Page images
PDF
EPUB

Le rétablissement de la propriété des fibres nerveuses restaurées dans un nerf tout à fait séparé des centres nerveux nous fournit la démonstration la plus complète, la plus irréfutable de l'indépendance de cette propriété. Nous avons vu déjà qu'à priori, la théorie qui fait dériver des centres nerveux, à titre d'emprunt, la propriété physiologique des fibres nerveuses est inadmissible. M. BrownSéquard a donné, depuis longtemps, une preuve expérimentale en faveur de l'indépendance de cette propriété, en faisant voir que l'on peut, dans un membre séparé du corps, et après que la motricité des nerfs est éteinte, la faire renaître par des injections de sang oxygéné dans le système artériel de ce membre: mais on pourrait peut-être objecter que la motricité n'était pas, dans ce cas, complétement abolie ; qu'elle n'était qu'impuissante à cause de l'abolition de l'irritabilité des muscles animés par les nerfs, et qu'elle a paru se rétablir, lorsque les muscles, devenus irritables de nouveau, ont pu répondre aux provocations de ces nerfs. Nos expériences me paraissent échapper à toute objection. Il est clair que la propriété des fibres nerveuses est tout à fait détruite lorsque ces fibres sont atrophiées, et il est évident que la réapparition de cette propriété ne peut être rattachée à aucune influence des centres nerveux, puisque le nerf n'a plus aucune communication avec ces centres.

Nous sommes ainsi conduits à conclure, de la façon la plus rigoureuse possible, que a neurilité est bien l'attribut physiologique distinct, indépendant, des fibres nerveuses, et que l'existence de cette propriété n'est liée essentiellement qu'à l'intégrité de la structure et de la nutrition de ces éléments anatomiques.

VULPIAN.

PHYS. DU SYST. NERV.

18

TREIZIÈME LEÇON.

5 juillet 1864.

IDENTITÉ DU MODE D'ACTIVITÉ DE TOUTES LES FIBRES
NERVEUSES.

La propriété des fibres nerveuses est-elle la même dans toutes les fibres nerveuses, ou bien varie-t-elle suivant la fonction? Expériences de M. Flourens. Expériences de M. Schwann. Expériences de MM. Bidder, Schiff, Thiernesse et Gluge, Ambrosoli, Philipeaux et Vulpian, sur la réunion bout à bout de nerfs de fonctions différentes. — Les excitations produites sur un point quelconque d'une fibre nerveuse soit sensitive, soit motrice, se propagent aussitôt, et en même temps, dans le sens centripète et dans le sens centrifuge.

Nous terminerons aujourd'hui l'examen de la question de physiologie générale que nous avons déjà agitée à plusieurs reprises. La neurilité est-elle la même pour toutes les fibres nerveuses? Ou bien diffère-t-elle suivant que ces fibres servent à la sensibilité, à la motricité, aux actions réflexes, aux fonctions du grand sympathique? Nous avons déjà vu plusieurs des arguments allégués en faveur de cette seconde manière de voir, et nous avons constaté qu'ils sont bien loin d'avoir la valeur ou la signification qu'on leur

avait attribuées; du reste, nous les rappellerons dans notre résumé. Il convient maintenant d'examiner un autre argument que l'on a invoqué aussi, comme témoignant dans le même sens, et qui aurait évidemment une grande force, s'il reposait sur une base solide. Voici cet argument: on a prétendu qu'il était impossible d'unir bout à bout l'un à l'autre, deux nerfs de fonctions différentes, de telle manière que les excitations portant sur l'un des nerfs pussent se transmettre à l'autre. L'examen de cette proposition aura pour éléments deux ordres de faits. Nous verrons d'abord des expériences instituées sur des nerfs mixtes, et qui consistent dans la réunion du bout central d'un nerf mixte, ayant une certaine fonction, à l'extrémité périphérique d'un autre nerf mixte, ayant une fonction différente.

Dans un second ordre de faits, il s'agira de l'union d'un nerf moteur avec un nerf sensitif.

Pour le premier genre d'expériences, la voie a été ouverte par M. Flourens. Il a sectionné chez un Coq les deux nerfs principaux de l'aile, qui seraient les analogues du médian et du radial chez l'Homme. Puis, il les a réunis en les croisant, c'est-à-dire qu'il a uni le bout central du médian avec le bout périphérique du nerf radial, et vice versa. Dans les premiers temps qui suivirent l'opération, le Coq avait l'aile traînante: elle offrait une paralysie du mouvement et de la sensibilité. Quelque temps après, le Coq a d'abord relevé son aile, puis il s'en est servi; et, après six mois, on déterminait de la douleur, en pinçant les parties animées par ces deux nerfs. De plus, en excitant le bout central du nerf median, on provoquait des contractions dans les muscles auxquels se rend le nerf radial, et réciproquement pour le bout central du radial. Mais ici, nous avons affaire à des

nerfs dont les fonctions sont assez semblables, et de plus, l'expérience ne porte pas sur des nerfs ayant des origines bien. éloignées. Pour d'autres expériences, M. Flourens se plaça dans des conditions plus décisives; mais les résultats furent peu concluants. Il réunit, sur un Canard, le bout périphérique d'un des nerfs pneumogastriques au bout central du cinquième nerf cervical. Au bout d'un certain temps, il coupa l'autre pneumogastrique, et l'animal mourut quelques jours après cette seconde opération: la fonction ne s'était donc pas rétablie. Il fallait poursuivre cette recherche, et depuis M. Flourens, la question n'avait fait aucun pas.

J'arrive aux expériences que j'ai faites avec M. Philipeaux.

Sur un Chien, nous avons coupé transversalement l'hypoglosse, nerf moteur de la langue, vers le milieu de son trajet; nous avons arraché toute la partie centrale de ce nerf, avec ses racines bulbaires. Puis, nous avons coupé le nerf pneumogastrique à la partie moyenne du cou; nous avons excisé un long segment du bout périphérique de ce nerf, et, après avoir amené son bout central en contact avec le bout périphérique du nerf hypoglosse, nous avons fait un point de suture pour maintenir en contact ces deux bouts ainsi rapprochés. Le résultat, comme dans les cas de réunion des deux bouts d'un même nerf, se fait attendre plus ou moins, suivant l'âge de l'animal soumis à l'expérience. Après trois ou quatre mois, nous examinions l'état anatomique et physiologique de la réunion. Cette réunion paraissait presque toujours très-bien faite, et l'examen ultérieur du bout périphérique de l'hypoglosse nous démontrait qu'il avait subi une restauration plus ou moins complète. Mais avant de pratiquer cet examen, nous pincions le bout cen

tral du nerf pneumogastrique, et nous obtenions des mou-vements très-manifestes dans la langue: il y avait done. communication parfaite des excitations du bout central du pneumogastrique au bout périphérique de l'hypoglosse. On pouvait cependant nous faire une objection. On pouvait nous dire que cette contraction n'était qu'un mouvement réflexe; qu'en réalité, l'excitation était conduite au bulbe par le bout central du nerf pneumogastrique ainsi pincé, et qu'une réaction réflexe se faisait sur l'hypoglosse de l'autre côté, par l'intermédiaire du bulbe, réaction qui produisait le mouvement de la langue. Cette objection n'avait d'ailleurs aucune valeur, car il était facile de voir que la contraction avait lieu dans la moitié correspondante de la langue. Mais, pour nous mettre à l'abri de toute contestation, nous coupions le bout central du pneumogastrique à une certaine distance de la réunion; nous pincions alors la partie restée en rapport avec l'hypoglosse, et nous produisions encore la contraction de la langue, bien qu'il n'y eût plus de chemin ouvert à l'action réflexe. Voici un Chien, chez lequel on a fait une réunion du bout central du nerf pneumogastrique du côté droit avec le bout périphérique du nerf hypoglosse du même côté, il y a près de quatre mois. On a mis à nu les nerfs réunis. Je vois, par la teinte blanche qu'offre le bout périphérique du nerf hypoglosse, qu'il est déjà restauré, au moins en grande partie. Je vais couper immédiatement le bout central du pneumogastrique à quelques centimètres du lieu de la réunion. Je presse ce bout ainsi séparé du centre nerveux, entre les mors d'une pince, et vous voyez aussitôt une forte contraction qui entraîne la langue de gauche à droite en la projetant un peu hors de la cavité buccale. Je recommence: même effet.

« PreviousContinue »