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10.12-GBIR.

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PRÉFACE.

QUICONQUE Veut bien se pénétrer du génie d'une langue vivante doit connaître les mœurs de la nation qui la parle. Ses expressions, la sonorité de ses paroles, sa phraséologie ne sont que des reflets de sa pensée et de ses actions. Aussi voyons-nous les étrangers parlant l'idiome d'un peuple affable et civilisé devenir eux-mêmes affables et civilisés, fussent-ils nés parmi les Samoïèdes ou les Iroquois. Mais il n'est pas donné à tout le monde de voyager ou de demeurer chez les peuples avec lesquels on veut faire connaissance: bien des gens sont privés de cet avantage par les circonstances ou le manque de fortune. Il faut donc avoir recours à un autre moyen. La peinture des mœurs d'une nation se trouve entière et vivante dans la comédie, dans cette satire aimable et enjouée qui fustige en riant les travers et les ridicules des hommes, leur montrant en même temps les vertus qu'ils doivent aimer. Et le divin Platon était bien pénétré de cette vérité quand il envoya un exemplaire des comédies d'Aristophane à Denys-le-Tyran, afin qu'il put s'instruire sur les mœurs et le gouvernement des Athéniens.

C'est dans cette vue que nous offrons ce recueil au public américain, pour remplir une lacune qui se fait sentir dans l'enseignement de la langue française. Il existe bien des grammaires, des phrases détachées, des dialogues, voire même des fragments de pièces de théâtre, mais rien de

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complet qui puisse donner une idée exacte du mouvement et du ton de la conversation dans la bonne société en France. Pour acquérir cette connaissance qui fait le charme du linguiste et du philosophe, il faudrait recueillir les œuvres éparses de tous les poëtes qui ont le mieux peint les mœurs de la société, en faire un choix judicieux et les comparer ensemble; et ce travail, qui d'ailleurs exigerait un goût sûr et du loisir, n'est pas à la portée de tout le monde.

L'étude des langues, une des plus importantes du domaine de l'esprit humain, puisqu'elle nous donne une nouvelle manière de penser, et, pour ainsi dire, une nouvelle âme, n'est pas de ces travaux auxquels on puisse se livrer sans application: elle exige tout l'exercice de la mémoire et l'emploi du jugement. Il ne faut donc pas trop se laisser aller à ces méthodes qui promettent d'enseigner un idiome en trois ou quatre mois, et sans apprendre par cœur. L'expérience nous fait voir que ceux qui ont beaucoup exercé leur mémoire, même dans leur langue maternelle, sont devenus les plus parfaits. Démosthène savait par cœur toute l'histoire de Thucydide et les plus beaux passages de Sophocle et d'Euripide, qu'il répétait sans cesse pour échauffer son âme au foyer de ces beaux génies, et former son langage sur leurs tours harmonieux et précis.

Toutes les pièces que nous avons choisies sont d'un style pur et souvent élégant, et offrent au lecteur une leçon plus ou moins amusante de morale, de poésie et de bon goût. Elles sont mises dans un ordre progressif et annotées dans les passages qui pouvaient présenter quelque difficulté, afin d'en rendre l'intelligence aussi aisée que possible. Nous avons mis au commencement deux proverbes, qui par la simplicité des sujets et du style servent d'introduction aux autres pièces. On nous saura gré,

nous l'espérons, d'avoir placé à la fin trois chefs-d'œuvre de nos grands poëtes tragiques, pour donner une idée de leurs compositions et du dialogue élevé.

Ce volume étant destiné à l'usage des étrangers, nous avons cru devoir adopter l'orthographe de Voltaire, reçue par l'Académie Française, et la seule usitée parmi les écrivains d'aujourd'hui.

L'accueil favorable que le public a fait à notre cours d'étude, basé sur le système adopté par l'Université de Paris, nous enhardit à de nouveaux efforts pour propager notre belle langue sur ce vaste continent, qui, nous en avons l'espoir, sera toujours uni par les liens d'une franche amitié avec la France; et nous nous estimerons heureux, si dans notre zèle pour l'avancement d'une des principales branches d'une éducation libérale et solide, nous avons pu justifier la vérité de ce précepte de Sophocle: "Le plus bel usage qu'on puisse faire de son art ou de son pouvoir, c'est d'être utile à ses semblables."

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