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» forme distincte et laissent des souvenirs durables; qu'ils >> servent en un mot de siége à la mémoire, propriété au » moyen de laquelle ils fournissent à l'animal les maté>> riaux de ses jugements. »

C'est tout à fait dans ce sens que l'on doit, je crois, apprécier le résultat des observations faites sur les animaux chez lesquels on a enlevé le cerveau proprement dit. Pour moi, les animaux opérés de cette façon sont susceptibles d'éprouver encore toutes les sensations, c'est-à-dire les différentes sortes de sensations tactiles, les sensations visuelles, auditives, olfactives, gustatives et les sensations de douleur. La perception, telle qu'on doit l'entendre en physiologie, a bien certainement lieu hors du cerveau proprement dit; mais c'est dans le cerveau que se fait le travail qui isole les diverses sensations les unes des autres, qui les apprécie à leur juste valeur, qui les analyse, et qui les transforme en idées.

Lorsque le cerveau est occupé d'une autre façon, lorsqu'il est, par exemple, fortement engagé dans un enchaînement méditatif, les diverses impressions qui agissent sur sestéguments ou sur ses organes des sens passent inaperçues, et il semblerait bien, par conséquent, qu'il est nécessaire que le cerveau s'intéresse à ces impressions pour qu'elles soient perçues. Mais je suis convaincu que l'on fait là une confusion complète entre deux sortes très-distinctes de phénomènes encéphaliques. Si l'on veut bien réfléchir et s'étudier soi-même, on verra que les impressions se transforment encore en sensations. Les yeux qui sont fixés sur des objets plus ou moins éloignés et qui ne les verraient pas, si l'on s'en rapportait à ce qu'on dit communément, les voient en réalité; les oreilles entendent bien réellement ces bruits

auxquels on ne prête cependant aucune attention et qui semblent ne pas être entendus, etc.; mais ce sont des sensations confuses, indistinctes. Le travail qui accommode les divers organes des sens à l'espèce d'impression à recueillir, qui constate et qui analyse ces impressions, quelque superficielle et passagère que soit l'analyse, est un travail cérébral. L'isthme encéphalique n'y concourt point, et il est impossible de savoir si les reuflements surajoutés au cerveau, à savoir, les corps striés et les couches optiques, y jouent un rôle quelconque.

Or, il est clair que des sensations aussi confuses sont bien différentes de celles qui ont subi l'élaboration cérébrale. Il y a d'ailleurs, évidemment, dans cette discussion une question de mots. Si l'on veut donner, en effet, le nom de perception, à cette élaboration cérébrale des sensations, je ne puis chercher à y mettre aucune opposition; mais si l'on veut que la sensation n'existe point du tout, sans ce travail du cerveau proprement dit, je ne puis plus accepter une pareille manière de voir. Ce qui montre le mieux que, même chez l'Homme, les sensations subsistent encore, en dehors du concours du cerveau proprement dit, ce sont les réactions sensitivo-motrices qui ont lieu alors, dès que les sensations dépassent un certain degré et deviennent une gêne ou une irritation trop vive. Quelle que soit l'abstraction du cerveau, une lumière trop vive provoque un clignement, et ce clignement est bien une action réflexe, mais provoquée par une sensation visuelle: c'est, en un mot, un phénomène sensitivo-moteur. De même, et c'est là un exemple encore plus frappant, à qui n'est-il pas arrivé bien des fois, au milieu d'un travail intellectuel entièrement absorbant, d'éprouver une démangeaison dans un point quel

VULPIAN. PHYS. DU SYST. NERV.

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conque du corps, de la face ou de la tête, d'y porter machinalement la main et de gratter l'endroit excité par la démangeaison. N'est-ce point là encore une sensation parfaitement complète, et qui, sans avoir été soumise à la moindre élaboration cérébrale, a provoqué une réaction admirablement adaptée au mode d'excitation? Et si, à ce moment même, par hasard, une autre cause vient troubler et interrompre cette sorte de scène intellectuelle dont le cerveau est le théâtre, on reconnaît bien, en fixant son attention sur ce qui vient d'avoir lieu sur tel ou tel point du corps où s'était produite la démangeaison, que c'était là, en effet, ce qui a provoqué la réaction machinale en question.

Je vais ainsi plus loin, sous un certain rapport, que M. Longet, pour qui, « sans ses lobes cérébraux, l'animal » n'a, pour ainsi dire, rien à gagner à la survivance de la

perception de ses sensations, et doit, le plus souvent, se » comporter dans ses actes, comme si elle n'était point » conservée ». Je dirai que la persistance des sensations, sans le concours du cerveau proprement dit, loin d'être inutile à l'animal ou à l'Homme, est d'une grande utilité ; car, lorsque le cerveau est occupé d'une autre façon, et indifférent, en quelque sorte, à ces sensations, elles provoquent des réactions sensitivo-motrices qui ont pour effet de soustraire toutes les parties du corps aux diverses causes d'irritation qui peuvent les assiéger. J'ajouterai même que les expériences faites sur les Poissons nous montrent que la puissance de ces réactions est bien plus grande qu'on ne le croit d'ordinaire; car elles permettent à l'animal d'éviter machinalement les obstacles qu'il rencontre, et elles jouent sans doute un grand rôle dans les phénomènes de la locomotion chez tous les animaux.

En résumé, malgré l'ablation du cerveau chez les animaux des diverses classes de Vertébrés, la sensibilité persiste et se manifeste par toutes les réactions sensitivo-motrices que l'on peut observer dans l'état normal. Il faut bien le comprendre le rôle du cerveau proprement dit consiste uniquement, par rapport à la sensibilité, dans l'élaboration intellectuelle des sensations et dans leur transformation en idées.

VINGT-NEUVIÈME' LEÇON.

11 août 1864.

PHYSIOLOGIE DU CERVEAU.

Rôle physiologique du cerveau proprement dit, relativement aux mouvements spontanés, volontaires. Rôle physiologique du cerveau proprement dit, relativement aux phénomènes intellectuels, instinctifs et affectifs.

Nous avons étudié, dans notre dernière réunion, le rôle du cerveau proprement dit dans le mécanisme de la sensibilité. Il nous faut aujourd'hui envisager les fonctions de cette partie de l'encéphale à un autre point de vue, c'est-à-dire dans leurs rapports avec la motilité volontaire.

b. Rôle des hémisphères cérébraux, relativement aux mouvements spontanés, volontaires. Ce rôle fonctionnel du cerveau doit être le même chez tous les Vertébrés; mais chez les Mammifères supérieurs et surtout chez l'Homme, il paraît prendre une importance tout à fait exceptionnelle, ce qui est dû à des conditions dont la nature nous échappe en grande partie. On peut dire toutefois que ces conditions ne font probablement que nous voiler une analogie

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