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garde de sa vertu? Tout au contraire; il n'hésite pas à s'offrir aux plus téméraires combats. A trente ans il va s'enfermer dans une solitude avec des femmes de son âge, dont une lui fut trop chère pour qu'un si dangereux souvenir se puisse effacer, dont l'autre vit avec lui dans une étroite familiarité, et dont une troisième lui tient encore par les droits qu'ont les bienfaits sur les ames reconnaissantes. Il va s'exposer à tout ce qui peut réveiller en lui des passions mal éteintes ; il va s'enlacer dans les pièges qu'il devrait le plus redouter. Il n'y a pas un rapport dans sa situation qui ne dût le faire défier de sa force, et pas un qui ne l'avilît à jamais s'il était faible un moment.

On supporte un état violent, quand il passe. Six mois, un an ne sont rien; on envisage un terme et l'on prend courage. Mais quand cet état doit durer toujours, qui est-ce qui le supporte? Qui est-ce qui sait triompher de luimême jusqu'à la mort? O mon ami! si la vie est courte pour le plaisir, qu'elle est longue pour la vertu ! Il faut être incessamment sur ses gardes. L'instant de jouir passe et ne revient plus; celui de mal faire passe et revient sans cesse: on s'oublie un moment, et l'on est perdu.

Je veux que le devoir, la foi, l'ancienne amitié vous arrêtent, que l'obstacle opposé par la vertu vous ôte un vain espoir, et qu'au moins par raison vous étouffiez des voeux inutiles, serez-vous pour cela délivré de l'empire des sens, et des pièges de l'imagination? Forcé de nous respecter toutes deux et d'oublier en nous notre sexe, vous le verrez dans celles qui nous servent, et en vous abaissant vous croirez vous justifier mais serez-vous moins coupable en effet, et la différence des rangs change-t-elle ainsi la nature des fautes? Au contraire vous vous avilirez d'autant plus que les moyens de réussir seront moins honnêtes. Quels moyens? Quoi! vous? ..... Ah! périsse l'homme indigne qui marchande un coeur et rend l'amour mercenaire! C'est lui qui couvre la terre des crimes que la débauche fait commettre. Comment ne serait-elle pas toujours à vendre celle qui se laisse acheter une fois? et dans l'opprobre où bientôt elle tombe, lequel est l'auteur de sa misère, du brutal qui la maltraite en un mauvais lieu, ou du séducteur qui l'y traîne en mettant le premier ses faveurs à prix.

Disons tout, s'il est nécessaire, et sacrifions la modestie elle-même au véritable amour de la vertu. L'homme n'est pas fait pour le cé

libat,

libat, et il est bien difficile qu'un état si contraire à la nature n'amène pas quelque désordre public ou caché. Le moyen d'échapper toujours à l'ennemi qu'on porte sans cesse avec soi! Voyons en d'autres pays ces téméraires qui font vœu de n'être pas hommes. Pour les punir d'avoir tenté Dieu, Dieu les abandonne ; ils se disent saints et sont déshonnêtes; leur feinte continence n'est que souillure, et pour avoir dédaigné l'humanité, ils s'abaissent au-dessous d'elle. Je comprends qu'il en coûte peu de se rendre difficile sur des lois qu'on observe qu'en apparence; (1) mais celui qui veut être sincèrement vertueux se sent assez chargé des devoirs de l'homme sans s'en imposer de nouveaux.

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.......

Je

Tels sont les dangers qui vous attendent ici. Pensez-y tandis qu'il en est temps. ne vous dis pas de vous déterminer sur mes raisons, mais de les peser. Trouvez-y quelque

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(1) Quelques hommes sont continens sans mérite, d'autres le sont par vertu et je ne doute point que plusieurs Prêtres catholiques ne soient dans ce dernier cas : mais im poser le célibat à un corps aussi nombreux que le Clergé de l'Église Romaine, ce n'est pas tant lui défendre de n'avoir point de femmes, que lui ordonner de se contenter de celles d'autrui.

Tome I.

Note de J. J. ROUSSEAU.

raison dont vous soyez content, et je m'en contente; osez compter sur vous, et j'y compte. Dites-moi, je suis un ange, et je vous reçois à bras ouverts.

Quoi! toujours des privations et des peines! toujours des devoirs cruels à remplir! toujours fuir les gens qui nous sont chers! Non, mon aimable ami. Heureux qui peut dès cette vie offrir un prix à la vertu !....... Ne pouvant vous faire ange vous-même, je vous en veux donner un qui garde votre ame, qui l'épure, qui la ranime, et sous les auspices duquel vous puissiez vivre avec nous dans la paix du séjour céleste. Vous n'aurez pas, je crois beaucoup de peine à deviner qui je veux dire, c'est Madame d'Orbe, c'est l'ainie de votre amie, c'est l'objet qui se trouve à-peu-près établi d'avance dans un cœur qu'il doit remplir un jour si mon projet réussit.

....

Réfléchissez-y à loisir...... Si vous sentez pouvoir la mériter, parlez; mon amitié tentera le reste, et se promet tout de la sienne. Alors vous serez heureux par l'amie de votre amie, et après tant de peines et de soucis, avant que l'âge de vivre et d'aimer se passe, vous aurez brûlé d'un feu légitime et joui d'un bonheur innocent. (90)

III (91)

Toi que le ciel jaloux ravit dans son printemps;

Toi de qui je conserve un souvenir fidèle,
Vainqueur de la mort et du temps;

Toi dont la perte, après dix ans,'

M'est encore affreuse et nouvelle

Si tout n'est pas détruit, si sur les sombres bords, Ce souffle si caché, cette faible étincelle,

Cet esprit, le moteur et l'esclave du corps,

Ce je ne sais quel sens qu'on nomme ame immortelle,
Reste inconnu de nous, est vivant chez les morts;
S'il est vrai que tu sois, et si tu peux m'entendre,
O mon cher Genonville! avec plaisir reçoi

Ces vers et ces soupirs que je donne à ta cendre,
Monument d'un amour immortel comme toi.
Il te souvient des temps où l'ainable Égérie,
Dans les beaux jours de notre vie,

Ecoutait nos chansons, partageait nos ardeurs,
Nous nous aimions tout trois. La raison, la folie,
L'amour, l'enchantement des plus tendres erreurs
Tout réunissait nos trois cœurs.

Que nous étions heureux! même cette indigence,

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