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s'expliquent par le peu d'étendue ou de gravité de la lésion des centres nerveux. Les parties lésées peuvent encore suffire aux manifestations de sensibilité, car la sensibilité n'exige, dit Haller, qu'une force nerveuse peu considérable, tandis que le mouvement, qui réclame un plus grand degré de force nerveuse, ne peut plus s'exé

cuter.

Dans notre siècle, et avant le premier écrit de Ch. Bell, Lamarck s'exprime d'une façon très-nette sur ce sujet : « A l'égard des animaux qui ont une moelle épinière, dit-il, il part de toutes les parties de leur corps des filets d'une extrême finesse qui, sans se diviser ni s'anastomoser, vont se rendre au foyer des sensations..... Quant aux nerfs qui sont destinés au mouvement musculaire, ils partent vraisemblablement d'un autre foyer, et constituent, dans le système nerveux, un système particulier distinct de celui des sensations, comme ce dernier l'est du système qui sert aux actes de l'entendement » (1). Il est clair, d'ailleurs, que Lamarck, pas plus que ses devanciers, n'était sorti du domaine des hypothèses, et n'avait pensé à localiser dans tels ou tels nerfs la sensibilité et le mouvement.

Le premier auteur qui eut l'idée d'attribuer à chacune des deux racines des nerfs un rôle fonctionnel différent, est Alexandre Walker: mais il ne chercha pas à contrôler son hypothèse par l'expérience, et il ne put pas, par conséquent, reconnaître l'erreur qu'il avait commise dans la détermination des fonctions des racines. Il avait, en effet, assigné aux racines et colonnes antérieures de la

(4) Philosophie zoologique, 1809. (Citation empruntée à M. Longet, Traité d'Anatomie et de Physiologie du système nerveux, t. 1, p. 25.)

moelle les fonctions de sensibilité, et celles du mouvement

aux postérieures.

Charles Bell, en 1811, publia un petit écrit, tiré à cent exemplaires, et intitulé: An idea of a new anatomy of the Brain. C'est dans ce travail qu'il expose le résultat de ses méditations et de ses expériences; et c'est là, assurément, que se trouvent les seuls titres qu'il puisse invoquer à l'appui de ses prétentions à la découverte des fonctions distinctes des racines des nerfs. Aussi est-il nécessaire d'en donner une courte analyse.

L'idée dominante de ce mémoire, c'est que les nerfs possédant plusieurs fonctions ne sont pas des nerfs simples, mais bien des faisceaux formés par la réunion de plusieurs nerfs doués chacun d'une fonction distincte. Et cette réunion n'a lieu que pour la commodité de la distribution. Ainsi, dit-il, les nerfs de sensibilité, les nerfs du mouvement, et les nerfs vitaux sont distincts durant tout leur trajet quoiqu'ils paraissent unis parfois en un faisceau.

Pour bien comprendre la manière de voir de Ch. Bell, il faut savoir qu'il était nourri des idées de Willis sur la physiologie du système nerveux. Pour lui, comme pour Willis, le cerveau proprement dit est le centre de la sensibilité et du mouvement; le cervelet préside aux actions vitales circulation, nutrition, sécrétions, etc.). Après avoir admis ces principes, Ch. Bell constata qu'il existe dans la moelle deux sortes de faisceaux: les uns, antérieurs, qui sont la continuation des cuisses ou pédoncules du cerveau; les autres, postérieurs, qui sont la continuation des pédoncules du cervelet. Comme il lui paraissait très-difficile d'agir sur le cerveau ou sur le cervelet eux-mêmes afin de vérifier les hypothèses relatives à leurs fonctions, il pensa

qu'on pourrait plus aisément expérimenter sur les faisceaux de la moelle qui en sont la continuation, et qu'on serait en droit d'appliquer les données obtenues ainsi aux diverses parties de l'encéphale. De plus, considérant que les nerfs naissent par deux racines, l'une qui vient des parties antérieures de la moelle, et l'autre des parties postérieures, il pensa que chacune de ces racines était chargée de conduire, aux parties qu'elle anime, l'influence émanée de la région de l'encéphale avec laquelle elle est en rapport par l'intermédiaire des faisceaux de la moelle. Ainsi, la racine antérieure transmettrait l'influence du cerveau, et la racine postérieure l'influence du cervelet. Théoriquement, pour Ch. Bell, la racine antérieure était donc le cordon conducteur de la sensibilité et de la volonté (fonctions du cerveau proprement dit); et la racine postérieure servait à conduire l'influence vitale (fonctions du cervelet). Il faut bien avoir ces points de départ présents à l'esprit ; sans cela il est impossible de rien comprendre aux premiers travaux de Ch. Bell; et, je le répète, tout cela n'est guère que la reproduction des idées de Willis.

Jusqu'ici il n'y avait qu'une hypothèse assez séduisante, mais qui n'avait rien de bien neuf au fond, puisque la base de cette hypothèse était empruntée à Willis, et que l'idée d'attribuer des fonctions différentes aux racines avait déjà été exposée par Walker. Il fallait une démonstration quelconque. Or, Ch. Bell, le premier, tenta des expériences sur les racines et sur les faisceaux de la moelle. Dans une première expérience, il met la moelle à découvert sur un lapin mort récemment: il remarque que l'excitation de la partie antérieure de la moelle, c'est-à-dire des faisceaux antérieurs, produit des convulsions, tandis qu'en irritant la

partie postérieure, il ne provoque pas de mouvement. Après avoir mis à nu les racines des nerfs spinaux, il coupe les racines postérieures et ne remarque pas de contractions, tandis que l'excitation des racines antérieures, avec la pointe du scalpel, faisait immédiatement entrer les muscles en convulsions. Telles sont les premières expériences de Ch. Bell. Ce sont, en réalité, les premiers faits expérimentaux qui aient démontré que les deux racines de chaque nerf ont des fonctions différentes. Aussi conçoit-on que ces expériences l'aient vivement frappéet l'aient conduit à dire c'est alors que je compris le but de la double connexion d'un nerf rachidien avec la moelle, et que tout nerf exerçant une double influence devait ce privilége à deux racines. Ch. Bell fit encore une autre expérience non moins remarquable. Il met la moelle à nu sur un lapin vivant, et constate que la section des racines postérieures laisse aux muscles leur motilité. «Après cette section, dit-il, la douleur accompagnant l'opération nous empêcha de juger du degré de sensibilité de la partie à laquelle se distribuaient ces racines. »

Telles sont les expériences de Ch. Bell, et nous avons vu aussi les idées que ces expériences étaient appelées à contrôler. Or, il est bien singulier de voir quelle signification on a donnée plus tard à ces idées et à ces expériences. On a vu là une preuve que Ch. Bell avait découvert la véritable fonction des racines, alors que tout devait éloigner d'une pareille interprétation. On a cru que Ch. Bell, en parlant de la double influence de tel ou tel nerf, entendait parler de la sensitivité et de la motricité du nerf; mais il est évident qu'à ce moment du moins, le physiologiste anglais donnait un tout autre sens aux mots qu'il employait. Pour lui, la

double influence ne se rapportait pas au mouvement et à la sensibilité. Il s'agissait certainement de la double influence du cerveau et du cervelet. Les racines antérieures, continuation des pédoncules cérébraux par l'intermédiaire des faisceaux antérieurs de la moelle, servaient en même temps à la sensibilité et aux mouvements volontaires, fonctions dévolues au cerveau; tandis que les racines postérieures qui émanaient des pédoncules cérébelleux par l'intermédiaire des faisceaux postérieurs, participaient aux fonctions du cervelet, aux fonctions vitales: et c'est dans ce but que chaque nerf naissait par deux racines, afin de transporter dans tout le corps cette double influence nécessaire à l'organisme. Les résultats expérimentaux s'expliquaient du reste parfaitement en partant de cette hypothèse. En excitant les racines antérieures sur un animal immédiatement après la mort, on devait naturellement déterminer des mouvements, puisque la motricité persiste alors encore pendant plusieurs minutes; mais la sensibilité que l'on attribuait à ces mêmes racines ne pouvait pas se manifester, puisque l'animal était mort. D'autre part, lorsqu'on excitait les racines postérieures, on ne devait rien observer, puisqu'on opérait sur un cadavre, et que les actions vitales auxquelles présidaient ces racines étaient éteintes. L'expérience semblait donc confirmer parfaitement les vues théoriques de Ch. Bell. Il en était de même de l'expérience faite sur l'animal vivant. En effet, d'après l'hypothèse, la section des racines postérieures ne devait abolir que les actions vitales, et devait laisser intacts le mouvement et la sensibilité: or, après cette section, on constate que les muscles, auxquels se rend le nerf mis en expérience, conservent leurs mouvements. Quant à la sensi

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