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Abn. Ce roi, fils de David, où le chercherons-nous ?
Le ciel même peut-il réparer les ruines

De cet arbre séché jusque dans ses racines?
Athalie étouffa l'enfant même au berceau.
Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau ?
Ah! si dans sa fureur elle s'était trompée;

Si du sang de nos rois quelque goutte échappée...
Joad. Hé bien! que feriez-vous ?

Abn.
Ô jour heureux
De quelle ardeur j'irais reconnaître mon roi!
Doutez-vous qu'à ses pieds nos tribus empressées...
Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées ?
Déplorable héritier de ces rois triomphants,
Ochozias restait seul avec ses enfants:

Par les traits de Jéhu je vis percer le père;

Vous avez vu les fils massacrés par la mère.

pour

moi !

Joad. Je ne m'explique point; mais quand l'astre du jour Aura sur l'horizon fait le tiers de son tour, Lorsque la troisième heure aux prières rappelle, Retrouvez-vous au temple avec ce même zèle. Dieu pourra vous montrer par d'importants bienfaits Que sa parole est stable et ne trompe jamais. Allez pour ce grand jour il faut que je m'apprête, Et du temple déjà l'aube blanchit le faîte.

Abn. Quel sera ce bienfait que je ne comprends pas?
L'illustre Josabet porte vers vous ses pas;

Je sors, et vais me joindre à la troupe fidèle
Qu'attire de ce jour la pompe solennelle.

SCÈNE II.

Joad, Josabet.

Joad. Les temps sont accomplis, princesse ; il faut parler; Et votre heureux larcin ne se peut plus céler. Des ennemis de Dieu la coupable insolence, Abusant contre lui de ce profond silence, Accuse trop long-temps ses promesses d'erreur : Que dis-je? le succès animant leur fureur: Jusque sur notre autel votre injuste marâtre Veut offrir à Baal un encens idolâtre. Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé, Sous l'aile du Seigneur dans le temple élevé. De nos princes Hébreux il aura le courage; Et déjà son esprit a devancé son âge.

Avant que son destin s'explique par ma voix,
Je vais l'offrir au Dieu par qui règnent les rois;
Aussitôt assembiant nos lévites, nos prêtres,
Je leur déclarerai l'héritier de leurs maîtres.

Jos. Sait-il déjà son nom et son noble destin?
Joad. Il ne répond encor qu'au nom d'Éliacin,
Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère,
À qui j'ai par pitié daigné servir de père.

Jos. Hélas! de quel péril je l'avais su tirer;
Dans quel péril encore il est près de rentrer!

Joad. Quoi! déjà votre foi s'affaiblit et s'étonne ?
Jos. À vos sages conseils, seigneur, je m'abandonne.
Du jour que j'arrachai cet enfant à la mort,

Je remis en vos mains tout le soin de son sort:
Même, de mon amour craignant la violence,
Autant que je le puis j'évite sa présence,

De peur qu'en le voyant quelque trouble indiscret
Ne fasse avec mes pleurs échapper mon secret.
Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières,
Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières.
Cependant aujourd'hui puis-je vous demander
Quels amis vous avez prêts à vous seconder?
Abner, le brave Abner viendra-t-il nous défendre ?
A-t-il près de son roi fait serment de se rendre?
Joad. Abner, quoiqu'on se pût assurer sur sa foi,
Ne sait pas même encor si nous avons un roi.

Jos. Mais à qui de Joas confiez-vous la garde?
Est-ce Obed, est-ce Amnon que cet honneur regarde ?
De mon père sur eux les bienfaits répandus...

Joad. À l'injuste Athalie ils se sont tous vendus.
Jos. Qui donc opposez-vous contre ses satellites?
Joad. Ne vous l'ai-je pas dit? nos prêtres, nos lévites.
Jos. Je sais que, près de vous en secret assemblé,
Par vos soins prévoyants leur nombre est redoublé;
Que pleins d'amour pour vous, d'horreur pour Athalie,
Un serment solennel par avance les lie

À ce fils de David qu'on leur doit révéler.

Mais, quelque noble ardeur dont ils puissent brûler,
Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle ?
Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zèle ?
Doutez-vous qu'Athalie, au premier bruit semé
Qu'un fils d'Ochosias est ici renfermé,

De ses fiers étrangers assemblant les cohortes,
N'environne le temple et n'en brise les portes?

Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints,
Qui, levant au Seigneur leurs innocentes mains,
Ne savent que gémir et prier pour nos crimes,
Et n'ont jamais versé que le sang des victimes?
Peut-être dans leurs bras Joas percé de coups...

Joad: Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous ?
Dieu, qui de l'orphelin protége l'innocence,
Et fait dans la faiblesse éclater sa puissance;
Dieu qui hait les tyrans, et qui dans Jezraël
Jura d'exterminer Achab et Jézabel;

Dieu qui, frappant Joram le mari de leur fille,
A jusque sur son fils poursuivi leur famille;
Dieu dont le bras vengeur, pour un temps suspendu,
Sur cette race impie est toujours étendu?

Jos. Et c'est sur tous ces rois sa justice sévère
Que je crains pour le fils de mon malheureux frère.
Qui sait si cet enfant, par leur crime entraîné,
Avec eux en naissant ne fut pas condamné ?
Si Dieu, le séparant d'une odieuse race,
En faveur de David voudra lui faire grâce?
Hélas! l'état horrible où le ciel me l'offrit
Revient à tout moment effrayer mon esprit.
De princes égorgés la chambre était remplie :
Un poignard à la main l'implacable Athalie
carnage animait ses barbares soldats,
Et poursuivait le cours de ses assassinats.
Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue:
Je me figure encor sa nourrice éperdue,
Qui devant les bourreaux s'était jetée en vain,
Et, faible, le tenait renversé sur son sein.

Au

Je le pris tout sanglant. En baignant son visage
Mes pleurs du sentiment lui rendirent l'usage;
Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser,
De ses bras innocents je me sentis presser.

Grand Dieu, que mon amour ne lui soit point funeste!
Du fidèle David c'est le précieux reste :

Nourri dans ta maison, en l'amour de ta loi,
Il ne connaît encor d'autre père que toi.
Sur le point d'attaquer une reine homicide,
À l'aspect du péril si ma foi s'intimide,

Si la chair et le sang, se troublant aujourd'hui,

Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui,
Conserve l'héritier de tes saintes promesses,

Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses!

Joad. Vos larmes, Josabet, n'ont rien de criminel :
Mais Dieu veut qu'on espère en son soin paternel.
Il ne recherche point, aveugle en sa colère,
Sur le fils qui le craint l'impiété du père.
Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux
Lui viendront aujourd'hui renouveler leurs vœux.
Autant que de David la race est respectée,
Autant de Jézabel la fille est détestée.
Joas les touchera par sa noble pudeur,

Où semble de son sang reluire la splendeur:

Et Dieu, par sa voix même appuyant notre exemple,
De plus près à leur cœur parlera dans son temple.
Deux infidèles rois tour à tour l'ont bravé:

Il faut que sur le trône un roi soit élevé,

Qui se souvienne un jour qu'au rang de ses ancêtres
Dieu l'a fait remonter par la main de ses prêtres,
L'a tiré par leurs mains de l'oubli du tombeau,
Et de David éteint rallumé le flambeau.

Grand Dieu, si tu prévois qu'indigne de sa race
Il doive de David abandonner la trace:
Qu'il soit comme le fruit en naissant arraché,
Ou qu'un souffle ennemi dans sa fleur a séché!
Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
Doit être à tes desseins un instrument utile,
Fais qu'au juste héritier le sceptre soit remis;
Livre en mes faibles mains ses puissants ennemis ;
Confonds dans ses conseils une reine cruelle !
Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle
Répandre cet esprit d'imprudence et d'erreur,
De la chûte des rois funeste avant-coureur!

L'heure me presse: adieu. Des plus saintes familles Votre fils et sa sœur vous amènent les filles.

SCÈNE III.

Josabet, Zacharie, Salomith, le Chœur.

Jos. Cher Zacharie, allez, ne vous arrêtez pas;
De votre auguste père accompagnez les pas.
Ô filles de Lévi, troupe jeune et fidèle,
Que déjà le Seigneur embrase de son zèle,
Qui venez si souvent partager mes soupirs,
Enfants, ma seule joie en mes longs déplaisirs,

Ces festons dans vos mains, et ces fleurs sur vos têtes,
Autrefois convenaient à nos pompeuses fêtes :

Mais, hélas! en ce temps d'opprobre et de douleurs,
Quelle offrande sied mieux que celle de nos pleurs!
J'entends déjà, j'entends la trompette sacrée,
Et du temple bientôt on permettra l'entrée.
Tandis que je me vais préparer à marcher,
Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher.

SCÈNE IV.

Le Chœur.

Tout le chœur chante.

Tout l'univers est plein de sa magnificence;
Qu'on l'adore ce Dieu; qu'on l'invoque à jamais ;
Son empire a des temps précédé la naissance;
Chantons, publions ses bienfaits.

Une voix seule.

En vain l'injuste violence

Au peuple qui le loue imposerait silence;
Son nom ne périra jamais.

Le jour annonce au jour sa gloire et sa puissance.
Tout l'univers est plein de sa magnificence:
Chantons, publions ses bienfaits.

Tout le chœur répète.

Tout l'univers est plein de sa magnificence:
Chantons, publions ses bienfaits.

Une voix seule.

Il donne aux fleurs leur aimable peinture;
Il fait naître et mûrir les fruits;

Il leur dispense avec mesure

Et la chaleur des jours et la fraîcheur des nuits:
Le champ qui les reçut les rend avec usure.

Une autre.

Il commande au soleil d'animer la nature,
Et la lumière est un don de ses mains :
Mais sa loi sainte, sa loi pure

Est le plus riche don qu'il ait fait aux humains.

Une autre.

O mont de Sinaï, conserve la mémoire

De ce jour à jamais auguste et renommé,
Quand sur ton sommet enflammé,
Dans un nuage épais le Seigneur enfermé
Fit luire aux yeux mortels un rayon de sa gloire.
Dis-nous pourquoi ces feux et ces éclairs,
Ces torrents de fumée, et ce bruit dans les airs
Ces trompettes et ce tonnerre:

Venait-il renverser l'ordre des éléments?
Sur ses antiques fondements
Venait-il ébranler la terre ?

Une autre.

Il venait révéler aux enfants des Hébreux
De ses préceptes saints la lumière immortelle ;
Il venait à ce peuple heureux
Ordonner de l'aimer d'une amour éternelle.1

1 Amour n'est feminin qu'au pluriel.

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