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Auguste. Oui, oui; Victor a aussi à te parler de la mi

enne.

Camille, (les regardant d'un air étonné.) Ah çà! à qui en ont-ils tous les trois ?1

Scipion. Va-t'en donc, et par le petit escalier; j'entends notre professeur. (Camille sort par la porte à gauche.)

Scipion, (parlant à Auguste et à Victor.) Dites donc, je vais le faire parler médecine, parce que cela nous fera gagner

du temps.

SCÈNE X.

Scipion, Franval, Auguste, Victor.

Franval. Salut à l'aimable jeunesse.
Auguste. Bonjour, monsieur Franval.

Scipion. Bonjour, mon professeur; asseyez-vous donc, je vous prie.

Franval. Ça ne me fera pas de mal, car la montée est rude, et je me disais en route: Macte animo, generose puer ! sic itur ad astra.

Scipion. Vous avez raison; nous sommes un peu voisins des astres.

Franval. Laissez donc; vous avez une habitation de petites maîtresses, vous êtes de vrais sybarites; de mon temps les élèves en médecine logeaient encore plus haut. Il est vrai qu'alors on avait de meilleures jambes; mais, vois-tu, mon ami Scipion, c'est un temps à passer; à mesure que tu t'élèveras en réputation, tu descendras d'un étage.

Scipion. C'est pour cela, mon professeur, que vous êtes maintenant au premier.

Franval. Eh! eh! c'est un compliment qu'il me fait là. Oui, mes amis, je me soutiens tant que je peux; mais dans ce moment-ci, l'ancienne médecine a bien du mal: nous défendons le terrain unguibus et rostro, car il y a de dangereux

novateurs.

Scipion, (à part.) C'est bon, nous y voilà.

Auguste. Oui, Scipion nous a conté cela.

Franval. Imaginez-vous que, depuis cent ans et plus, on se moquait du docteur Sangrado et de son système; eh bien! nous y voilà revenus: l'eau chaude et la saignée, ou ce qui revient au même, les boissons et les sangsues. Les sangsues, ils ne sortent pas de là; c'est le remède à tous les maux: c'est la panacée universelle.

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Air: Vos maris, en Palestine.
Mais c'est en vain qu'on clabaude,
La sangsue un jour passera,

Et tous ces marchands d'eau chaude
Ne font, on le voit déjà,

Que de l'eau claire, et voilà!
Dans la rivière leur doctrine
Conduira le corps tout entier;
Et quittant son ancien quartier,
L'Ecole de Médecine

Va venir aux bains Vigier.1

Scipion. Il me semble cependant, mon professeur, que dans votre dernière ordonnance j'ai vu se glisser quelques sang

sues.

Franval. Parbleu! il le faut bien; si on ne les employait pas, on aurait l'air, dans le monde, d'un routinier, d'une tête à perruque; voilà comme ils nous traitent.

Auguste. Eh bien! alors, comment faites-vous ?

Franval. À mon cours et à mon hôpital, je fais l'ancienne médecine, parce que c'est la bonne; et dans le monde, quand j'y suis appelé, je fais la nouvelle, parce que les Parisiens ne se croiraient pas guéris s'ils ne l'étaient pas à la mode. (Victor va s'asseoir auprès de son tableau, et reste absorbé dans ses réflexions.)

Scipion. Merci, mon professeur, je profiterai de la leçon. Franval. Et tu feras bien. Dis-moi, comment va M. de La Bernardière, chez qui je t'ai envoyé ?

Scipion. Un peu mieux, depuis ce matin.

Franval. C'est une fièvre ataxique' bien dangereuse, une bonne maladie pour toi, mon garçon; il faut suivre cela avec attention.

Scipion. Je vous demande bien pardon, mon professeur, mais je crois que vous vous trompez sur ce malade-là.

Franval. Qu'est-ce que ça veut dire, je me trompe? Scipion. Permettez; non pas sur les effets, mais sur la cause de sa maladie; je l'ai fait parler ce matin, et il me semble que chez lui c'est le moral qui est attaqué: il a quelque chose qui le tourmente, quelque arrière-pensée qui l'agite. Aussi je lui ai dit: Mon client, pour que la médecine puisse agir avec effet sur le corps, il faut d'abord que l'âme soit tranquille, et la vôtre ne l'est pas. Il m'a serré la main en me disant: Docteur, vous avez raison! Eh bien! lui ai-je répondu, commençons par là? Mettez-vous d'abord en paix

avec vous-même, cela vous regarde; pour le reste, je m'en

1 Bains Vigier, bains publics établis sur la Seine.
Fièvre ataxique, fièvre irrégulière.

charge, et vous jouirez bientôt, comme dit notre professeur, des deux trésors les plus précieux sur la terre: Mens sana in corpore sano.

Franval. Tu lui as dit cela: embrasse-moi, mon cher Scipion; je te cède ce malade-là; il est à toi,

Et par droit de conquête, et par droit de naissance.

Voilà un élève digne de moi.

Scipion. Merci, mon professeur; je tâcherai de faire honneur à vos principes.

Franval, (passant près de la cheminée, et s'y asseyant pour se chauffer.) Comme moi à ton dîner; car il me semble que l'heure approche.'

Scipion, (à part.) Nous y voilà. J'étais bien étonné qu'il l'eût oublié. (A Franval.) Mon professeur, si, en attendant, vous vouliez jeter un coup d'œil sur ma bibliothèque ?

Auguste, (bas à Scipion.) Ta bibliothèque !

Scipion, (de même.) Ces trois livres de médecine qui sont là, sur la planche. (A part.) Et Camille qui ne revient pas !

SCÈNE XI.

Victor, Auguste, Camille, Scipion, Franval, toujours à la cheminée, et leur tournant le dos.

Camille, (un panier sous le bras, entrant par la gauche.) Me voici, me voici; rassurez-vous, j'ai tout ce qu'il me faut. Scipion. Alors, dépêche-toi, (montrant son professeur,) car ce pauvre homme; j'en ai mal à son estomac.

Camille. Oui; mais il y a en bas une voiture qui vient vous chercher un grand laquais est descendu, et a demandé le docteur Scipion.

Scipion. A-t-il une livrée ?

Camille. Oui, sans doute.

Scipion. Dieu! quel honneur ça va me faire dans le quartier.

Camille. C'est de la part de M. de La Bernardière, qui vous demande. Eh vite! eh vite! (Elle entre, avec son panier, par la porte à droite.)

Scipion. M. de La Bernardière, mon meilleur malade! Mon professeur, je vous demande bien pardon.

Franval. Qu'est-ce que c'est ?

Air des Scythes.
Scipion.

Pour un moment, cher docteur, je vous quitte,

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Franval, (se levant et le regardant sortir.) Voyez-vous, le gaillard, je me reconnais là. Voilà comme j'étais pour ma première maladie un peu importante, j'aurais franchi les escaliers; et il faut ça, parce qu'un malade, je dis un bon malade, ça ne se retrouve pas tous les jours. (Il passe près de Victor, et regarde son tableau.)

Auguste. Oui, il faut souvent se dépêcher.

Camille, (sortant de la porte à droite, bas à Auguste.) Je suis d'une inquiétude! je viens de parler à Ducros ; il ne veut rien entendre; et si on ne lui donne le tableau, il va faire saisir.

Auguste, (de même.) Ah! mon Dieu! comme ça va arri ver; juste au milieu du dîner! (Haut, à Franval, en riant.) Eh bien! vous dites donc ?

Franval, (qui, pendant ce temps, a toujours eu l'air de causer avec Victor.) Je disais que j'ai fait mon chemin, et que vous ferez le vôtre, parce que quand on a de l'ordre, de l'économie, et qu'on n'a pas de dettes...

Auguste, (à part.) Ça se trouve bien.

Franval. Surtout, quand on a de la conduite et des mœurs. (Apercevant Camille, qui a passé entre lui et Victor.) Quelle est cette jeune fille ?

Auguste. C'est elle qui préside à notre petit ménage. Franval. Quoi! vous avez une gouvernante de cet âge!

'Je revien, pour Je reviens.

moi qui en ai renvoyé une de cinquante-cinq ans, parce que cela faisait jaser.

Victor. Non, Camille n'est pas ce que vous croyez; elle est chez elle.

Franval, (s'inclinant.) Ce serait madame votre epouse! combien je suis désolé! Aussi je me disais : il est impossible que des jeunes gens aussi sages, aussi rangés...

Victor. Vous ne vous trompiez pas, monsieur; nous sommes dignes de votre estime; et cependant, il faut vous l'avouer, Camille...

Franval. Achevez.

Camille. Est une jeune orpheline, élevée par eux, et qui ne connaît pas sur la terre d'autres parents ni d'autres amis. Franval. Qu'entends-je, mes amis! quoi! vous pouvez rester ainsi ?

Camille. Et qui peut s'en offenser, qui peut blâmer mon amitié, ma reconnaissance? ne sont-ce pas mes frères, mon unique famille ?

Franval. D'accord, mon enfant. Mais songez donc que le monde...

Camille. Ce monde dont vous me parlez s'est-il jamais occupé de moi? m'aurait-il secourue ? m'aurait-il protégée ?

Franval.

Air: Le choix que fait tout le village.
Mes chers enfants, loin d'être rigoriste,
J'ai pour devise, indulgence et bonté ;
C'est malgré moi qu'ici je vous attriste,
Mais je vous dois d'abord la vérité :
L'opinion est un juge suprême
Dont les arrêts veulent être écoutés :

Et les premiers, respectez-la vous-même,
Si vous voulez en être respectés.

Victor. Oui, Camille, monsieur a raison; ou du moins il n'est qu'un seul moyen de ne pas nous séparer. (Avec émotion.) Auguste et Scipion vous aiment tous deux, et veulent vous prendre pour femme.

Camille, (à part.) Que dit-il? lui, Victor? (On sonne.) Auguste. Ah! mon Dieu! c'est Ducros.

Franval. Encore un convive?

Auguste. Ah! c'est Scipion.

SCÈNE XIII.

Les Précédents; Scipion.

Scipion, (hors de lui.) La victoire est à nous! mon cher professeur, mes freres, mes amis, embrassons-nous !

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