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de la région dorsale avec lesquels la queue est greffée. Vous connaissez, en effet, cette loi de la physiologie du système nerveux, en vertu de laquelle toute excitation, faite sur un point quelconque d'un nerf, est rapportée par l'animal à l'extrémité périphérique de ce nerf. Or, dans ce cas, l'excitation des nerfs de la queue se propage aux fibres nerveuses de la région dorsale, avec lesquelles ces nerfs sont unis; et l'animal, pour se défendre, tourne sa tête vers l'endroit d'implantation de la queue, endroit qui lui paraît être le point de départ de la douleur qu'il ressent. Quoi qu'il en soit de cette interprétation, l'expérience remarquable de M. Bert semble démontrer que les fibres nerveuses sensitives peuvent conduire les impressions aussi bien dans le sens centrifuge que dans le sens centripète.

Mais déjà, nous avions, M. Philipeaux et moi, établi ce fait de la façon la plus nette. En effet, dans le cas de réunion du bout central du nerf lingual au bout périphérique du nerf hypoglosse, nous avons fait voir qu'en pinçant le bout central du lingual encore intact, on produit aussitôt, et simultanément, de la douleur d'une part, et d'autre part, des contractions dans la moitié correspondante de la langue. Vous avez pu constater ce résultat sur le Chien qui vient d'être examiné devant vous. L'excitation, dans cette expérience, se transmet donc, au même moment, dans le sens centripète et dans le sens centrifuge. J'appelle toute votre attention sur ce fait, qui montre que les excitations se propagent dans les deux sens simultanément. Il se produit une sorte d'éréthisme des fibres nerveuses, lequel se propage, non pas dans un sens seulement, de la périphérie vers le centre par exemple, mais bien dans toute leur longueur.

Faut-il pousser plus loin la démonstration? Je vais répéter ici une de nos expériences dont le résultat, encore inexpliqué, vous intéressera sans doute, ne fût-ce qu'au point de vue qui nous occupe. Nous coupons à un Chien le nerf hypoglosse; puis nous arrachons toute la partie centrale: nous laissons intact le nerf lingual. Le bout périphérique de l'hypoglosse va s'altérer: avant qu'il soit régénéré nous l'excitons, nous le pinçons, sans rien obtenir; nous agissons alors sur un nerf qui a perdu toute excitabilité. Si nous pinçons le nerf lingual du même côté, lorsque l'hypoglosse a perdu son excitabilité, nous provoquons un mouvement des plus manifestes dans la langue, mouvement presque égal à celui qui est produit en pinçant un nerf hypoglosse tout à fait sain. Voici un Chien sur lequel on a pratiqué l'avulsion du bout central du nerf hypoglosse du côté droit, il y a quinze jours. On a mis à nu ce nerf et le nerf lingual du même côté. Je pince le nerf lingual: il y a immédiatement une douleur très-vive et un mouvement considérable de la langue. Je coupe maintenant le nerf lingual; je pince le bout périphérique, et vous voyez qu'il y a encore un mouvement très-étendu de la moitié correspondante de la langue. Naturellement il n'y a plus aucune douleur. Je vous répète que le nerf lingual, dans la partie que nous venons de pincer, ne contient pas une seule fibre motrice dans l'état normal. Il s'y est donc fait une modification bien remarquable, et il suffit de quatre jours pour amener ce changement. Nous avons constaté des résultats analogues chez le Lapin. Les effets obtenus, lorsqu'on excite mécaniquement le nerf lingual avant de l'avoir coupé, c'est-à-dire la douleur si vive que l'on observe, en même temps que se produit une forte

VULPIAN PHYS. DU SYST. NERV.

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contraction de la langue, démontrent done de la manière la plus évidente que l'excitation, portée sur un point de la fibre nerveuse, ne se propage pas dans un sens unique, mais bien dans les deux sens, d'une façon immédiate et simultanée. C'est là la loi fondamentale du mode d'activité des fibres nerveuses, et nous devons la formuler d'une façon tout à fait générale : toute excitation, portée sur un point quelconque de la longueur d'une fibre nerveuse, se transmet immédiatement et simultanément dans les deux sens, centripète et centrifuge. Cette loi avait déjà été inscrite dans la physiologie générale du système nerveux par quelques auteurs modernes, aux yeux desquels elle avait paru démontrée par les travaux de M. du Bois-Reymond. M. Kühne avait aussi publié des faits qui pouvaient lui servir d'appui; mais, si je ne m'abuse, il me semble que les expériences dont je viens de vous entretenir, contribueront à dissiper les doutes qui restaient encore sur ce point, dans bien des esprits.

Ce qu'il faut noter, c'est que cette conduction en double sens se produit évidemment aussi bien dans les fibres nerveuses motrices que dans les fibres sensitives. Les phénomènes intimes provoqués par une excitation dans les unes et dans les autres sont certainement identiques, ou, ce qui revient au même, le mode d'activité est tout à fait identique ; les résultats fonctionnels seuls varient. De ces fibres, les unes sont en rapport avec les muscles, et l'excitation détermine des contractions; les autres sont en rapport avec des appareils centraux de sensibilité, et leur excitation provoque de la douleur.

En résumé, la neurilité est, suivant toute vraisemblance, la même dans toutes les fibres nerveuses, qu'elles soient mo

trices, ou sensitives, ou sympathiques, qu'elles soient en rapport avec les organes des sens, et peut-être même qu'elles fassent partie des centres nerveux. On peut se la représenter comme une, agissant de la même façon, quelle que soit la fonction, qui seule varie. La raison de la différence de cette fonction ne doit pas être cherchée dans les propriétés physiologiques des fibres nerveuses elles-mêmes, mais bien dans la différence des connexions de ces fibres, tant avec les parties centrales qu'avec les parties périphériques. Les fibres nerveuses, en un mot, sont très-probablement toutes semblables par leurs propriétés, et ne diffèrent que par leurs fonctions. Il est possible toutefois que le mode d'activité des fibres nerveuses présente, suivant les fonctions auxquelles elles concourent, quelques nuances plus ou moins analogues à celles qui existent entre les fibres musculaires des divers appareils; mais il n'y a rien là qui porte atteinte à l'identité profonde du mode d'activité. Telle est la vue de physiologie générale par laquelle je termine ce que je voulais vous dire sur les nerfs étudiés en eux-mêmes.

QUATORZIÈME LEÇON.

7 juillet 1864.

CONSIDÉRATIONS PHYSIOLOGIQUES SUR LE PRINCIPE VITAL.

Critique expérimentale de l'hypothèse du principe vital. Autonomie des éléments anatomiques. Fatalité des actes de la vie organique.

Avant d'aborder la physiologie des centres nerveux, je désire fixer encore une fois votre attention sur les faits dont je vous ai parlé dans les dernières leçons, et vous montrer, en les rapprochant de quelques autres résultats expérimentaux, l'importance qu'ils peuvent avoir dans la discussion de certaines questions de physiologic générale.

Pendant longtemps, la physiologie s'est représenté les divers phénomènes de la vie organique comme soumis à des forces qui provoqueraient leurs manifestations, et les dirigeraient vers un but déterminé. Ces forces ont reçu successivement les noms d'archées (Van Helmont), d'ame (Stahl), de principe vital (Barthez). Aujourd'hui, on tend très-généralement à abandonner l'hypothèse que ces noms

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