemblée nationale, se composait des ennemis naturels du mouvement: la noblesse et le haut clergé. Tous cependant ne l'étaient pas au même degré ni au même titre. Les séditions naissent en bas, les révolutions naissent en haut; les séditions ne sont que les colères du peuple, les révolutions sont les idées d'une époque. Les idées commencent dans la tête de la nation. La révolution française était une pensée généreuse de l'aristocratie. Cette pensée était tombée entre les mains du peuple, qui s'en était fait une arme contre la noblesse, contre le trône et contre la religion. Philosophie dans les salons, elle était devenue révolte dans les rues. Cependant toutes les grandes maisons du royaume avaient donné des apôtres aux premiers dogmes de la Révolution; les états généraux, ancien théâtre de l'importance et des triomphes de la haute noblesse, avaient tenté l'ambition de ses héritiers; ils avaient marché à la tête des

réformateurs. L'esprit de corps n'avait pas pu les retenir, quand il avait été question de se réunir au tiers état. Les Montmorency, les Noailles, les la Rochefoucauld, les Clermont-Tonnerre, les Lally-Tolendal, les Virieu, les d'Aiguillon, les Lauzun, les Montesquiou, les Lameth, les Mirabeau, le duc d'Orléans, le premier prince du sang, le comte de Provence, frère du roi, roi lui-même depuis sous le nom de Louis XVIII, avaient donné l'impulsion aux innovations les plus hardies. Ils avaient emprunté chacun leur crédit de quelques heures à des principes qu'il était plus facile de poser que de modérer; la plupart de ces crédits avaient disparu. Aussitôt que ces théoriciens de la révolution spéculative s'étaient aperçus que le torrent les emportait, ils avaient essayé de remonter le courant, ou ils étaient sortis de son lit: les uns s'étaient rangés de nouveau autour du trône, les autres avaient émigré après les journées des 5 et 6 octobre. Quelques-uns, les plus fermes, restaient à leur place dans l'Assemblée nationale; ils combattaient sans espoir, mais glorieusement, pour une cause perdue; ils s'efforçaient de maintenir au moins un pouvoir monarchique, et abandonnaient au peuple, sans les lui disputer, les dépouilles de la noblesse et de l'Église. De ce nombre étaient Cazalès, l'abbé Maury, Malhouet et Clermont-Tonnerre. C'étaient les orateurs remarquables de ce parti mourant.

Clermont-Tonnerre et Malhouet étaient plutôt des hommes d'État que des orateurs; leur parole sûre et réfléchie n'impressionnait que la raison. Ils cherchaient l'équilibre entre la liberté et la monarchie, et croyaient l'avoir trouvé dans le système anglais des deux chambres. Les modérés des deux partis écoutaient avec respect leur voix; comme tous les demi-partis et les demi-talents, ils n'excitaient ni haine ni colère, mais les événements ne les écoutaient pas et marchaient, en les écartant, vers des résultats plus absolus. Maury et Cazalès, moins philosophes, étaient les deux athlètes du côté droit; leur nature était différente, leur puissance oratoire presque égale. Maury représentait le clergé, dont il était membre; Cazalès la noblesse, dont il faisait partie.

L'un, c'était Maury, façonné de bonne heure aux luttes de la polémique sacrée, avait aiguisé et poli dans la chaire l'éloquence qu'il devait porter à la tribune. Sorti des derniers rangs du peuple, il ne tenait à l'ancien régime que par son habit; il défendait la religion et la monarchie, comme deux textes qu'on avait imposés à ses discours. Sa conviction n'était qu'un rôle tout autre rôle eût aussi bien convenu à sa nature. Mais il soutenait avec un admirable courage et un beau caractère celui que sa situation lui faisait. Nourri d'études sérieuses, doué d'une élocution abondante, vive et colorée, ses harangues étaient des traités complets sur les matières qu'il discutait. Seul rival de Mirabeau, il ne lui manquait pour l'égaler qu'une cause plus nationale et plus vraie; mais le sophisme des abus ne pouvait pas revêtir des couleurs plus spécieuses que celles dont Maury colorait l'ancien régime. L'érudition historique et l'érudition sacrée lui fournissaient ses arguments. La hardiesse de son caractère et de son langage lui inspirait de ces mots qui vengent même d'une défaite. Sa belle figure, sa voix sonore, son geste impérieux, l'insouciance et la gaieté avec lesquelles il bravait les tribunes arrachaient souvent les applaudissements même à ses ennemis. Le peuple, qui sentait sa force invincible, s'amusait d'une résistance impuissante. Maury était pour lui comme ces gladiateurs qu'on aime à voir combattre, bien qu'on sache qu'ils doivent mourir. Une seule chose manquait à l'abbé Maury: l'autorité de la parole. Ni sa naissance, ni sa foi, ni ses mœurs n'inspiraient le respect à ceux qui l'écoutaient. On sentait l'acteur dans l'homme, l'avocat dans la cause ; l'orateur et la parole n'étaient pas un. Otez à l'abbé Maury l'habit de son ordre, il eût changé de côté sans effort et siégé parmi les novateurs. De semblables orateurs ornent un parti, mais ils ne le sauvent pas.

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