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SCÈNE IV.

Mérope, Egisthe, Narbas, Euryclès, suite.

Mér. Le tyran m'ose envoyer vers toi ;
Ne crois pas que je vive après cet hyménée;
Mais cette honte horrible où je suis entraînée,
Je la subis pour toi, je me fais cet effort:
Fais-toi, celui de vivre, et commande à ton sort.
Cher objet des terreurs dont mon âme est atteinte,
Toi pour qui je connais et la honte et la crainte,
Fils des rois et des dieux, mon fils, il faut servir.
Pour savoir se venger, il faut savoir souffrir.
Je sens que ma faiblesse et t'indigne et t'outrage;
Je t'en aime encor plus, et je crains davantage.
Mon fils...

Egis. Mér.

Osez me suivre.

Arrête. Que fais-tu ?

Dieux! je me plains à vous de son trop de vertu.

Egis. Voyez-vous en ces lieux le tombeau de mon père? Entendez-vous sa voix? Êtes-vous reine et mère ?

Si vous l'êtes, venez.

Mér.

Il semble que le ciel
T'élève en ce moment au-dessus d'un mortel.
Je respecte mon sang; je vois le sang d'Alcide;
Ah! parle remplis-moi de ce dieu qui te guide.
Il te presse, il t'inspire. Ô mon fils! mon cher fils!
Achève, et rends la force à mes faibles esprits.

Egis. Auriez-vous des amis dans ce temple funeste ?
Mér. J'en eus quand j'étais reine, et le peu qui m'en reste
Sous un joug étranger baisse un front abattu;

Le poids de mes malheurs accable leur vertu ;

Polyphonte est haï; mais c'est lui qu'on couronne:
On m'aime et l'on me fuit.

Egis.

Ce monstre est à l'autel ?

Quoi! tout vous abandonne !

Mér.
Egis.

Il m'attend.

Ses soldats

À cet autel horrible accompagnent ses pas ?

Mér. Non: la porte est livrée à leur troupe cruelle:

Il est environné de la foule infidèle

Des mêmes courtisans que j'ai vus autrefois

S'empresser à ma suite, et ramper sous mes lois.

Et moi, de tous les siens à l'autel entourée,

De ces lieux à toi seul je puis ouvrir l'entrée.

Egis. Seul je vous y suivrai; j'y trouverai des dieux Qui punissent le meurtre, et qui sont mes aïeux.

Mér. Ils t'ont trahi quinze ans.

Egis.

Ils m'éprouvaient, sans doute.

Marchons, quoi qu'il en coûte.

Mér. Eh! quel est ton dessein?
Egis.

Adieu, tristes amis; vous connaîtrez du moins

Que le fils de Mérope a mérité vos soins.

(A Narbas, en l'embrassant.)

Tu ne rougiras point, crois-moi, de ton ouvrage ;
Au sang qui m'a formé tu rendras témoignage.

SCÈNE V.

Narbas, Euryclès.

Nar. Que va-t-il faire? Hélas! tous mes soins sont trahis; Les habiles tyrans ne sont jamais punis.

J'espérais que du temps la main tardive et sûre
Justifierait les dieux en vengeant leur injure;
Qu'Égisthe reprendrait son empire usurpé:
Mais le crime l'emporte, et je meurs détrompé.
Égisthe va se perdre à force de courage:

Il désobéira; la mort est son partage.

Eur. Entendez-vous ces cris dans les airs élancés ?
Nar. C'est le signal du crime.

Eur.

Nar.

Écoutons.

Frémissez.

Eur. Sans doute qu'au moment d'épouser Polyphonte La reine en expirant a prévenu sa honte;

Tel était son dessein dans son mortel ennui.1

Nar. Ah! son fils n'est donc plus! Elle eût vécu pour lui. Eur. Le bruit croît, il redouble, il vient comme un tonnerre Qui s'approche en grondant, et qui fond sur la terre. Nar. J'entends de tous côtés les cris des combattants, Les sons de la trompette, et les voix des mourants; Du palais de Mérope on enfonce la porte.

Eur. Ah! ne voyez-vous pas cette cruelle escorte, Qui court, qui se dissipe, et qui va loin de nous? Nar. Va-t-elle du tyran servir l'affreux courroux ? Eur. Autant que mes regards au loin peuvent s'étendre, On se mêle, on combat.

1 Ennui, est ici pour chagrin cruel.

Nar.

Quel sang va-t-on répandre ?

De Mérope et du roi le nom remplit les airs.

Eur. Grâces aux immortels! les chemins sont ouverts. Allons voir à l'instant s'il faut mourir ou vivre. (Il sort.) Nar. Allons. D'un pas égal que ne puis-je vous suivre! Ô dieux! rendez la force à ces bras énervés;

Pour le sang de mes rois autrefois éprouvés ;
Que je donne du moins les restes de ma vie.
Hâtons-nous.

Nar.

SCÈNE VI.

Narbas, Isménie, peuple.

Quel spectacle! Est-ce vous, Isménie ?

Sanglante, inanimée, est-ce vous que je vois ?

Ism. Ah! laissez-moi reprendre et la vie et la voix.
Nar. Mon fils est-il vivant? Que devient notre reine?
Ism. De mon saisissement je reviens avec peine;

Par les flots de ce peuple entraînée en ces lieux...
Nar. Que fait Égisthe?

Ism.

Il est... le digne fils des dieux; Égisthe! Il a frappé le coup le plus terrible. Non, d'Alcide jamais la valeur invincible

N'a d'un exploit si rare étonné les humains.

Nar. Ô mon fils! ô mon roi, qu'ont élevé mes mains !
Ism. La victime était prête, et de fleurs couronnée ;
L'autel étincelait du flambeau d'hyménée;

Polyphonte, l'œil fixe, et d'un front inhumain,
Présentait à Mérope une odieuse main ;
Le prêtre prononçait les paroles sacrées;
Et la reine, au milieu des femmes éplorées,
S'avançant tristement, tremblante entre mes bras,
Au lieu de l'hyménée invoquait le trépas.

Le peuple observait tout dans un profond silence.
Dans l'enceinte sacrée en ce moment s'avance

Un jeune homme, un héros, semblable aux immortels :
Il court; c'était Égisthe; il s'élance aux autels;

Il monte, il y saisit d'une main assurée

Pour les fêtes des dieux la hache preparée.

Les éclairs sont moins prompts; je l'ai vu de mes yeux,
Je l'ai vu qui frappait ce monstre audacieux.

Meurs, tyran, disait-il: dieux, prenez vos victimes.
Erox, qui de son maître a servi tous les crimes,
Érox, qui dans son sang voit ce monstre nager,

Lève une main hardie, et pense le venger.
Égisthe se retourne, enflammé de furie;
À côté de son maître il le jette sans vie.
Le tyran se relève; il blesse le héros ;
De leur sang confondu j'ai vu couler les flots;
Déjà la garde accourt avec des cris de rage!
Sa mère... Ah! que l'amour inspire de courage!
Quel transport animait ses efforts et ses pas!
Sa mère... Elle s'élance au milieu des soldats:
C'est mon fils, arrêtez, cessez, troupe inhumaine;
C'est mon fils; déchirez sa mère, et votre reine,
Ce sein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont porté.
À ces cris douloureux le peuple est agité;
Une foule d'amis, que son danger excite,
Entre elle et ces soldats vole et se précipite.
Vous eussiez vu soudain les autels renversés,
Dans des ruisseaux de sang leurs débris dispersés;
Les enfants écrasés dans les bras de leurs mères ;
Les frères méconnus immolés par leurs frères;
Soldats, prêtres, amis, l'un sur l'autre expirants;
On marche, on est porté sur les corps des mourants:
On veut fuir, on revient; et la foule pressée
D'un bout du temple à l'autre est vingt fois repoussée.
De ces flots confondus le flux impétueux

Roule, et dérobe Égisthe et la reine à mes yeux.
Parmi les combattants je vole ensanglantée;
J'interroge à grands cris la foule épouvantée.
Tout ce qu'on me répond redouble mon horreur.
On s'écrie: Il est mort, il tombe, il est vainqueur.
Je cours, je me consume, et le peuple m'entraîne,
Me jette en ce palais, éplorée, incertaine,
Au milieu des mourants, des morts, et des débris.
Venez, suivez mes pas, joignez-vous à mes cris;
Venez. J'ignore encor si la reine est sauvée,
Si de son digne fils la vie est conservée,

Si le tyran n'est plus. Le trouble, la terreur,
Tout ce désordre horrible est encor dans mon cœur.
Nar. Arbitre des humains, divine providence,
Achève ton ouvrage, et soutiens l'innocence:
À nos malheurs passés mesure tes bienfaits;
Ô ciel! conserve Égisthe, et que je meure en paix!
Ah! parmi ces soldats ne vois-je point la reine?

SCÈNE VII.

Mérope, Isménie, Narbas, peuple, soldats. On voit dans le fond du théâtre le corps de Polyphonte couvert d'une robe sanglante.

Mér. Guerriers, prêtres, amis, citoyens de Messène,
Au nom des dieux vengeurs, peuples, écoutez-moi.
Je vous le jure encore, Égisthe est votre roi :

Il a puni le crime, il a vengé son père.

Celui que vous voyez traîné sur la poussière,

C'est un monstre ennemi des dieux et des humains:
Dans le sein de Cresphonte il enfonça ses mains.
Cresphonte mon époux, mon appui, votre maître,
Mes deux fils sont tombés sous les coups de ce traître.
Il opprimait Messène, il usurpait mon rang;

Il m'offrait une main fumante de mon sang.

(En courant vers Egisthe, qui arrive la hache à la main.) Celui que vous voyez, vainqueur de Polyphonte,

C'est le fils de vos rois, c'est le sang de Cresphonte ;
C'est le mien, c'est le seul qui reste à ma douleur.
Quels témoins voulez-vous plus certains que mon cœur ?
Regardez ce vieillard; c'est lui dont la prudence

Aux mains de Polyphonte arracha son enfance.

Les dieux ont fait le reste.

Nar.
Oui, j'atteste ces dieux
Que c'est là votre roi qui combattait pour eux.
Egis. Amis, pouvez-vous bien méconnaître une mère?
Un fils qu'elle défend? un fils qui venge un père?
Un roi vengeur du crime?

Mér.
Et si vous en doutez,
Reconnaissez mon fils aux coups qu'il a portés,
À votre délivrance, à son âme intrépide.

Eh! quel autre jamais qu'un descendant d'Alcide,
Nourri dans la misère, à peine en son printemps,
Eût pu venger Messène et punir les tyrans?
Il soutiendra son peuple, il vengera la terre.
Écoutez le ciel parle: entendez son tonnerre.
Sa voix qui se déclare et se joint à mes cris,
Sa voix rend témoignage, et dit qu'il est mon fils.
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