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Lis. Mais si...

Dor.

Finis de grâce; et laisse-là tes mais.

Lis. Croyez-vous donc, monsieur, vous seul avoir un père? Le nôtre y voudra-t-il consentir?

Dor.

Lis. Moi, je l'espère peu.
Dor.

Je l'espère.

Sois en paix là-dessus.

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Quand je t'en vois douter, tu me perces le cœur.

Lis. Je vous l'ai dit cent fois; c'est une nonchalante
Qui s'abandonne au cours d'une vie indolente;
De l'amour d'elle-même éprise uniquement,
Incapable en cela d'aucun attachement,

Une idole du nord, une froide femelle,

Qui voudrait qu'on parlât, que l'on pensât pour elle;
Et sans agir, sentir, craindre, ni désirer,

N'avoir que l'embarras d'être et de respirer.

Et vous voulez qu'elle aime? Elle, avoir une intrigue!
Y songez-vous, monsieur? Fi donc; cela fatigue.
Voyez, depuis un mois que le cœur vous en dit,

Si votre amour vous laisse un moment de répit.

Et c'est ma foi bien pis chez nous que chez les hommes. Dor. Enfin, depuis un mois, sachons où nous en sommes. Lis. Elle aime éperdument ces vers passionnés

Que votre ami compose et que vous nous donnez;

Et je guette l'instant d'oser dire à la belle

Que ces vers sont de vous, et qu'ils sont faits

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Dor. Qu'ils sont de moi! mais c'est mentir effrontément.

Lis. Eh bien! je mentirai: mais j'aurai l'agrément

D'intéresser pour vous l'indifférence même.

Dor. Lucile en est encor à savoir que je l'aime!

Que ne profitions-nous de la commodité

De ces vers amoureux dont son goût est flatté?
Un trait pouvait m'y faire aisément reconnaître ;
Et, mieux que tu ne crois, m'eût réussi peut-être.
Lis. Eh non! vous dis-je, non ! Vous auriez tout gâté.
L'indifférence incline à la sévérité.

Il fallait bien d'abord préparer toutes choses,
De l'empire amoureux lui déplier les roses,
L'induire à se vouloir baisser pour en cueillir.
D'aise, en lisant vos vers, je la vois tressaillir;
Surtout quand un amour, qui n'est plus guère en vogue,
Y brille sous le titre ou d'idylle ou d'églogue.
Elle n'a plus l'esprit maintenant occupé

Que des bords du Lignon, des vallons de Tempé,
De bergers figurant quelques danses légères,
Ou, tout le jour assis aux pieds de leurs bergères,
Et, couronnés de fleurs, au son du chalumeau,
Le soir, à pas comptés, regagnant le hameau.
La voyant s'émouvoir à ces fades esquisses,
Et de ces visions savourer les délices,

J'ai cru devoir mener tout doucement son cœur,
De l'amour de l'ouvrage, à l'amour de l'auteur.

Dor. C'est une églogue aussi qu'on lui prépare encore.
Damis se lève exprès, chez vous, avant l'aurore.
Lis. Damis?

Dor.

L'auteur des riens dont on fait tant de cas; Et sa rencontre ici, tout franc,' ne me plaît pas.

Lis. Celui que nous nommons monsieur de l'Empirée ? Dor. Oui. Son talent, chez nous, lui donne aussi l'entrée. Mon père en est épris jusqu'à l'aimer, je croi,

Un peu plus que ma mère et presque autant que moi.
Lis. Laissons-là son églogue.
Dor.
Sur un pareil emprunt tu sais comme je pense.
Lis. Monsieur de Francaleu ne vous connaît pas ?
Dor.

Ah! soit je m'en dispense.

.

Lis. Faites-vous présenter à lui sous un faux nom.
Ici, l'amour des vers est un tic de famille.
Le père qui les aime encor plus que la fille,
Regarde votre ami comme un homme divin;
Et vous plairez d'abord, présenté de sa main.
Dor. Il peut me demander la raison qui m'attire?
Lis. Le goût pour le théâtre en est une à lui dire.
Désirez de jouer avec nous. Justement,

Non.

Quelques acteurs nous font faux bond,2 en ce moment. Dor. Oui-dà, je les remplace, et je m'offre à tout faire.

1 Tout franc, pour franchement.

Faire faux bond, manquer à une promesse.

Lis. À la pièce du jour rendez-vous nécessaire.
Il s'agit de cela maintenant. Après quoi...
Dor. Voici notre poëte. Adieu. Retire-toi.

SCÈNE III.

Dorante, Damis.

Dor. Tout à l'heure, mon cher, il faut prendre la peine...
Dam., (sans l'écouter.)

Non! jamais si beau feu ne m'échauffa la veine.
Ma foi, j'ai fait pour vous bien des vers jusqu'ici :
Mais je donne ma voix et la palme à ceux-ci.
Dor. Il s'agit...
Dam., (interrompant continuellement Dorante.)

De vous faire une églogue: elle est faite.
Dor. Eh! n'allons pas si vite !...
Dam.

Dor. Je le crois...
Dam.

Dor. D'accord...
Dam.

Oh! mais faite et parfaite.

Au bon coin ceci sera frappé.

Et je le donne en quatre au plus huppé.'

Dor. Laissons; je vous demande...
Dam.

Dor. (perdant patience.)

Non! du tranquille.

Dam., (tirant ses tablettes.)

Oui, du noble et du tendre.

Aussi, vous en allez entendre.

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1 Et je le donne en quatre au plus huppé. C'est-à-dire je donne quatre épreuves au meilleur poëte, pour faire d'aussi bons vers. Huppé, signifie: marquant, considérable.

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Dam., (avec emphase.)

Écho, que je retrouve en ce bocage épais...
Dor., (d'une voix éclatante.)

Paix! dit l'Écho. Paix; dis-je; une bonne fois: Paix!

Sinon...

Dam. Comment, monsieur, quand pour vous je compose... Dor. Mais quand de vous, monsieur, on demande autre chose. Dam., (reprenant sa volubilité.)

Ode? épitre? cantate?

Dor.

Dam.

Dor.

A hie!

Élégie ?

Eh bien!

Dam. Portrait? sonnet? bouquet? triolet? ballet?
Dor.

Mon amour se retranche au langage ordinaire;

Et désormais du vôtre il n'aura plus affaire.
Dam., (resserrant ses tablettes.)

Rien.

C'est autre chose: alors ces vers seront pour moi.
Dor. Non que je ne ressente, ainsi que je le doi,'

La bonté que ce jour encor vous avez eue.

J'ai regret à la peine.

Dam.

Elle n'est pas perdue. Mes vers, sans aller loin, sauront où se placer; Et l'on a, pour son compte, à qui les adresser. Dor., (avec émotion.)

Ah! vous aimez ?

Dam.

Qui donc aimerait, je vous prie ?

La sensibilité fait tout notre génie.

Le cœur d'un vrai poëte est prompt à s'enflammer;
Et l'on ne l'est qu'autant que l'on sait bien aimer.

Dor. (à part.)

Je le crois mon rival. (Haut.) Quelle est votre bergère?
Dam. De la vôtre, pour moi, le nom fut un mystère;
Que le nom de la mienne en puisse être un pour vous.
Dor. Et votre sort, monsieur, sans doute...

Dam.
Est des plus doux.
Dor. Une plume si tendre a de quoi plaire aux belles.
Dam. Ce jour vous en dira peut-être des nouvelles.
Dor. Ce jour?

Dam.

Est un grand jour.

Dor., (à part.)

Ah! c'est Lucile. (Haut.) Oh çà!

Si vous ne la nommez, du moins dépeignez-la.

1 Doi, pour dois.

Dam. Je le voudrais.

Dor.

À qui tient-il ?' (à part.) Son froid me tue.

Dam. Je ne le puis.

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De son goût pour les vers.

Dor. De son goût pour les vers! (Bas.) Mon infortune est

sûre:

Mais n'importe; feignons, et poussons l'aventure.

Dam. Qu'est-ce donc ?

d'à-parté ?2

Qu'avez-vous? D'où vient tant

Dor. De mon premier objet c'est trop m'être écarté. Revenons au plaisir que de vous j'ose attendre.

Dam. Parlez; me voilà prêt, que faut-il entreprendre? Dor. Donnez-moi pour acteur à monsieur Francaleu. Je me sens du talent; et je voudrais un peu,

En m'essayant chez lui, voir ce que je sais faire.
Dam. Venez.

Dor.

Dam.

Mon nom pourrait me nuire.

Il faut le taire.

Vous êtes mon ami; ce titre suffira.
Écoutez seulement les vers qu'il vous lira.
C'est un fort galant homme, excellent caractère,
Bon ami, bon mari, bon citoyen, bon père;
Mais à l'humanité, si parfait que l'on fût,
Toujours, par quelque faible, on paya le tribut.
Le sien est de vouloir rimer malgré Minerve:
De s'être, en cheveux gris, avisé de sa verve;
Si l'on peut nommer verve une démangeaison
Qui fait honte à la rime, ainsi qu'à la raison.
Et, malheureusement, ce qui vicie abonde.
Du torrent de ses vers sans cesse il nous inonde:
Tout le premier lui-même, il en raille, il en rit.
Grimace! l'auteur perce; il les lit, les relit,

3

Prétend qu'ils fassent rire ; et pour peu qu'on en rie,

Le poignard sur la gorge, en fait prendre copie,

1 De qui cela dépend-il?

A-parté, paroles dites à part soi, entendues des spectateurs seulement. Fassent, pour font.

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