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Rentre en fougue, s'acharne impitoyablement
Et, charmé du flatteur, le paie en l'assommant.

Et

Dor. Oh, je suis patient! Je veux lasser votre homme;
que de l'encensoir ce soit moi qui l'assomme!
Dam. Pour moi je meurs, je tombe, écrasé sous le faix.
Dor. Qui vous retient chez lui!

Des raisons que je tais.

Dam.
Et je m'y plairais fort, sans sa muse funeste
Dont le poison maudit nous glace et nous empeste.
Heureux, quand mon esprit vole à sa région,
S'il n'y porte pas l'air de la contagion !

Le voici. Tout le corps me frissonne à l'approche
Du griffonnage affreux qu'il a toujours en poche.

SCÈNE IV.

Franca leu, Dorante, Damis.

Franc. Peste soit de ces coups où l'on ne s'attend pas! Voilà ma pièce au diable, et mon théâtre à bas.

Dam. Comment donc ?

Franc. Trois acteurs: l'amant, l'oncle, le père, Manquant à point nommé, font cette belle affaire. L'un est inoculé; l'autre, aux eaux; l'autre, mort. C'est bien prendre son temps !

Le dernier a grand tort.

Dam.
Franc. Je croyais célébrer le retour de ma fille.
À grands frais, je convoque amis, parents, famille;
J'assemble un auditoire et nombreux et galant,
Et nous fermons. Cela n'est-il pas régalant?
Dam., (froidement.)

Certes les trois sujets étaient bons; c'est dommage.
Franc. Quelle sérénité! Savez-vous, quand j'enrage,

Que j'enrage encor plus, si l'on n'enrage aussi !

Dam. C'est que je vois, monsieur, bon remède à ceci.
Le rôle des vieillards n'est pas de longue haleine;
Les deux premiers-venus le rempliront sans peine.
Franc. Et l'amant?

Dam., (présentant Dorante.) Mon ami s'en acquitte à ravir.
Dor., (à Francaleu.)

Vous me voyez, monsieur, tout prêt à vous servir.

Franc., (à Dam.) Il a d'un amoureux tout à fait l'encolure. Dam. Le jeu bien au-dessus encor de la figure. Franc. Mais il s'agit ici d'un amant maltraité; Et peut-être monsieur ne l'a jamais été.

Or il faut, quelque loin qu'un talent puisse atteindre,
Éprouver pour sentir, et sentir pour bien feindre.
Dam., (avec un rire malin.)

Aussi n'ira-t-il pas se chercher en autrui.
Le rôle qu'il accepte est modelé pour lui.
Le pauvre infortuné meurt pour une inhumaine,
Sans oser déclarer son amoureuse peine;

De façon qu'il en est encore à s'aviser,

Quand peut-être quelqu'autre est tout près d'épouser.

Dor., (outré.) Ma situation sans doute est peu commune ;

Et je sens en effet toute mon infortune.

Franc. Bon! tant mieux! vous voilà selon notre désir. Venez; et, croyez-moi, vous aurez du plaisir.

Dam., (seul.)

(Il sort avec Dorante.)

J'ai beau le voir parti: je ne m'en crois pas quitte.
Mais, grâce à l'embarras qui l'occupe et l'agite,
Sain et sauf, une fois, j'échappe à mon bourreau.
Franc., (revenant.)

Attendez-vous à voir quelque chose de beau.
J'achève de brocher une pièce en six actes.
La rime et la raison n'y sont pas trop exactes;
Mais j'en apprête mieux à rire à mes dépens.

(Il s'en retourne.)

SCÈNE V.
Damis.

Et je n'armerais pas contre ce guet-apens?
Ce devrait être fait. Qu'il reste à sa campagne,
Ou me vienne chercher au fond de la Bretagne.
L'amour m'y tend les bras. Mon cœur m'a devancé.
C'est un nœud que de loin l'esprit a commencé.
Il est temps que la vue et l'achève et le serre.
Partons.

SCÈNE VI.
Damis, Mondor.

Mon., (rendant une lettre à Damis.)

Ah! grâce au ciel, enfin je vous déterre !
Je vous cherche, monsieur, depuis huit jours entiers.
Et de Paris cent fois j'ai fait tous les quartiers.
J'ai craint, au bord de l'eau, vos visions cornues;
Que, cherchant quelque rime, et lisant dans les nues,

Pégase imprudemment, la bride sur le cou,
N'eût voituré la muse aux filets de Saint-Clou.'
Dam., (resserrant la lettre qu'il a lue.)

Oh, oh! bon gré, malgré, voici qui me retarde!
Mon. Écoutez donc, monsieur: ma foi, prenez-y garde!
Un beau jour...

Dam.

Un beau jour, ne te tairas-tu point?
Mon. À votre aise. Après tout, liberté sur ce point.
Enfin quelqu'un m'a dit qu'ici vous pouviez être.
Mais personne, monsieur, ne veut vous y connaître ;
Et dans ce vaste enclos que j'ai tout parcouru,
Je vous manquais encor, si vous n'eussiez paru.

Dam. De mes admirateurs tout cet enclos fourmille:
Mais tu m'as demandé par mon nom de famille ?
Mon. Sans doute. Comment donc aurais-je interrogé ?
Dam. Je n'ai plus ce nom-là.

Mon.

Vous en avez changé ? Dam. Oui ; j'ai, depuis huit jours, imité mes confrères. Sous leur nom véritable ils ne s'illustrent guères;

Et, parmi ces messieurs, c'est l'usage commun

De prendre un nom de terre, ou de s'en forger un.
Mon. Votre nom maintenant, c'est donc ?
Dam.

Et j'en oserais bien garantir la durée.

De l'Empirée,

Mon. De l'Empirée! Oui-dà! n'ayant sur l'horizon Ni feu ni lieu qui puisse alonger votre nom,

Et ne possédant rien sous la voûte céleste,

Le nom de l'enveloppe est tout ce qui vous reste.
Voilà donc votre esprit devenu grand terrien,
L'espace est vaste: aussi s'y promène-t-il bien.
Mais quand il va là-haut lui seul à sa campagne,
Que le corps, ici-bas, souffre qu'on l'accompagne.

Dam. Et crois-tu donc qu'un homme à talents, tel que moi, Puisse régler sa marche, et disposer de soi?

Les gens de mon espèce ont le destin des belles.

Tout le monde voudrait nous enlever comme elles.
Je me laisse entraîner chez monsieur Francaleu,
Par un impertinent que je connaissais peu.
C'est lui qui me présente; et dupe du manége,
Je sers de passeport au fat qui me protége.
On tenait table encore. On se serre pour nous.
La joie, en circulant, me gagne ainsi qu'eux tous.

Les filets de Saint-Clou, lieu où l'on repêche les noyés.

Je la sens: j'entre en verve; et le feu prend aux poudres.
Il part de moi des traits, des éclairs et des foudres:
J'ai le vol si rapide et si prodigieux,

Qu'à me suivre, on se perd, après moi, dans les cieux:
Et c'est là qu'à grands cris, je reçois des convives,
Ce nom qui va du Pinde enrichir les archives...

Mon. Qui va nous appauvrir, à coup sûr, tous les deux.
Dam. Ensuite un équipage et commode et pompeux
Me roule, en un quart-d'heure, à ce lieu de plaisance,
Où je ris, chante, et bois : le tout, par complaisance.
Mon. Par complaisance, soit. Mais vous ne savez pas ?
Dam. Et quoi!

Mon.

Pendant qu'aux champs vous prenez vos ébats, La fortune, à la ville, en est un peu jalouse. Monsieur Baliveau...

Dam.

Heim?

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Fort bien.

Mon.

Sans croire, sans vouloir que vous en sachiez rien.
Dam. Pourquoi donc me le dire ?
Mon.

Ah! quelle indifférence!

Et rien est-il pour vous de plus de conséquence?
Un oncle riche et vieux dont votre sort dépend;
Qui du bien qu'il vous veut sans cesse se repent;
Prétendant, sur son goût, régler votre génie ;
De vos diables de vers détestant la manie;
Et qui, depuis cinq ans bien comptés, Dieu merci,
Pour faire votre droit, nous pensionne ici!
Attendez-vous, monsieur, à d'horribles tempêtes.
Il vient incognito, pour voir où vous en êtes.'
Peut-être il sait déjà que, vous donnant l'essor,
Vous n'avez pris ici d'autre licence encor,

Que celles qu'il craignait, et que, dans vos rubriques,
Vous nommez, entre vous, licences poétiques.
Ah! monsieur, redoutez son indignation.

Vous aurez encouru l'exhérédation.

Ce mot doit vous toucher, ou votre âme est bien dure.
Dam., (lui donnant un papier.)

Mondor, porte ces vers à l'auteur du Mercure.

1 Où vous en êtes, dans quelle situation vous vous trouvez.

Mon., (refusant de le prendre.) Beau fruit de mon sermon !

Dam.

Digne du sermonneur.

Mon. Et que doit nous valoir ce papier?
Dam.

Mon., (secouant la tête.)

Bon! de l'honneur !

Dam.

De l'honneur.

Tu crois que je dis des sornettes ?

Mon. C'est qu'on n'a point d'honneur à mal payer ses dettes, Et qu'avec celui-ci vous les paierez très-mal.

Dam. Qu'un valet raisonneur est un sot animal!
Eh! fais ce qu'on te dit.

Mon.
Aussi, ne vous déplaise,'
Vous en parlez, monsieur, un peu trop à votre aise.
Vous avez les plaisirs, et moi, tout l'embarras.
Vous et vos créanciers, je vous ai sur les bras.
C'est moi qui les écoute, et qui les congédie.
Je suis las de jouer, pour vous, la comédie,
De vous céler, d'oser remettre au lendemain,
Pour emprunter encore, avec un front d'airain.
Ma probité répugne à ces façons de vivre.
De ce monde aboyant cherchez qui vous délivre.
Pour moi, plein désormais d'un juste repentir,
J'abandonne le rôle, et ne veux plus mentir,

Viennent baigneur, marchand, tailleur, hôte, aubergiste,
Que leur cour vous talonne et vous suive à la piste;
Tirez-vous-en vous seul; et voyons une fois...

Dam., (lui tendant le même papier.)

Tu me rapporteras le Mercure du mois ;

Entends-tu?

Mon., (le prenant.) Trouvez bon aussi que je revienne Environné des gens que je vous nomme.

Dam.

Mon. Vous pensez rire ?

Amène.

Dam.

Mon.

Dam.

Mon., (sortant.)

Non.

Vous verrez.

Je t'attends.

Oh bien! vous en allez avoir le passe-temps.

Dam. Et toi, celui de voir des gens comblés de joie.
Mon., (revenant.)

Les paierez-vous?

1 Quoique cela vous déplaise, je dis que, &c.

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